1969: Déclaration par laquelle Mgr Guérard des Lauriers refuse d’adopter le N.O.M.

Extrait de Sodalitium n°18 de avril 1989.
Publié á l’origine par « Itinéraires » en 1969 et dans le numéro 146 de Septembre-Octobre 1970.
Présentation

Nous publions la déclaration suivante faite solennellement par le R.P. Guérard au moment où l’on commença dans les églises catholiques à célébrer la dite « nouvelle messe ». Ce texte fut publié une première fois en 1969 dans la revue « Itinéraires » et republié dans le numéro 146 de septembre – octobre 1970 dans la même revue. Le Père Guérard fut le premier, avec deux autres confrères, à manifester publiquement son refus d’adopter le Novus Ordo Missae. Cette déclaration a donc une grande valeur historique et c’est pourquoi nous la reproduisons dans ce numéro dédié à la mémoire de Mgr Guérard, défenseur de la première heure du Saint Sacrifice de la Messe et de son rite immémorial.

Sodalitium

Déclaration

La supplique qu’ont adressée au Pape les Cardinaux OTTAVIANI et BACCI à propos du nouvel Ordo Missæ est maintenant bien connue.

Elle appartient au passé et à l’histoire.

Elle ne laisse pas, cependant, d’appartenir au présent.

Les circonstances, et je crois, par elles, la Providence m’ont induit jusqu’à présent à conserver l’anonymat. Mû par la profonde conviction qu’il suffit de restaurer la juste expression de la Vérité, pour que resplendisse, persuasive, la lumière de la « très sainte Foi », j’ai apporté une collaboration décidée à la rédaction du « Breve Esame Critico ». En accord avec d’autres théologiens, j’ai développé (Pensée catholique, n° 122) l’aspect doctrinal des considérants contenus dans le « Breve Esame ».

J’ai osé espérer qu’éclairer suffirait.

Des circonstances nouvelles, et, par elles, je le crois, derechef la Providence m’inclinent impérieusement à témoigner personnellement de ce que j’ai exprimé objectivement.

Je pense surtout au désarroi que provoque, en de très nombreux prêtres et fidèles, une « doctrine insolite que l’instinct de la foi estime spontanément suspecte, sans pour autant réussir à en discriminer l’errance » ; l’observation de S. Thomas reçoit actuellement une éclatante confirmation.

Je déclare donc que les arguments développés dans les deux études précitées n’ont pas seulement pour moi une valeur théorique. Ils établissent que c’est précisément dans l’ordre pratique que le nouvel Ordo Missæ et l’Institutio Generalis qui en est le commentaire officiel constituent pour le moins un écart, un « faux pas » hors la ligne dont le Concile de Trente a fixé les normes, et cela définitivement, « ad perpetuam rei memoriam ».

Y a-t-il vraiment un « pas » ? Ce « pas » (?) n’est-il qu’apparent, faux en son origine obscurément, comme il est faux en son aboutissant manifestement ? (1) J’aime à le supposer. Je ne l’examine pas. D’autres l’ont fait, et bien fait.

Ce « pseudo pas » (?) est-il rectifié par des « discours » ou par des commentaires, si autorisés soient-ils ? Il n’en est rien (2).

Les discours se succèdent au fil des jours, ils passent. La Constitution apostolique Missale Romanum se réfère à la Constitution apostolique de S. Pie V Quo Primum. Celle-ci est-elle abrogée par celle-là ? On en discute.

Je ne le pense pas. Quoi qu’il en soit, au regard de la multitude, à tort ou à raison, la Constitution apostolique Missale Romanum est revêtue du prestige de la loi. À ce titre, en fait et pour l’opinion, elle demeure.

La supplique des deux Cardinaux appartient donc bien au présent.

Je souscris sans réserve à tous les termes de cette supplique, en particulier à l’affirmation suivante : « Come dimostra sufficientemente il pur breve esame critico allegato … il Novus Ordo Missæ … rappresenta sia nel suo insieme come nei particolari, un impressionante allontanamento dalla teologia cattolica della Santa Messa, quale fu formulata nella Sessione XXII del Concilio Tridentino, il quale, fissando definitivamente i “canoni” del rito, eresse una barriera invalicabile contro qualunque eresia che intaccasse l’integrità del mistero » (3).

En conséquence, je déclare ne pas pouvoir utiliser le nouvel Ordo Missæ.

M. L. Guérard des Lauriers O.P.


Notes :

(1) La Thèse de Cassiciacum qui démontre que Paul VI n’était pas formellement Pape du fait de l’absence du propos objectif de réaliser le bien-fin de l’Église, se fonde sur un raisonnement inductif. Celui-ci a demandé une longue observation des actes convergents et répétés de Paul VI pour fonder et expliquer amplement l’affirmation : « Le Cardinal Montini n’est pas formellement pape ». C’est pourquoi le R.P. Guérard des Lauriers accepta que les Cardinaux Ottaviani et Bacci adressent en 1969 une supplique à Paul VI, en tant que Pape, en vue de la suppression de la « nouvelle messe ». Toutefois, le texte que nous publions montre que déjà en 1969, le Père Guérard considérait l’acte par lequel Paul VI introduisait la « nouvelle messe » comme un « pseudo-pas » non seulement en tant que privé de plusieurs arguties juridiques, mais plutôt parce que faux dans son origine, c’est-à-dire dans l’autorité qui avait prétendu le promulguer. Mgr Guérard lui-même nous a confirmé cette interprétation de sa pensée en nous confiant qu’avant même d’avoir prouvé la vacance formelle du Siège apostolique, l’instinct de la Très Sainte Foi le poussa à refuser d’être « una cum » le Cardinal Montini. Si l’on doit en croire l’abbé de Nantes, lui-même confirme cette affirmation en déclarant que le P. Guérard lui dit que Paul VI n’était plus pape, lors d’un colloque du 21 juillet 1969 (cf. La Contre-Réforme Catholique, sept. 1988, n° 246, p. 3).

(2) Après la présentation du « Bref Examen Critique » et les protestations des Cardinaux Ottaviani et Bacci, Montini craignit pour « sa » réforme. Pour calmer les protestations, il fit plusieurs discours dans l’intention de rassurer les fidèles troublés. Il réussit avec certains. Le P. Guérard au contraire réaffirmait que les discours « rassurants » de Montini ne rectifiaient pas l’errance de la « nouvelle messe » (cf. aussi : « Note sur le Sacrifice » du R.P. Guérard des Lauriers, O.P. dans Itinéraires, n° 146, sept-oct. 1970) continuant ainsi la défense de l’Oblation Pure et dénonçant cet énième (et non dernière) tentative de « récupération » des traditionalistes par l’hypocrisie moderniste.

(3) « Comme l’établit suffisamment, pour bref qu’il soit, l’examen critique joint à cette supplique, le Novus Ordo Missae constitue, aussi bien en sa ligne générale qu’en ses considérants particuliers, un impressionnant écart eu égard à la doctrine catholique concernant la Sainte Messe telle qu’elle fut formulée au cours de la XXII° session du Concile de Trente, lequel [entendit] élever une barrière que ne pût franchir aucune hérésie susceptible d’altérer l’intégrité du mystère, [précisément] en fixant définitivement par des “canons” le rite [de la Sainte Messe]. »
En italien dans le texte original.