Extraits de “La voie du Salut” de Saint Alphonse de Liguori

Extraits de
“La voie du Salut”
de Saint Alphonse de Liguori

(pouvant servir de méditations pendant le mois de novembre)

LE SALUT ÉTERNEL

 1. Une affaire dépasse en importance toutes les autres: c’est l’affaire de notre salut éternel; il y va de notre fortune ou de notre ruine éternelle. Impossible, en effet, d’échapper à l’une de ces deux alternatives: nous sauver ou nous perdre pour toujours, mériter une éternité de joies ou une éternité de supplices, vivre à jamais heureux ou malheureux.

 Mon Dieu, qu’en sera-t-il de moi? Me sauverai-je? Me perdrai-je? Il est possible que je me sauve, il est possible que je me perde. Mais si je puis me perdre, pourquoi ne pas prendre la résolution d’embrasser une vie qui assure la vie éternelle?

 Mon Jésus, vous êtes mort pour me sauver. Et moi, je me suis perdu tant de fois, en vous perdant vous, le Bien infini! Ne permettez pas que j’en vienne encore à me perdre.

 2. Aux yeux des hommes, une grande affaire, c’est de gagner un procès, d’obtenir une place, d’acquérir un domaine; mais rien de ce qui finit tôt ou tard ne mérite le nom de grand. Tous les biens de ce monde doivent finir un jour pour nous: ou c’est nous qui les quitterons, ou ce sont eux qui nous quitteront. Il ne faut donc appeler grande que la seule affaire du salut, d’où dépend un bonheur, ou un malheur sans fin.

 Ô Jésus, mon Sauveur, je vous en supplie, ne me rejetez pas de devant votre face, comme je ne le mérite que trop. Je suis un pécheur, c’est vrai; mais je regrette de tout mon coeur de vous avoir offensé, vous, Bonté infinie. Par le passé, je vous ai méprisé; mais maintenant, je vous aime plus que toute chose. À l’avenir, vous serez mon unique bien, mon unique amour. Ayez pitié d’un pécheur que le repentir ramène à vos pieds et qui veut vous aimer. Si je vous ai beaucoup outragé, je veux vous aimer beaucoup. Qu’en serait-il de moi, si vous m’aviez fait mourir, quand j’étais dans votre disgrâce? Seigneur, puisque vous avez eu tant de bonté pour moi, donnez-moi maintenant la force de me sanctifier.

 3. Ranimons notre foi en ces vérités: il y a un enfer éternel, un paradis éternel; il faut que l’un ou l’autre devienne un jour notre partage.

 Ah! Mon Dieu, comment ai-je pu, sachant que par mes péchés je me condamnais à une éternité de tourments, tant de fois pécher et perdre volontairement votre grâce? Sachant que vous êtes mon Dieu et mon Rédempteur, comment ai-je pu tant de fois vous tourner le dos pour un misérable plaisir? Seigneur, je suis affligé plus que de tout autre mal de vous avoir ainsi méprisé. Maintenant je vous aime par-dessus toute chose et j’aime mieux désormais tout perdre que de perdre votre amitié. Donnez-moi la force de vous être fidèle.

 Vous aussi, aidez-moi, ô Marie, mon Espérance.

IL FAUT MOURIR

 1. IL faut mourir. Oh! La terrible parole! Il faut mourir; telle est la sentence déjà portée: « Il a été décrété que les hommes mourront une fois » (He 9, 27).

 Vous êtes homme, vous devez mourir. Chacun de nous, dit saint Cyprien, naît la corde au cou, et chaque pas fait dans la vie, rapproche du gibet (S. Cyprien, Du bien de la Sagesse, n. 12; PL 4, 630; De la mortalité, n. 22; PL 4, 597), je veux dire de la maladie qui mettra fin à nos jour d’ici-bas. Insensé serait l’homme qui se flatterait de ne pas mourir. Un pauvre peut espérer devenir riche; un sujet, ambitionner de monter sur un trône; mais qui peut se promettre d’échapper à la mort? Les uns prolongent leurs jours jusqu’à la vieillesse, d’autres se voient arrêtés à l’entrée de la vie; mais tous aboutissent inévitablement à la tombe.

 Voilà donc mon sort, à moi aussi; un jour je mourrai, et j’entrerai dans l’éternité. Mais quelle éternité sera la mienne? L’Éternité malheureuse? Sauvez-moi, ô Jésus, mon Sauveur.

 2. De tous ceux qui vivaient sur la terre, au commencement du siècle dernier, en est-il un seul qui vive encore? Les princes les plus puissants et les plus renommés ont disparu; à peine en conserve-t-on le souvenir et quelques ossements desséchés dans un mausolée de pierre!

 De grâce, ô mon Dieu, faites-moi comprendre de plus en plus la folie de ceux qui s’attachent aux biens de ce monde et qui, pour se les procurer, vous abandonnent, vous, le Bien infini! Hélas! Cet aveuglement fut le mien; combien je le regrette, et combien je vous remercie de m’avoir ouvert les yeux!

 3. Avant cent ans révolus, mon cher lecteur, ni vous qui me lisez, ni moi qui écris ceci, ne serons plus sur cette terre; nous aurons l’un et l’autre fait notre entrée dans la maison de notre éternité. Pour vous comme pour moi, un jour, une heure, un moment viendra qui sera le dernier. Cette heure, ce moment, Dieu les a déjà fixés; comment pouvons-nous avoir à coeur autre chose que d’aimer ce Dieu, notre futur souverain Juge!

 Hélas! Quelle sera ma mort? Que deviendrai-je, ô Jésus, mon Juge, quand je comparaîtrai devant votre tribunal pour vous rendre compte de toute ma vie? De grâce, pardonnez-moi avant qu’arrive le moment décisif de mon bonheur ou de mon malheur éternel. Je me repens de vous avoir méprisé, ô mon souverain Bien. Jusqu’ici je ne vous ai pas aimé, mais maintenant je vous aime de toute mon âme. Donnez-moi la sainte persévérance.

 Ô Marie, Refuge des pécheurs, ayez pitié de moi.

LA GRANDE PENSÉE DE L’ÉTERNITÉ

 1. C’est saint Augustin qui proclame grande la pensée de l’Éternité: « Magna cogitatio » (S. Augustin, Enarrations sur les Psaumes, Ps. 76, n. 8; PL 36, 976). Au fait, quelle pensée a porté tant de solitaires à passer leur vie dans les déserts;  ? tant de chrétiens, même des rois et des reines, à s’enfermer dans les cloîtres; ?  tant de martyrs à subir toutes sortes de tortures? C’est la pensée de l’Éternité, de l’Éternité bienheureuse du ciel pour la mériter, de l’Éternité malheureuse de l’enfer pour l’éviter.

 Le vénérable Jean d’Avila convertit une dame avec ce sermon très court: « Madame, pensez à ces deux mots: « Toujours, jamais » (C.A. Cattaneo, Esercizio della buona morte, disc. 11 Milan 1713, 47: « Jean d’Avila, voyant venir à lui une dame toute infatuée de vanité, lui dit sur un ton dramatique ces simples mots: « Toujours, Jamais », qui, médités par cette personne, emportèrent caprices et frivolités comme feuilles mortes au vent d’automne »).

 Un moine s’était réfugié dans un tombeau pour penser sans cesse à l’Éternité; là, sans cesse il s’écriait: « Ô Éternité! Ô Éternité! » (Il serait question de S. Jean le Reclus, dont Theororet a tracé un portrait: Histoire Ecclésiastique 21; PG 82, 1431).

 Mon Dieu, que de fois j’ai mérité l’Éternité de l’enfer! Que ne vous ai-je jamais offensé! Donnez-moi la douleur de mes péchés, ayez pitié de moi.

 2. « Celui qui croit à l’Éternité et ne se sanctifie pas, disait le même Jean d’Avila, mérite d’être consigné dans une maison de fous » (Jean d’Avila, dans Oeuvres très complètes de sainte Thérèse, tome 4, liv. 1, lettre 23, Paris, 1845, 55-61). Quand un homme se bâtit une maison, il s’efforce de la faire commode, saine et belle. « Sans doute, ? dit-il, ?  je me fatigue; mais c’est ici que je dois passer toute ma vie. » Cet homme, que fait-il pour la demeure de son éternité?

 À notre entrée dans l’Éternité, il ne s’agira pas de nous installer dans un maison plus ou moins confortable plus ou moins belle; il s’agira de nous fixer dans un palais de délices ou dans un abîme de maux; et pour combien de temps? Non pas pour quarante ou cinquante années, mais pour toujours, tant que Dieu sera Dieu!

 Les saints croyaient faire peu pour leur salut, en passant toute leur vie dans les pénitences, les oraisons et les bonnes oeuvres. Et nous, que faisons-nous?

 Ah! Mon Dieu! Tant d’années de ma vie se sont écoulées, déjà la mort approche: jusqu’ici qu’ai-je fait pour vous? De grâce, éclairez-moi; donnez-moi la force de consacrer à votre service le reste de mes jours. Je ne vous ai que trop offensé. Désormais je veux vous aimer.

 3. « Opérez votre salut avec crainte et tremblement » (Ph 2, 12).

 Pour nous sauver, il faut craindre de nous damner, de façon, toutefois, à craindre moins l’enfer que le péché; car le péché seul peut nous conduire en enfer. Qu’est-ce que craindre le péché? C’est fuir les occasions dangereuses, se recommander souvent à Dieu, prendre les moyens de se tenir en état de grâce. Agir ainsi, c’est se sauver; agir autrement, c’est rendre son salut moralement impossible. Réfléchissons sur cette sentence de saint Bernard: « Quand l’éternité est en danger, on ne peut prendre trop de précautions: nulla nimia securitas ubi periclitatur aeternitas » (Cette sentence bien connue résume la pensée de saint Bernard qui s’est exprimé plusieurs fois à ce sujet, par ex. Sermon 30, n. 1, PL 183, 622. S. Paul de la Croix dans Lettres, 25 oct. 1768, tome 4, Rome 1924, 77, la cite également en l’attribuant à S. Grégoire le Grand, Morales sur Job, 1, 9, ch. 45; PL 75, 897).

 C’est votre Sang, ô mon Rédempteur, qui fait toute mon assurance. Mes péchés m’ont perdu; mais vous m’offrez de me les pardonner, si je me repens de les avoir commis. Eh bien! Oui, Bonté infinie, je me repens de tout mon coeur de vous avoir offensé. Ô Bien suprême, je vous aime plus que tous les biens. Je vois que vous voulez mon salut; moi, je veux me sauver, pour vous aimer à jamais.

 Ô Marie, Mère de Dieu, priez Jésus pour moi.

LE JUGEMENT PARTICULIER

 1. « Il est arrêté que les hommes meurent une fois; après quoi vient le jugement » (He 9, 27).

 Premier article de foi: C’est aussitôt après notre mort que nous serons jugés sur toutes les actions de notre vie.

 Second article de foi: De ce jugement dépendra notre salut éternel ou notre perte éternelle. (Concile de Lyon II, session IV, Denzinger-Schonmetzer, Enchiridion Symbolorum, Fribourg 1976, n. 856-859).

 Figurez-vous donc, que vous êtes à l’agonie, qu’il ne vous reste qu’un souffle de vie. Réfléchissez que vous êtes sur le point de comparaître devant Jésus Christ pour rendre compte de toutes vos oeuvres: qu’alors, malheureux, rien ne vous causera plus de frayeurs que la vue des péchés commis.

 Ah! Mon divin Rédempteur, pardonnez-moi, avant que vous veniez me juger. Plus d’une fois, je le sais, j’ai mérité la sentence de mort éternelle; pourtant, je ne veux pas paraître devant vous en coupable, mais en pécheur repentant et absous. Je me repens, ô mon souverain Bien, de vous avoir offensé.

 2. Ô ciel! Quelle épouvante saisit l’âme qui trouve en Jésus Christ, la première fois qu’elle le voit, un Juge et un Juge irrité!

 Au même instant, elle voit tout ce que Jésus Christ souffrit par amour pour elle; elle voit avec quelle immense miséricorde il la traita toujours, quels grands moyens de salut il lui mit entre les mains; elle voit la magnificence des biens éternels, la bassesse des plaisirs mondains qu’elle préféra cependant. Elle voit, elle comprend, mais inutilement, il est trop tard pour réparer ses fautes; ce qui est fait, est fait à jamais. Au moins pourra-t-elle jeter dans la balance noblesse, richesses, dignités? Non. Rien n’y est admis, rien ne pèse que ses oeuvres.

 Ah! Mon Jésus! Faites qu’en ce jour où je vous verrai pour la première fois, je vous trouve apaisé, et, pour cela, faites que j’emploie le reste de ma vie à déplorer l’injure que je vous ai faite en vous tournant le dos pour satisfaire mes passions. Non, je ne veux plus allumer votre juste colère contre moi; je vous aime et je veux vous aimer toujours.

 3. Voyez, sur le lit de mort, l’un de ces chrétiens qui vivent loin du monde pour se donner à Dieu, qui refusent à leurs sens les plaisirs défendus. Si, quelquefois, il est tombé, il a fait une sincère pénitence. Quel bonheur ne goûte-t-il pas!

 Par contre, quelle n’est pas la douleur de ce pauvre chrétien qui, toujours retombé dans les mêmes péchés, se voit réduit sur son lit de mort à se dire: « Dans quelques instants, je paraîtrai certainement devant Jésus Christ, mon Juge, et je n’ai pas encore changé de vie! Tant de fois j’ai promis de me convertir, jamais je n’ai tenu parole! Quel sera mon sort dans un bref délai? »

 Je vous remercie, ô Jésus, mon Juge, de votre patience à m’attendre si longtemps. Combien de fois n’ai-je pas écrit moi-même ma condamnation à l’enfer! Mais vous ne m’avez attendu que pour me pardonner. Ne me repoussez pas, maintenant que je suis à vos pieds. Par les mérites de votre Passion, faites-moi grâce et miséricorde. Ô Souverain Bien, je me repens de vous avoir méprisé; je vous aime plus que toute chose. Dieu de mon coeur, je ne veux plus jamais me séparer de vous!

 Ô Marie, recommandez-moi à Jésus, votre Fils, et ne m’abandonnez pas.

IL FAUT PRÉPARER SES COMPTES,
AVANT L’ÉCHÉANCE DU JOUR DES COMPTES

 1. « Soyez prêts; car le Fils de l’homme, à l’heure que vous ne pensez pas, viendra vous juger » (Lc 12, 40).

 Le temps de la mort n’est pas le temps favorable pour se préparer à bien mourir. Pour bien mourir et mourir en paix, il faut être prêt à mourir avant que la mort arrive.

 À la mort, il n’est plus temps de déraciner les mauvaises habitudes, d’arracher du coeur les passions qui le dominent, d’éteindre l’affection aux biens de la terre. « La nuit vient pendant laquelle personne ne peut agir » (Jn 9, 4). À la mort, il fait nuit; on ne voit plus rien; aussi n’est-on plus capable de rien faire. Endurcissement du coeur, aveuglement et confusion de l’esprit, terreurs de la mort et du jugement, désirs de guérison, tout contribue à mettre ce moribond dans l’impossibilité de remédier au désordre d’une conscience chargée de péchés. Ce qui est fait, est fait. Si l’on arrive au lit de mort en état de grâce, on mourra dans la grâce de Dieu; mais si l’on se trouve alors en état de péché, c’est en état de péché qu’on mourra.

 Ô Plaies sacrées de mon Rédempteur, je vous adore, je vous baise et j’espère en vous.

 2. Jetons un regard attentif sur les saints: ils font de leur vie entière une préparation à la mort. Pénitences, oraisons, bonnes oeuvres, n’ont pas d’autre but; pourtant, arrivés au moment suprême, ils croient avoir fait bien peu. Quelles ne sont pas alors leurs craintes!

 Quand on avertit de sa fin prochaine le vénérable Jean d’Avila, il ne put, malgré la sainte vie qu’il avait menée depuis sa jeunesse, s’empêcher de dire: « Que n’ai-je encore un peu de temps pour me préparer à la mort! » (Louis de Grenade, Vie du Vénérable Jean d’Avila, ch. 7, dans Oeuvres complètes, trad. Abbé Bareille, tome 18, Paris 1866, 643). Nous, que dirons-nous, quand on nous annoncera cette terrible nouvelle?

 Non, mon Dieu! Je ne veux pas mourir dans cet état d’anxiété et d’ingratitude où la mort me surprendrait, si j’expirais à l’instant. Je veux changer de vie; je veux pleurer.

 Je veux pleurer toutes les offenses que je vous ai faites; je veux vous aimer de tout mon coeur. Seigneur, aidez-moi; faites qu’avant de mourir je fasse quelque chose pour vous, mon Dieu, qui êtes mort pour moi.

 3. « Le temps est court » (1 Co 7, 29). (S. Paul utilise ici un terme technique de la navigation. Littéralement: « Le temps a cargué ses voiles »). Tel est l’avertissement que nous donne l’Apôtre: il est si court, le temps qui nous reste pour préparer nos comptes!

 Aussi l’Esprit Saint nous dit-il: « Tout ce que peut faire ta main, hâte-toi de le faire » (Ecclésiaste 9, 10). Mon frère, ce que vous pouvez faire aujourd’hui, ne le remettez pas à demain; car le jour présent passe, demain vous apportera peut-être la mort qui viendra vous lier les mains et vous rendre incapable non seulement de faire aucun bien, mais de réparer le mal commis. Malheur à nous, si la mort nous trouve encore attachés au monde!

 Mon bien-aimé Seigneur, que d’années j’ai passées loin de vous! Comment avez-vous eu la patience de m’attendre si longtemps et de m’appeler si souvent à la pénitence? Je vous en remercie, ô mon Sauveur, j’espère vous en remercier éternellement dans le ciel: « Éternellement, je chanterai les miséricordes de Dieu » (Ps 89/88, 2). Par le passé, je ne vous ai pas aimé, je me suis peu soucié d’être aimé de vous; maintenant, je vous aime de tout mon coeur, je vous aime plus que toute chose, plus que moi-même; je n’ai pas d’autre désir que d’être aimé de vous. Quand je pense que j’ai méprisé votre amour, je voudrais mourir de douleur. Mon Jésus, donnez-moi la sainte persévérance.

 Ô Marie, ma Mère, obtenez-moi d’être fidèle à Dieu.

LA MORT EST UN PASSAGE À L’ÉTERNITÉ

 1. Deux vérités de foi: mon âme est éternelle; un jour, alors que j’y penserai le moins, je devrai quitter ce monde. (Concile de Latran V, session 8; Denzinger-Schonmetzer, Enchiridion Symbolorum, Fribourg 1976, n. 1440).

 Il faut donc de toute nécessité m’assurer un bonheur qui ne finisse pas avec la vie présente, mais qui soit éternel comme je suis éternel. Quelle fortune plus brillante sur cette terre que celle d’Alexandre-le-Grand, de César-Auguste? Elle a cessé depuis bien des siècles; depuis ces longs siècles, ils ont commencé une autre vie, malheureuse celle-là, qui n’aura point de fin.

 Hélas! Ô mon Dieu, que ne vous ai-je toujours aimé! De tant d’années passées dans le péché, que me reste-t-il, sinon des peines et des remords de conscience? Mais puisque vous me donnez le temps de remédier au mal commis, me voici, Seigneur, dites-moi ce que je dois faire, je ne veux rien omettre pour vous contenter. Je ne vivrai plus, ? c’est  ma résolution ferme, ? que pour pleurer les amertumes dont je vous ai abreuvé, pour vous aimer de toutes mes forces, vous, mon Dieu et tout mon bien.

 2. Supposez qu’on puisse en ce monde trouver le bonheur sans Dieu, et qu’en fait on goûte ici-bas de toutes les joies possibles. À quoi bon, s’il faut ensuite être malheureux toute l’éternité?

 Savoir à n’en pouvoir douter qu’on mourra, ? qu’après la mort commence pour chacun de nous une éternité de délices ou de tourments, ? que de la mort bonne ou mauvaise dépend un bonheur ou un malheur sans fin, savoir tout cela sans prendre tous les moyens de s’assurer une bonne mort, quelle folie.

 Esprit Saint, éclairez-moi, donnez-moi la force de vivre désormais et toujours, jusqu’à la mort dans votre amitié. Bonté infinie, je reconnais le mal que j’ai fait en vous offensant, je le déteste; je reconnais que vous seul méritez mon amour et je vous aime plus que toute chose.

 3. En quoi se résument finalement toutes les prospérités d’ici-bas? En un convoi funèbre, une tombe, la décomposition. L’ombre de la mort voile et obscurcit l’éclat des plus hautes dignités. Heureux, donc, celui-là seul qui sert Dieu sur la terre et s’assure, par ce service plein d’amour, l’éternelle béatitude!

 Mon Jésus, je suis affligé plus que de tout autre mal d’avoir fait, par le passé, si peu de cas de votre amour. Maintenant je vous aime plus que toute chose; je n’ai plus qu’un désir: vous aimer. Désormais vous serez mon Amour, mon Tout; vous aimer, vous aimer sans cesse en cette vie et en l’autre, c’est l’unique fortune que j’ambitionne et que je vous demande. Par les mérites de votre Passion, accordez-moi la persévérance.

 Marie, Mère de Dieu, vous êtes mon Espérance.

IL FAUT RÉFORMER NOTRE VIE AVANT L’HEURE DE LA MORT

 1. Personne qui ne désire mourir saintement! Mais est-il possible de mourir saintement, après une vie passée dans le désordre jusqu’à la mort? ? de mourir dans l’amitié de Dieu, quand on a continuellement vécu dans l’inimitié de Dieu?

 Les saints, pour s’assurer une bonne mort, abandonnèrent richesses, plaisirs, espérances mondaines; ils embrassèrent volontairement une vie pauvre et mortifiée. Ils s’ensevelirent vivants dans des déserts, dans des couvents, pour ne pas courir le danger d’être ensevelis, après leur mort, dans l’enfer.

 Depuis combien d’années, Seigneur, mon Dieu, n’ai-je pas mérité d’être enseveli dans l’enfer, sans espoir de pardon, dans l’impuissance de vous aimer jamais? Mais vous m’avez attendu pour me pardonner. De tout mon coeur, je me repens de vous avoir offensé, ô mon Bien suprême! Ayez pitié de moi; ne permettez plus que je vous outrage encore.

 2. « Vous me chercherez, et vous ne me trouverez pas » (Jn 7, 34).
(TOB, note w. Cette parole volontairement ambiguë donnera lieu à une interprétation qui se veut sarcastique et qui n’en est pas moins prophétique).

 C’est la menace que Dieu fait aux pécheurs: « Malheureux, quand vous verrez venir la mort, vous me chercherez, mais sans me trouver. »

 Pourquoi les pécheurs, à cette heure terrible, cherchent-t-ils Dieu, mais en vain? Parce qu’ils le cherchent, non par amour, mais par crainte, par la seule crainte de l’enfer; ils le cherchent donc sans quitter l’affection au péché. Voilà le motif par lequel les pécheurs ne trouvent pas Dieu.

 Non, mon Dieu, je ne veux pas attendre le moment de la mort pour vous chercher. Dès maintenant je vous cherche et vous désire. Quelle tristesse j’éprouve d’avoir autrefois, par la poursuite de mes propres satisfactions, causé tant de déplaisirs à votre infinie bonté! Mais vous m’interdisez le désespoir; au contraire, vous commandez la joie au coeur qui vous cherche. « Que la joie inonde, avez-vous dit, le coeur de ceux qui cherchent le Seigneur » (Ps 105/104, 3).

 Oui, Seigneur, je vous cherche et vous aime plus que moi-même.

 3. Malheur à celui qui se trouve en face de la mort sans avoir employé une bonne partie de sa vie à pleurer ses péchés!

 Sans doute, même alors il peut se convertir; je ne le nie pas; mais les ténèbres de l’esprit, l’endurcissement du coeur, les mauvaises habitudes profondément enracinées, les passions régnant en maîtresses, rendent la conversion moralement impossible. Il faudrait une grâce extraordinaire; mais Dieu serait-il par hasard, tenu de l’accorder à celui qui l’a payé d’ingratitude jusqu’à son dernier jour?

 Ô ciel! À quelle extrémité se réduisent les pécheurs, quand il s’agit de parer à leur ruine éternelle!

 Non, mon Dieu, je ne veux pas attendre le moment de la mort pour me repentir de vous avoir offensé; dès maintenant je vous aime de tout mon coeur. Ne permettez pas que je vous tourne le dos encore une fois; faites-moi plutôt mourir.

 Ô Marie, ma Mère, obtenez-moi la sainte persévérance.

LE FEU DE L’ENFER

 1. Un abîme de feu, dans lequel les malheureux damnés subissent et subiront à jamais le plus cruel supplice: voilà sans doute possible ce qu’est l’enfer.

 Sur la terre, déjà, il n’est pas de supplice plus terrible, plus douloureux que celui du feu. Bien plus puissant sera l’énergie du feu de l’enfer pour torturer ses victimes: Dieu l’a créé tout exprès pour être le bourreau (Mt 25, 41). Telle sera la sentence des réprouvés.

 Pourquoi, dans la sentence de condamnation, cette mention spéciale du feu? Parce que, de tous les supplices endurés par les sens du damné, le feu constitue le plus grand.

 Ô mon Dieu, depuis combien d’années n’ai-je pas mérité de brûler dans ce feu! Vous m’avez attendu; pourquoi? Pour me voir brûler, non pas de ce feu terrifiant, mais du feu si doux de votre amour. Oui, je vous aime, ô mon souverain Bien; je veux vous aimer éternellement.

 2. En ce monde, le feu tourmente les corps à l’extérieur; il ne les pénètre pas. Dans l’enfer, le feu pénètre les damnés pour les tourmenter à l’intérieur comme à l’extérieur. « Vous les rendrez comme une fournaise ardente » (Ps 21/20, 10), dit à Dieu le prophète. Qu’arrivera-t-il donc à ces fournaises ardentes? Leur coeur brûlera dans leur poitrine, leurs entrailles dans leur ventre, leur cerveau dans leur tête, leur sang dans leurs veines, tout brûlera, même la moelle de leurs os.

 Ô pécheurs; que pensez-vous de ce feu? Vous qui ne pouvez souffrir une étincelle échappée par hasard d’un foyer, vous qu’une chambre surchauffée incommode, vous, à qui un rayon de soleil donne la migraine, comment pourrez-vous supporter d’être plongés dans cet océan de feu, où vous souffrirez une continuelle mort, sans mourir jamais.

 Ah! Mon Rédempteur, qu’il ne soit pas perdu pour moi, le Sang que vous avez répandu par amour pour moi! Donnez-moi la douleur de mes péchés; donnez-moi votre saint amour?

 3. « Qui de vous, interroge le prophète, sera capable de séjourner dans le feu dévorant? » (Es 33, 14) (TOB, note n. En réalité le feu dévorant est dans le contexte symbole de la présence du Seigneur qui va se manifester contre les impies).

 Comme une bête féroce dévore un chevreau, ainsi le feu de l’enfer dévore le damné; il le dévore sans cesse, mais sans jamais le faire mourir.

 « Continue, s’écrie saint Pierre Damien, continue, pécheur; continue, voluptueux, à satisfaire ta chair. Le jour approche où toutes tes impuretés se changeront en une poix bouillante; elles ne serviront qu’à nourrir, à rendre plus vives et plus cruelles les flammes qui te tourmenteront pendant l’éternité ». (S. Pierre Damien, Le célibat des prêtres, ch. 3; PL 145, 385).

 Ô  mon Dieu, que j’ai méprisé et que j’ai perdu, pardonnez-moi; ne permettez pas que je vous perde encore. Je suis affligé plus que de tout mal de vous avoir offensé. Recevez-moi dans votre grâce, maintenant que je vous promets de vous aimer et de n’aimer que vous.

 Très sainte Marie, délivrez-moi de l’enfer.

POUR BIEN MOURIR, IL FAUT PENSER À LA MORT

 1. Les mondains sont très attentifs à chasser la pensée de la mort, comme si, pour échapper à la mort, il suffisait de ne pas y penser. Mais, hélas! En fuyant la pensée de la mort, que font-ils, sinon se mettre en un plus grand danger de faire une mauvaise mort?

 Il n’y a pas de remède contre la mort: tôt ou tard il faut mourir, et, chose qui doit être souverainement prise en considération, on ne meurt qu’une fois; mourir mal cette unique fois, c’est mourir mal pour toujours.

 Je vous remercie, ô mon Dieu, de la lumière que vous me donnez. Je n’ai que trop perdu d’années jusqu’ici! Tout le reste de ma vie, je veux vous le consacrer. Dites-moi ce que vous voulez que je fasse: je n’ai qu’une ambition, vous plaire en tout.

 2. Quand les saints fuyaient le monde, s’enfonçaient dans les déserts pour s’assurer une bonne mort, ils n’emportaient avec eux que l’un ou l’autre livre spirituel, et une tête de mort. À la vue de cette tête de mort, ils se redisaient sans cesse: « Mon corps ressemblera bientôt à ces os desséchés; mais mon âme, où sera-t-elle alors? » (Vie des Pères, SS. Balaam et Josaphat, liv. 1, ch. 23; PL 73, 531). Aussi, tous leurs efforts tendaient-ils à l’acquisition des biens, non de la vie présente qui passe, mais de la vie qui ne passe pas.

 Seigneur, je vous remercie de ne m’avoir pas fait mourir quand j’étais en état de péché. Je me repens de vous avoir offensé; j’espère obtenir mon pardon par les mérites de votre sang. Mon Jésus, je veux me détacher de tout et faire tout ce que je puis pour vous contenter.

 3. Sur le point de mourir, un saint ermite laissait éclater sa joie. On lui demanda la raison de cette surprenante allégresse: « J’ai toujours eu la mort devant les yeux, répondit-il; maintenant que je la vois arriver, elle ne m’épouvante pas ». (G. Campadelli, Sermoni sacri morali, disc. 23 post Pent. Venise 1751, 553. Cet auteur était apprécié de saint Alphonse qui emporta le livre avec lui quand il fut nommé évêque de Sainte-Agathe-des-Goths). À ceux qui, pendant leur vie, n’ont cherché que la satisfaction de leurs mauvais penchants, sans s’occuper de leur fin dernière, la mort apporte l’effroi; mais elle n’offre rien d’effrayant à ceux qui, gardant toute leur vie la pensée de la mort, ont méprisé les biens terrestres et se sont efforcés de n’aimer que Dieu.

 Mon bien-aimé Sauveur, je vois que ma mort approche; je vois non moins clairement que je n’ai jamais rien fait pour vous, qui êtes mort pour moi. Non! Il n’en sera pas toujours ainsi. Je veux vous aimer ardemment avant de mourir, ô Dieu digne d’un amour infini! Par le passé, je n’ai fait que vous déshonorer par mes offenses: je m’en repens de tout mon coeur; je veux désormais vous honorer en vous aimant de toutes mes forces. Éclairez-moi, donnez-moi le courage d’accomplir ma résolution. Vous voulez que je sois tout à vous: tout à vous je veux être. Prêtez-moi toujours aide et secours. J’espère en vous.

 Ô Marie, ma Mère et mon Espérance, je me confie aussi en vous.

L’ÂME DEVANT LE TRIBUNAL DE JÉSUS CHRIST

 1. On a vu des criminels saisis d’une telle frayeur, au moment de leur comparution devant les Juges, qu’ils tremblaient de tous leurs membres et qu’une sueur froide les couvrait de la tête aux pieds. Pourtant, ils espéraient encore qu’on ne pourrait pas prouver leurs crimes, ou que les magistrats, d’eux-mêmes, adouciraient les peines méritées.

 Mais, ô ciel, qui dira jamais la terreur de l’âme coupable comparaissant au tribunal de Jésus Christ? Jésus Christ, c’est le Juge suprême, le Juge qui porte des sentences en toute rigueur de justice, le Juge à qui rien n’est caché. « Je suis moi-même, lui dira-t-il alors, le Juge et le témoin » (Jr 29, 23). J’ai vu toutes les injures que tu m’as faites…

 Mon Jésus, si l’heure de mon jugement avait déjà sonné, c’est avec cette rigueur que vous m’auriez traité! Mais maintenant, je vous entends dire que, si je me repens de vous avoir offensé, vous oublierez tous mes torts envers vous: « Je ne me souviendrai plus d’aucune de ses iniquités » (Ez 18, 22).

 2. C’est le sentiment des docteurs que le jugement particulier se tient à l’endroit même où l’âme se sépare du corps et qu’au moment précis où l’homme expire, se décide la question de son éternité, heureuse ou malheureuse.

 Si l’âme a le malheur d’être en état de péché mortel, que répondra-t-elle à Jésus Christ, lorsqu’il fera passer sous ses yeux, en un clin d’oeil, toutes les miséricordes, toutes les années, toutes les invitations, tous les autres moyens prodigués pour la sauver?

 Jésus, mon Rédempteur, vous condamnez les pécheurs obstinés, mais non pas ceux qui vous aiment et se repentent de vous avoir offensé. Je suis pécheur, mais je vous aime plus que moi-même, et je suis souverainement affligé de vous avoir causé du déplaisir. Je vous en supplie, pardonnez-moi avant que vous ayez à me juger.

 3. « À l’heure que vous ne pensez pas, le Fils de l’homme viendra » (Luc 12, 40).

 Ô Mon Jésus! Ô mon divin Juge! Quand, après ma mort, je comparaîtrai devant vous, vos plaies sacrées seront pour moi, sans doute, un sujet d’effroi, car elles me reprocheront mon ingratitude envers cet immense amour qui vous fit souffrir et mourir pour me sauver; maintenant, elles me remplissent de courage et me donnent l’espoir d’être pardonné par vous, mon Rédempteur! N’est-ce pas pour n’avoir pas à me condamner que vous avez voulu délibérément être couvert de plaies et crucifié pour mon amour? « Venez donc au secours de vos serviteurs que vous avez rachetés par votre précieux sang ». (Hymne: Te Deum). De grâce, ô mon Jésus, ayez pitié de l’une de ces brebis pour lesquelles vous avez répandu votre Sang adorable. Autrefois, je vous ai méprisé; maintenant j’estime plus que toutes choses vos infinies perfections, et je vous aime plus que toutes choses. Faites-moi connaître les moyens que je dois prendre pour me sauver; donnez-moi la force d’accomplir en tout votre volonté! Loin de moi le malheur d’abuser de votre bonté! Vous m’avez enchaîné par vos bienfaits: je ne puis plus vivre loin de vous et sans vous aimer.

 Ô Marie, Mère de miséricorde, ayez compassion de moi.

LE MOMENT DE LA MORT

 1. Quel moment que celui d’où dépend notre éternité!

 Oui, quelle minute importante, que la dernière minute de notre vie! Quel soupir important, que le dernier soupir de nos lèvres! Il vaut une éternité de toutes les joies, ou bien une éternité de tous les supplices; il vaut une vie à jamais heureuse, ou bien une vie à jamais malheureuse. Quelle folie donc de s’exposer, pour un plaisir misérable et fugitif, au danger de faire une mauvaise mort, aussitôt suivie d’une éternité de tourments!

 Ô ciel! Quel sera le dernier instant de ma vie ici-bas? Que deviendrai-je alors? Mon Jésus, vous êtes mort pour me sauver; ne permettez pas que je me perde, ni que je vous perde, vous, mon unique Bien.

 2. Représentez-vous par l’imagination les infortunés criminels condamnés par la justice à jouer leur vie au sort. Comme ils tremblent en ouvrant la main pour amener ce coup de dé qui va décider de leur vie ou de leur mort? Dites-moi, mon cher lecteur: si vous courriez pareil péril, que ne donneriez-vous pas pour en être libéré? Or, c’est un article de foi, qu’un jour sonnera pour vous l’heure grave entre toutes ? d’où dépend votre vie éternelle ou votre mort éternelle. « Me voici sur le point, ? me direz vous alors, ? de devenir heureux pour toujours avec Dieu, ou malheureux à jamais loin de Dieu! »

 Non, je ne veux pas vous perdre, ô mon Dieu! Si, par le passé, je vous ai perdu, je m’en repens, j’en suis désolé. Je ne veux plus jamais vous perdre.

 3. Ou nous croyons, ou nous ne croyons pas. Si nous croyons qu’il y a une éternité, qu’il faut mourir et qu’on ne meurt qu’une fois; partant, que manquer son salut au moment de la mort, c’est le manquer pour toujours, sans espoir aucun de remédier à ce désastre: pourquoi ne pas nous résoudre à supprimer tout danger de nous perdre, à prendre tous les moyens de nous assurer une bonne mort? On ne saurait prendre trop de précautions, quand il s’agit de vie éternelle. Chaque jour qui s’écoule, est une grâce que Dieu nous donne, afin que nos comptes soient en règle à l’heure de la mort. Hâtons-nous; car nous n’avons que peu de temps à perdre.

 Me voici, ô mon Dieu, dites-moi ce que je dois faire pour me sauver. Tout ce que vous m’indiquerez, je suis prêt à l’accomplir. Je vous ai tourné le dos, je m’en repens souverainement, j’en voudrais mourir de douleur. Seigneur, pardonnez-moi; ne permettez pas que je vous abandonne encore. Je vous aime plus que toute chose; je ne veux plus jamais cesser de vous aimer.

 Sainte Vierge Marie, obtenez-moi la sainte persévérance.

JE PUIS MOURIR SUBITEMENT

 1. Rien de plus certain que la mort; rien de plus incertain que l’heure de la mort! Que le Seigneur ait fixé l’année et le jour où chacun de nous doit mourir, c’est certain; mais cette année, ce jour, nous ne les connaissons pas, et Dieu veut que nous ne les connaissions pas. Pourquoi? Afin que nous nous tenions toujours prêts à mourir.

 Je vous remercie, mon Jésus, de m’avoir attendu, de ne m’avoir pas frappé de mort, quand j’étais en état de péché. Je veux employer tout le reste de ma vie uniquement à pleurer mes péchés, à vous aimer de toutes mes forces. Puisque je dois mourir, je veux, avec le secours de votre grâce, me préparer à faire une bonne mort.

 2. Jésus Christ nous avertit cependant de notre dernière heure, quand il dit: « À l’heure que vous ne penserez pas, le Fils de l’homme viendra » (Lc 12, 40). Quelle sera donc l’heure de notre mort? Celle où nous pensons le moins à mourir. Ainsi saint Bernard conclut-il sagement: « Puisque la mort peut nous frapper à chaque instant, c’est une nécessité pour nous qu’à chaque instant nous l’attendions et tenions nos comptes prêts. » (S. Bernard (Hughes de saint Victor selon Glorieux 71), La condition humaine, ch. 3, n. 10; PL 184, 491).

 Non, ô mon Jésus, je ne veux pas attendre la mort pour me donner à vous. Vous avez dit: « Cherchez, et vous trouverez » (Mt 7, 7). Quiconque, donc, vous cherche, vous trouve. Je vous cherche, je vous désire, ô Bonté infinie, je me repens de vous avoir offensée; je ne veux plus désormais vous faire aucune peine.

 3. Donc, mon cher lecteur, quand vous êtes tenté de pécher sous prétexte que vous vous confesserez demain, dites-vous à vous-même. Qui sait si ce jour, cet instant où je vais pécher, ne sera pas le dernier de ma vie? Si je meurs à cet instant-là, où irai-je? Ô ciel! Combien de malheureux furent emportés par la mort dans le temps même qu’ils goûtaient le fruit défendu! Le démon vous dira: « Ce malheur ne t’arrivera pas. » Répondez-lui: « S’il m’arrive, quel sera mon sort durant toute l’éternité? »

 En effet, ô mon Dieu, pourquoi serais-je préservé de la mort imprévue qui frappa tant d’infortunés? Combien gémissent en enfer pour des péchés moins nombreux que les miens! Mon Jésus, je vous remercie de votre longue patience à me supporter et des lumières que vous me donnez maintenant. J’ai mal fait de vous abandonner, je voudrais en mourir de douleur. Puisque vous m’accordez encore du temps, je ne veux plus penser désormais qu’à vous aimer. Vous-même aidez-moi de votre grâce.

 Vous aussi, ô Marie, aidez-moi par vos prières.

LE JUGEMENT GÉNÉRAL

 1. « Jour de colère… jour d’affliction et de misère » (So 1, 15).

 Tel sera, d’après la sainte Écriture, le jugement général pour tous ceux que la mort aura frappés en état de péché mortel. Alors, en effet, ces malheureux verront toutes leurs iniquités, même les plus secrètes, dévoilées devant le genre humain tout entier; ils seront publiquement chassés de la compagnie des saints et jetés dans la prison éternelle de l’enfer, pour y subir une mort ininterrompue.

 Saint Jérôme, retiré dans sa grotte de Bethléem, passant les jours et les nuits dans la prière et les austérités, tremblait à la seule pensée du jugement général. (Sur la crainte du jugement éprouvé par S. Jérôme; PL 22, 354 et 644). Le vénérable Juvénal Ancina, pendant qu’il écoutait attentivement le chant du Dies Irae, dies illa, fut saisi d’une telle frayeur, à la pensée du jugement universel, qu’il quitta le monde et se fit religieux. (G. Forti, Vita del Ven. Servo di Dio Giovenale Ancina, ch. 4, Macerata 1679, 15-16: « En 1572, à l’âge de 27 ans, un matin il s’attarda à écouter une messe chantée des défunts… Quand ces paroles: « Dies irae, dies illa, etc. » vinrent frapper ses oreilles, ce furent autant de flèches qui lui percèrent le coeur et le déterminèrent à se consacrer au service de Dieu. »)

 Ô mon Jésus! En ce jour redoutable, qu’en sera-t-il de moi? Où me trouverai-je? À droite, avec les élus? À gauche, avec les réprouvés? Je sais que j’ai mérité d’être à votre gauche; mais je sais aussi que vous pouvez encore me pardonner, si je me repens de vous avoir offensé. Oh! Oui, je m’en repens de tout mon coeur; je veux mourir plutôt que de vous offenser encore.

 2. Jour d’épouvante et de torture pour les damnés, le jour du jugement final sera pour les élus un jour de triomphe et d’allégresse. Car alors, en présence de tous les hommes réunis, leurs âmes bienheureuses seront proclamées reines du paradis, épouses bien-aimées de l’Agneau sans tache.

 Mon Jésus, votre Sang est mon espérance. Daignez oublier mes outrages, embrasez-moi tout entier de votre saint amour, Je vous aime, ô mon Souverain Bien; j’espère me trouver au dernier jugement parmi les âmes aimantes, destinées à vous louer et à vous aimer durant toute l’éternité.

 3. Mon âme, choisis, et choisis sans retard.

 Veux-tu la couronne éternelle de ce bienheureux royaume où l’on voit, où l’on aime Dieu face à face dans la compagnie des Saints, des Anges, de la divine Mère? Veux-tu la prison éternelle de l’enfer, où l’on pleure à jamais, abandonné de toutes les créatures et privé de Dieu? Ô mon âme, fais ton choix.

 « Agneau de Dieu, qui enlève le péché du monde, prends pitié de nous! »

 Oui, divin Agneau, vous qui, pour nous préserver de l’enfer, avez voulu sacrifier votre vie en mourant de douleur sur une croix, ayez pitié de nous, mais ayez surtout pitié de moi, qui vous ai offensé plus que les autres, je veux vous aimer plus que les autres. Je suis souverainement affligé de vous avoir déshonoré par mes péchés; j’espère vous rendre gloire au jour du jugement, devant tous les hommes et tous les anges, en proclamant vos miséricordes envers moi. Mon Jésus, aidez-moi à vous aimer; je ne veux que vous, rien de plus.

 Ô Marie, ma Reine, en ce grand jour, tenez-moi près de vous.

POUR FAIRE SON SALUT, IL FAUT PRENDRE DE LA PEINE

 1. Pour se sauver, il ne suffit pas de faire juste, ou à peu près, ce qui est absolument commandé, absolument nécessaire. ? Certains, par exemple, se proposent d’éviter tous les péchés mortels, mais ne tiennent aucun compte des péchés véniels: ils finiront par tomber, sans grande résistance, dans le péché mortel, et ne se sauveront pas. D’autres sont décidés à fuir les occasions de péché, mais seulement les occasions prochaines; ils demeurent attachés aux occasions éloignées; il leur arrivera facilement de tomber dans le péché grave, et, partant, ne se sauveront pas.

 Ô ciel! Quel zèle ne met-on pas au service des grands de la terre! On évite de leur causer le moindre déplaisir par crainte de perdre leurs bonnes grâces; mais, hélas! Quelle négligence au service de Dieu! Que de précautions prises pour écarter tout danger de compromettre la vie du corps; quelle témérité, par contre, en face des périls que court la vie de l’âme!

 Je le reconnais, ô mon Dieu, jusqu’ici je me suis rendu coupable, à votre service, de la plus lamentable négligence; je veux désormais vous servir avec la plus grande sollicitude. Daignez m’aider.

 2. Mon frère, si Dieu lésinait avec vous comme vous lésinez avec lui, que vous seriez à plaindre! S’il décidait de ne vous donner que la grâce strictement suffisante, arriveriez-vous au salut? Vous pourriez, à la rigueur, vous sauver; mais en fait, vous ne vous sauveriez pas. Cela, pour une raison: dans la vie il se présente souvent des tentations tellement violentes, qu’il est moralement impossible d’y résister sans un secours spécial de Dieu. Or, ces secours spéciaux, Dieu les refuse à ceux qui sont avares envers lui: « Celui qui sème peu, moissonne peu » (2 Co 9, 6), dit l’Apôtre. Il est juste que, donnant peu, l’on reçoive peu.

 Seigneur, ce n’est pas avec parcimonie que vous m’avez traité. J’ai payé vos faveurs par l’ingratitude, par le grand nombre de mes nouvelles offenses; et vous, au lieu de me châtier, vous avez redoublé vos grâces! Non, non! Mon Dieu! Je ne veux plus être ingrat, comme je le fus par le passé.

 3. Le salut n’est pas une entreprise facile, mais difficile, même très difficile. Nous portons avec nous une chair rebelle, toujours prête à se révolter contre la raison, toujours prompte à nous entraîner dans les plaisirs des sens. Autour de nous, que d’ennemis suscités par le monde et par l’enfer! Ennemis du dehors, ennemis du dedans, tous nous poussent violemment au mal.

 Sans doute il y a la grâce de Dieu, qui ne nous abandonne jamais; mais la grâce ne fait pas tout. Elle exige qu’avec son secours nous prenions la peine de résister vigoureusement aux tentations, surtout de prier pour obtenir un secours plus puissant dans les périls plus grands.

 Mon Jésus, je ne veux plus jamais me voir séparé de vous et privé de votre amour. Jusqu’ici, je ne vous ai témoigné que de l’ingratitude en vous tournant le dos bien souvent; maintenant, je vous aime de toute mon âme; je crains moins tous les maux que l’affreux malheur de ne plus vous aimer. Vous connaissez ma faiblesse, aidez-moi; je mets en Vous ma confiance.

 Ô Marie, ma Reine, ne cessez pas de prier pour moi.

COMPARUTION DANS LA VALLÉE DE JOSAPHAT

 1. « Les Anges descendront du ciel, et ils sépareront les méchants d’avec les justes » (Mt 13, 49).

 Quelle ne serait pas la confusion d’une personne qui, surprise dans une église au milieu d’un grand nombre de fidèles, se verrait traînée dehors à coup de pied, comme ayant encouru par ses crimes la plus grave des sentences ecclésiastiques, l’excommunication? Incomparablement plus grande sera la honte des réprouvés, lorsque, pour leurs iniquités enfin dévoilées, ils se verront chassés de la compagnie des saints sous les yeux de tous les hommes.

 Aussi longtemps que dure la scène de ce monde, nous voyons les méchants comblés d’honneurs autant, et même plus que les bons. Au dernier jour, quand la scène aura pris fin, les bons, rangés à droite, s’élèveront dans les airs comme pour aller à la rencontre du divin Juge qui vient les couronner: « Nous serons emportés sur les nuées au-devant du Christ dans les airs » (1 Th 4, 16). Par contre, les damnés, ignominieusement relégués à gauche, entourés des démons, leurs bourreaux, attendent la venue du divin Juge qui doit prononcer leur condamnation devant le genre humain tout entier.

 Insensés partisans du monde, vous qui méprisez maintenant la conduite des vrais chrétiens, je vous attends à la vallée de Josaphat! Là, vous changerez de sentiment. Alors vous reconnaîtrez votre folie, irrémédiable, hélas!

 2. Quelle belle figure feront en ce jour les saints qui se seront détachés de tout pour Jésus Christ, tant de jeunes gens qui, foulant aux pieds richesses et plaisirs terrestres, se seront retirés dans les déserts ou dans les cloîtres pour ne songer qu’à leur salut éternel; tant de martyrs accablés de tourments et d’opprobres par la cruauté des tyrans! Quelle gloire quand ils seront proclamés pour l’éternité, membres de la Cour royale de Jésus Christ! Quelle triste figure, au contraire, feront alors les Hérode, les Pilate, les Néron, tant d’autres qui auront tenu grande place parmi les hommes, mais seront morts dans la disgrâce de Dieu!

 Mon Dieu, j’embrasse votre croix. Quelle valeur ont à mes yeux les richesses, les honneurs, le monde? Je ne veux que vous, rien de plus.

 3. Mon âme, où sera ta place en ce jour? À droite? À gauche?

 Veux-tu te trouver à droite? Prends-en le chemin; car il est impossible que, par le chemin qui mène à gauche, on arrive à droite.

 Agneau de Dieu, venu sur la terre pour effacer les péchés, ayez pitié de moi. Je suis désolé de vous avoir offensé; je vous aime plus que toute chose. Ne permettez pas que je vous offense encore. Je ne vous demande pas les biens de la terre; donnez-moi votre grâce et votre amour. (S. Ignace de Loyola. Prière Suscipe Domine: « Donnez-moi seulement votre amour et votre grâce, je suis assez riche, et je ne vous demande rien de plus. »). Je ne vous demande rien de plus.

 Ô Marie, vous êtes mon Refuge et mon Espérance.

BIENHEUREUSE MORT DES JUSTES

 1. Pour les justes, la mort n’est pas un châtiment, mais une récompense; loin de la redouter, ils la désirent. Comment, en effet, l’auraient-ils en horreur, puisqu’elle est la fin de leurs souffrances, de leurs combats, et qu’elle les met à l’abri de tout risque de perdre Dieu? « Partez, âme chrétienne, partez de ce monde. » Cette exhortation du prêtre, qui jette les pécheurs dans l’épouvante, est un sujet d’allégresse pour les vrais amis de Dieu.

 Assurément, il leur faut quitter tous les biens de ce monde; mais cette séparation ne les afflige pas, parce que Dieu fut toujours leur unique Bien. La perte des honneurs, des dignités, ne les afflige pas davantage; car ils les méprisèrent toujours, les estimèrent toujours à leur juste valeur, c’est-à-dire comme de la fumée. S’attristent-ils de la nécessité de quitter leurs amis et leurs proches? Non, parce qu’ils ne les aimèrent que pour Dieu. Ainsi, de même qu’ils allaient par le chemin de la vie disant et redisant: « Mon Dieu, mon Tout »; sur leur lit de mort, mais avec une joie plus vive, ils renouvellent, ils multiplient cet acte d’amour, dans la certitude de voir bientôt leur Dieu et de l’aimer enfin face à face en Paradis.

 2. Les suprêmes douleurs, celles de la mort, sont-elles un sujet d’affliction pour les justes? Loin de là; ils s’en réjouissent, ils se font un bonheur d’offrir les derniers restes de leur vie en témoignages de leur amour pour Dieu, en union avec les souffrances de Jésus mourant sur la croix. La seule pensée qu’ils seront bientôt dans l’impossibilité de pécher et de perdre Dieu, les comble de joie. L’enfer, il est vrai, tente de les jeter dans le désespoir en leur rappelant les fautes de la vie passée; mais ne les ont-ils pas pleurées durant des années? Depuis des années aussi, n’aiment-ils pas Jésus Christ de tout leur coeur? Dès lors, comment Jésus Christ ne les remplirait-il pas de confiance?

 Ah! Mon Jésus, que vous êtes bon pour l’âme qui vous aime et vous cherche! Quelle fidélité vous lui gardez!

 3. Aux approches de la mort, les pécheurs impénitents sont en proie aux angoisses intérieurs, aux fureurs du désespoir: ce sont les premières atteintes de leur éternel enfer. Les justes, au contraire, éprouvent à leurs derniers instants un avant-goût du ciel. Leurs actes de confiance et d’amour multipliés, leurs désirs ardents de voir la face de Dieu, leur apportent les prémices de cette joie qui s’épanouira complètement là-haut. Quelle allégresse de voir le prêtre entrer dans leur chambre avec la très sainte Eucharistie, la nourriture de ceux qui vont faire le grand voyage de l’éternité! Ils s’écrient alors comme saint Philippe de Néri devant le Viatique: « Voici mon Amour! Donnez-moi mon Amour! » (G. Bacci, La vie admirable de saint Philippe Néri, trad. R. P. N. C. liv. 4, ch. 1, n. 4, Lyon 1643, 434).

 Mais moi, Seigneur Jésus, qui vous ai tant offensé, je vous dirai plutôt avec saint Bernard: « Vos plaies sont mes seuls mérites », (L. A. Muratori, Esercizi spirituali esposti secondo il metodo del P. Paolo Segneri iuniore, Venise 1739, 62: « Vulnera tua, merita mea, dit S. Bernard, Vos plaies, ô mon Jésus, sont mes mérites »), et toute mon espérance. De grâce, ô mon Dieu, si maintenant je possède votre amitié, comme j’en ai la confiance, faites-moi mourir sans délai, afin que sans délai j’aille vous voir et vous aimer face à face, dans la certitude de ne pouvoir plus vous perdre.

 Marie, ma Mère, obtenez-moi la grâce d’une sainte mort.

JUGEONS DE TOUTES CHOSES COMME SI NOUS ÉTIONS SUR LE POINT DE MOURIR

 1. Si j’étais maintenant sur mon lit de mort, en proie aux râles de l’agonie, sur le point de rendre le dernier soupir, pour comparaître aussitôt devant le souverain Juge, que ne voudrais-je pas avoir fait pour Dieu? Que ne donnerais-je pas pour obtenir quelques jours de vie en vue de mieux assurer mon salut éternel? Malheur à moi, si je ne profite pas de la lumière que Dieu me donne présentement, si, sans délai, je ne change pas de conduite! « Il appela contre moi le temps » (Lm 1, 15), dit le prophète. Un jour, quand le temps sera presque tout entier écoulé pour moi, ce temps que m’accorde si largement la miséricorde de Dieu, ne servira plus qu’à me bourreler de cuisants remords.

 Mon Jésus, vous avez employé toute votre vie à me sauver; mais moi, depuis tant d’années que je suis au monde, qu’ai-je fait pour vous? Hélas! Quand j’examine mes oeuvres, je n’y vois que des sujets d’affliction et de reproches intérieurs.

 2. Ô mon âme, Dieu te donne maintenant du temps; à quoi veux-tu l’employer? Décide-toi sans retard. Eh quoi! Tu hésites? Veux-tu donc attendre que le flambeau funèbre s’allume pour te montrer ta coupable négligence, devenue irrémédiable? Attendre que retentisse à ton oreille le : « Partez, âme chrétienne », l’ordre de départ qu’il faut exécuter aussitôt?

 Non, mon Dieu, je ne veux plus abuser des lumières que vous m’accordez. Assez, assez d’abus dans le passé! Je vous remercie de votre nouvel avertissement: peut-être est-ce dernier! Mais cette lumière même que vous me donnez, est un signe que vous ne m’abandonnez pas et que vous voulez me faire miséricorde. Mon bien-aimé Seigneur, je suis affligé plus que de tout autre mal d’avoir tant de fois méprisé votre grâce et vos appels; je veux désormais, avec votre secours, vivre sans vous offenser.

 3. Hélas! Combien de chrétiens meurent fort incertains de leur salut! « Nous avons eu le temps de servir Dieu, se disent-ils, nous ne l’avons pas fait! Arrivés à l’article de la mort, nous voyons clairement que le temps nous manque pour bien faire! Il ne nous reste qu’une obligation à remplir: rendre compte des bonnes inspirations reçues et repoussées. Que répondre au souverain Juge? »

 Seigneur, je ne veux pas mourir dans cette angoisse. Que voulez-vous que je fasse? Daignez me le dire. Faites-moi bien connaître le genre de vie que je dois embrasser; je veux vous obéir en tout. Par le passé, j’ai méprisé vos commandements; maintenant je m’en repens de tout mon coeur et je vous aime plus que toute chose.

 Ô Marie, Refuge des pécheurs, recommandez mon âme à votre divin Fils.

SENTENCE DES RÉPROUVÉS AU JUGEMENT GÉNÉRAL

 1. Considère, ô mon âme, quel supplice et quelle confusion doivent subir les réprouvés au dernier jour du monde! Ils sont témoins d’un double spectacle: d’un côté, les élus resplendissants de gloire attendant, au comble de la joie, que Jésus Christ leur adresse l’invitation de le suivre en Paradis: « Venez, les bénis de mon Père! » (Mt 25, 34): ? quel supplice pour les réprouvés! ? ; de l’autre, ils se voient eux-mêmes entourés de démons traînés de force devant le Juge suprême pour entendre leur sentence de condamnation: « Retirez-vous loin de moi! » (Mt 25, 41), leur dira Jésus Christ devant l’univers entier. Quelle confusion écrasante pour eux!

 Ah! Mon Rédempteur, qu’elle ne soit pas perdue pour moi, la mort cruelle que vous avez endurée pour mon salut avec tant d’amour!

 2. « Retirez-vous de moi, maudits; allez au feu éternel! » (Mt 25, 41). Voilà leur sentence; voilà leur sort à jamais misérable: vivre éternellement plongés dans le feu, éternellement maudits et séparés de Dieu! Les chrétiens croient-ils à l’existence de l’enfer? Mais alors, comment se fait-il qu’un si grand nombre d’entre eux aillent volontairement au devant d’une condamnation aussi redoutable?

 Ah! Seigneur, au dernier jour, ne serai-je pas moi-même l’un de ces condamnés? Par les mérites de votre Sang, j’espère que non; mais qui m’en donne la certitude? Seigneur, éclairez-moi, faites-moi connaître ce que je dois faire pour éviter cet affreux malheur, hélas! Par trop mérité jusqu’ici. Seigneur, miséricorde!

 3. Au milieu de la vallée du jugement, s’ouvrira soudain un grand abîme. Démons et réprouvés y tomberont tous ensemble, et tous ensemble entendront se fermer sur eux ces portes qui resteront fermées éternellement. Ô péché maudit, quelle triste fin tu prépares à tant d’âmes infortunées! Ô malheureux pécheurs, cette fin lamentable sera votre partage pendant toute l’éternité!

 Mon Dieu, quel sera mon sort? Une chose m’épouvante plus que le feu même de l’enfer, c’est l’intolérable pensée d’être à jamais éloigné, séparé de vous, mon unique Bien! Mon bien-aimé Rédempteur, que de fois je vous ai méprisé! Mais maintenant je vous aime plus que tout au monde; je vous aime de tout mon coeur, je sais que le supplice de l’éternel bannissement loin de vous, n’est pas pour ceux qui vous aiment; car ceux qui vous aiment ne peuvent être à jamais séparés de vous. Donnez-moi donc votre amour, faites que je vous aime toujours! Liez-moi, enchaînez-moi, ajoutez chaînes sur chaînes, afin que je sois dans l’impossibilité de me séparer de vous. Puis, faites de moi ce qu’il vous plaît.

 Ô Marie, Avocate des malheureux, ne cessez pas de me protéger.

SENTENCE DES ÉLUS

 1. « Venez, les bénis de mon Père » (Mt 25, 34).

 Voilà quelle glorieuse sentence prononcera le souverain Juge sur ceux qui l’auront aimé! Aussi le grand jour du Jugement général sera-t-il pour eux un jour de triomphe. Saint François d’Assise, ayant appris par révélation qu’il était prédestiné (Th. De Celano, Vita prima, DV 213; Fioretti, DV 1112), faillit en mourir de joie à l’instant même: quelle sera donc l’allégresse des élus, lorsqu’ils entendront Jésus Christ les appeler « enfants bénis »: « Venez enfants bénis de mon Père », venez posséder l’héritage de votre divin Père, le bienheureux royaume du paradis!

 Ce royaume, hélas! Je l’ai tant de fois perdu par ma faute; mais, ô mon Jésus, j’espère, par vos mérites, l’obtenir encore. Mon bien-aimé Rédempteur, je vous aime et j’espère.

 2. La sentence les a tous proclamés rois. Ils se voient d’avance assis chacun sur un trône, ne formant tous ensemble qu’un coeur et qu’une âme, pour jouir éternellement de Dieu sans crainte de le perdre. Oh! Quelles chaleureuses félicitations mutuelles! Quel bonheur, quelle gloire, de faire leur entrée dans le ciel, la tête ceinte de la couronne royale, en chantant tous ensemble dans les transports de la joie la plus vive les louanges de Dieu! Heureuses, heureuses, les âmes prédestinées à cet éclatant triomphe!

 Ô Dieu de mon âme, que les liens du saint amour m’unissent étroitement à vous, afin qu’en ce dernier jour, j’aie, moi aussi, le bonheur de monter dans votre royaume pour vous louer à jamais. « Éternellement je chanterai, éternellement je chanterai les miséricordes du Seigneur » (Ps 89/88, 2).

 3. Ranimons notre foi. Il est certain que nous nous retrouverons un jour dans la vallée du Jugement; il est certain que l’une des deux sentences sera la nôtre, ou la sentence de vie éternelle, ou la sentence de mort éternelle. Avons-nous, en ce moment, l’espoir fondé d’obtenir la sentence favorable? Non? À l’oeuvre sans délai pour nous l’assurer: c’est-à-dire, fuite de toutes les occasions qui pourraient causer notre perte, vie d’étroite union à Jésus Christ par la fréquentation des sacrements, par la méditation, la lecture spirituelle, la prière incessante. L’usage ou la négligence de ces moyens sera pour chacun de nous le gage de notre salut ou de notre réprobation.

 Ô Jésus, mon bien-aimé Sauveur et mon Juge, les mérites de votre Sang me font espérer que vous me bénirez au jugement général; bénissez-moi donc dès maintenant en me pardonnant toutes mes offenses. Dites-moi ce que vous avez dit à Madeleine: « Tes péchés te sont remis » (Lc 7, 48). De tout mon coeur, je me repens de vous avoir offensé; pardonnez-moi. Daignez ajouter à la grâce du pardon celle de vous aimer toujours. Je vous aime, ô mon souverain Bien, je vous aime plus que moi-même, mon Trésor, mon Amour, mon Tout. « Vous êtes le Dieu de mon coeur, et mon partage, pour toujours » (Ps 73/72, 26). Mon Dieu, vous seul et rien de plus!

 Ô Marie, vous pouvez et vous voulez me sauver; je me confie en vous.