De l’Avènement de notre Seigneur et de ses six circonstances
1. Mes Frères, nous célébrons aujourd’hui le commencement de l’Avent. Le nom, comme celui des autres solennités, en est familier et connu de tout le monde; mais peut-être ne connaît-on pas aussi bien la raison pour laquelle il est ainsi appelé. Car, les infortunés enfants d’Adam négligeant les vérités salutaires, s’attachent de préférence aux choses fragiles et transitoires. A qui assimilerons-nous les hommes de cette génération, à qui les comparerons-nous quand nous voyons qu’on ne peut ni les enlever ni les arracher aux consolations matérielles de la terre ? Je les comparerai aux gens qui se noient. En effet, voyez comme il serrent ce qu’ils peuvent saisir; rien ne saurait leur faire lâcher prise et quitter le premier objet qui s’est trouvé sous leur main quel qu’il soit, quand même il ne saurait leur être d’aucune utilité, comme des racines d’herbe et d’autres objets pareils. Et même, si quelqu’un vient à leur secours, ils le saisissent ordinairement de telle sorte, qu’ils l’entraînent avec eux et le mettent hors d’état de les sauver et de se sauver lui-même. Voilà comment les malheureux enfants d’Adam périssent dans cette mer vaste et profonde ; ils ne recherchent que des soutiens périssables et négligent les seuls dont la solidité leur permettrait de surnager et de sauver leurs âmes. Ce n’est pas de la vanité mais de la vérité qu’il a été dit: « Vous la connaîtrez et elle vous délivrera (Joan., VIII, 32). » Pour vous donc, mes Frères, vous à qui Dieu révèle comme à de petits enfants, les choses qui sont cachées aux sages et aux prudents du monde, appliquez avec soin toutes vos pensées à ce qui est vraiment salutaire, pesez attentivement la raison de l’Avent et demandez-vous quel est celui qui vient, pourquoi il vient, quand il vient et par où il vient. C’est là une curiosité louable et salutaire ; car l’Eglise ne célébrerait point l’Avent avec tant de piété, s’il ne cachait pour nous quelque grand mystère.
2. En premier lieu, considérez avec le même étonnement et la même admiration que l’Apôtre, quel est celui qui vient. C’est, dit l’ange Gabriel, le Fils même du Très-Haut, Très-Haut lui-même par conséquent. Car on ne saurait sans crime penser que Dieu a un Fils dégénéré ; il faut donc le proclamer l’égal de son Père en grandeur et en dignité. Qui ne sait en effet, que les enfants des princes sont eux-mêmes princes et que les fils de rois sont rois? D’où vient cependant que des trois personnes que nous croyons, que nous confessons et que nous adorons, dans la suprême Trinité, ce n’est ni le Père, ni le Saint-Esprit, mais le Fils qui vient? Je ne saurais croire qu’il en est ainsi sans cause aucune. Mais qui a pénétré les desseins de Dieu? Ou qui est entré dans le secret de ses conseils (Rom., XI, 34)? Or, ce n’est point sans un très profond dessein de la Trinité qu’il a été réglé que ce serait le Fils qui viendrait. Si nous considérons la cause de notre exil, peut-être pourrons-nous connaître, du moins en partie, quelle convenance il y avait que nous fussions sauvés plutôt par le Fils de Dieu que par l’une des deux autres personnes divines. En effet, ce Lucifer qui se levait le matin, ayant voulu se faire semblable au Très-Haut et tenté de se rendre égal à Dieu, ce qui est le propre du Fils, fut à l’instant précipité du haut du Ciel, parce que le Père prit la défense de la gloire de son Fils et montra par les faits la vérité de ce qu’il dit quelque part : « La vengeance m’est réservée et c’est moi qui l’exercerai (Rom., XII, 19). » Et je voyais alors Satan tomber du Ciel comme un éclair (Luc, X, 18). Qu’as-tu donc à t’enorgueillir, ô toi qui n’es que cendre et que poussière ? Si Dieu n’a point épargné les anges eux-mêmes dans leur orgueil, combien moins t’épargnera-t-il toi qui n’es que corruption, que ver? Satan n’avait rien fait, il n’était encore coupable que d’une pensée d’orgueil, et à l’instant même, en un clin d’œil, il se voit à jamais précipité dans l’abîme, parce que, selon l’Evangéliste : « Il n’est point resté ferme dans la vérité (Joan., VIII, 44). »
3. O mes Frères, fuyez, fuyez l’orgueil de toutes vos forces, je vous en conjure. L’orgueil est le principe de tout péché, c’est lui qui a si rapidement plongé dans d’éternelles ténèbres ce Lucifer, qui brillait naguère d’un plus vif éclat que tous les astres ensemble ; c’est lui, dis-je, qui a changé en un démon non pas un ange seulement, mais le premier des anges. Après cela, devenant tout à coup jaloux du bonheur de l’homme, il fit naître, dans le cœur de ce dernier, l’iniquité qu’il avait d’abord conçue dans le sien, et lui conseilla de manger du fruit défendu, en lui disant qu’il deviendrait aussi semblable à Dieu, connaissant le bien et le mal. O malheureux, quelles espérances donnes-tu, que promets-tu à l’homme, quand il n’y a que le Fils du Très-Haut qui ait la clef de la science, ou plutôt quand il n’y a que lui qui soit « la clef de David qui ouvre, et personne ne ferme (Apoc., III, 7)? » C’est en lui que tous les trésors de la sagesse et de la science divines se trouvent renfermés (Coloss., II, 3) ; iras-tu les dérober pour en faire part à l’homme ? Voyez si, comme le dit le Seigneur lui-même, « Il n’est pas un menteur et le père même du mensonge (Joan., VIII, 44). » En effet ne ment-il point quand il dit : « Je serai semblable au Très-Haut (Isa., XIV, 94)? » Et n’est-il pas le père même du mensonge, quand il sème dans le cœur de l’homme le germe de ses faussetés, en lui disant : « Vous serez comme des dieux (Gen., III, 5) ? » Et toi, ô homme, si tu vois le voleur, tu te mets à sa suite. Vous vous rappelez, mes frères, le passage d’Isaïe que nous lisions cette nuit, où il est dit: « Vos princes sont des infidèles (Isa., 1, 23), » ou, selon une autre version, « sont des désobéissants et les compagnons des voleurs. »
4. En effet nos premiers parents, Adam et Eve, la source de notre race, sont désobéissants, et compagnons de voleurs, puisqu’ils veulent, sur les conseils du serpent ou plutôt sur les conseils du diable lui-même par l’organe du serpent, ravir au Fils de Dieu ce qui lui appartient en propre. Mais Dieu le Père ne ferme point les yeux sur l’injure faite à son fils, « car le Père aime le Fils (Joan., V, 20), » et à l’instant même, il tire vengeance de l’homme et appesantit son bras sur nous. Tous en effet nous avons péché en Adam et tous nous avons été condamnés en lui. Que fera le Fils, en voyant que son Père prend en main sa défense et que pour lui il n’épargne aucune créature? Voilà, se dit-il, que mon Père, à cause de moi ; perd toutes ses créatures. Le premier des anges a voulu usurper la grandeur qui m’est propre et il a trouvé de l’écho parmi ses semblables. Mais à l’instant mon Père a pris avec ardeur la défense de ma cause en main, et il a frappé d’un coup cruel, d’une blessure incurable l’ange rebelle et tous ses partisans. De son côté l’homme a voulu aussi s’arroger la science qui est mon partage exclusif, et mon Père n’a point eu non plus pitié de lui, son œil ne l’a point épargné. « Dieu s’occupe-t-il des boeufs (I Cor., IX, 9) ? » Il avait fait deux nobles créatures, auxquelles il avait donné la raison en partage et qu’il avait faites susceptibles de bonheur, l’ange et l’homme. Or voici qu’à cause de moi il a perdu une multitude d’anges et tous les hommes. Mais moi, pour qu’ils sachent que j’aime mon Père, je veux lui rendre ceux qu’il semble n’avoir perdus qu’à cause de moi. « Si c’est à cause de moi que cette affreuse tempête s’est déchaînée sur vous, dit Jonas, prenez-moi et jetez-moi à la mer (Jonas, I, 12). » Ils portent tous un regard d’envie sur moi, eh bien! me voici, je vais me montrer à eux en tel état que quiconque voudra nie porter envie et ambitionnera de devenir semblable à moi, n’aura cette ambition et ce désir que pour son bien. Quant aux anges, je sais bien qu’ils n’ont déserté la bonne voie que par un sentiment mauvais et inique et qu’ils n’ont péché ni par faiblesse ni par ignorance, aussi ont-ils dû périr quoiqu’ils ne le voulussent point, car l’amour du Père et la majesté du Roi suprême éclatent dans son amour pour la justice (Psalm., XCVII, 3).
5. Voilà pourquoi il a créé les hommes dans le principe, c’était afin qu’ils prissent la place des anges et qu’ils réparassent les brèches de Jérusalem ; car il savait que pour les anges il n’y avait plus aucun moyen de retour. « Il connaissait en effet l’orgueil de Moab et voyait qu’il est superbe à l’excès (Isa., XVI, 6), » et que son orgueil est sans repentir et par conséquent sans pardon. Mais il n’a point fait une autre créature pour remplacer l’homme, voulant montrer par là qu’il pouvait encore être racheté ; il n’avait péri que par la malice d’un autre, il était juste par conséquent que la bonté d’un autre pût le sauver. Je vous en prie donc, Seigneur, daignez me tirer de là où je suis, parce que je suis faible et que j’ai été enlevé par fraude et par violence de mon pays, et qu’on m’a jeté dans cette fosse quoique je fusse innocent (Gen., XL, 15). Innocent, c’est peut-être beaucoup dire, mais ce n’est pas trop, eu égard à celui qui m’a séduit. Seigneur, on m’a fait croire un mensonge ; vienne maintenant la Vérité en personne, afin que la fausseté soit confondue, que je connaisse la vérité et que la vérité me délivre, si toutefois je sais renoncer au mensonge, quand on me l’aura montré, et embrasser la vérité lorsqu’on me l’aura fait connaître. Autrement ma tentation et mon péché ne seraient plus simplement la tentation et le péché de l’homme, mais l’obstination même du diable. Car c’est quelque chose de diabolique que de persévérer dans le mal, et quiconque ressemble au diable dans son péché est digne de périr avec lui.
6. Vous avez entendu, mes Frères, quel est celui qui vient, écoutez maintenant d’où et où il vient. Or il vient du sein de son Père dans celui d’une Vierge mère ; il vient du haut des Cieux dans ces basses régions de la terre. Mais quoi donc ? Ne faut-il point alors que nous vivions aussi sur la terre ? Oui, s’il y est resté lui-même. Car où pourrait-on être bien s’il n’y est pas, et mal s’il s’y trouve? « Car qu’y a-t-il pour moi dans le ciel même et que désiré-je sur la terre si ce n’est vous, Dieu de mon cœur et mon partage pour l’éternité (Psalm. LXXII, 25 et 26)? » Et quand même je marcherais au milieu des ombres mêmes de la mort, il n’est point de maux que je craindrais, si toutefois vous étiez avec moi (Psalm. XXII, 4). » Or je vois aujourd’hui qu’il est descendu non-seulement sur la terre, mais encore jusque dans les enfers, non pas comme un coupable chargé de liens, mais libre au milieu des morts, comme la lumière qui descend dans les ténèbres, mais que les ténèbres n’ont point comprise; aussi son âme ne reste-t-elle point dans les enfers et son corps ne connaît-il point la corruption du tombeau ; car le Christ qui est descendu du ciel est le même qui y est remonté pour accomplir tous les oracles, car c’est de lui qu’il a été dit : « Il faisait le bien en passant d’un lieu dans un autre et guérissait tous ceux qui étaient sous la puissance du diable (Act., X, 38), » et encore: «Il s’élance avec ardeur pour courir comme un géant dans la carrière, mais il part de l’extrémité du ciel (Psalm. XVIII, 7). » Aussi est-ce avec raison que l’Apôtre s’écrie: « Ne recherchez que ce qui est en haut, dans le ciel où Jésus-Christ est assis à la droite de Dieu (Coloss., III, 1).» C’est en vain qu’il se donnerait du mal pour porter nos cœurs en haut, s’il ne nous apprenait que l’auteur de notre salut s’y trouve. Mais voyons la suite ; car si le sujet est fécond et abondant, cependant le temps qui presse ne me permet pas de vous parler longuement. Ainsi quand nous nous sommes demandé quel est celui qui vient, nous avons trouvé que c’est un hôte d’une grande et ineffable majesté ; et, lorsque nous avons recherché d’où il vient, il s’est trouvé que nous avons vu se dérouler à nos yeux une route d’une longueur immense, selon ce qu’avait dit le Prophète sous l’inspiration de l’Esprit : « Voilà la majesté du Seigneur qui vient de loin (Isa., XXX, 27). » Enfin à cette question : Où vient-il? nous avons reconnu l’honneur inestimable et presque incompréhensible qu’il daigne nous faire en descendant de si haut dans l’horrible séjour de notre prison.
7. Mais à présent qui pourrait douter qu’il ne fallût rien moins qu’une bien grande cause pour qu’une si grande Majesté daignât descendre de si loin dans un séjour si peu digne d’elle ? En effet, le motif qui l’y a déterminé est tout à fait grand, car ce n’est rien moins qu’une grande miséricorde, une grande compassion et une immense charité. En effet, pour quoi devons-nous croire qu’il est venu ? C’est le point que nous avons maintenant à éclaircir. Nous n’avons pas besoin de nous donner beaucoup de mal pour cela, puisque ses paroles et ses actes nous crient bien haut le motif de sa venue. En effet, c’est pour chercher la centième brebis qui était perdue et errante qu’il est descendu en toute hâte des montagnes célestes ; c’est pour que ses miséricordes fissent comprendre mieux encore au Seigneur et que ses merveilles montrassent plus clairement aux hommes que c’est pour nous qu’il est venu. Combien grand est l’honneur que nous fait le Dieu qui nous vient chercher ! Mais aussi combien est grande la dignité de l’homme que Dieu recherche ainsi! Assurément s’il veut se glorifier de cela, ce ne sera point à lui une folie de le faire, non pas qu’il paraisse être quelque chose de son propre fond, mais parce que celui qui l’a fait l’estime lui-même à un si haut prix. Car ce ne sont point toutes les richesses du monde, ni toute la gloire d’ici-bas, ni rien de ce qui peut flatter nos désirs sur la terre qui fait notre grandeur, tout cela n’est même absolument rien en comparaison de l’homme lui-même. Seigneur, qu’est-ce donc que l’homme pour que vous le combliez de tant de gloire et pourquoi votre cœur est-il porté en sa faveur ?
8. Néanmoins je me demande pourquoi au lieu de venir à nous, n’est-ce point nous qui sommes allés à lui ; car outre que c’est notre intérêt qui est en question, ce n’est pas l’habitude que les riches aillent trouver les pauvres, même quand ils ont le désir de leur faire du bien. Il est vrai, mes Frères, c’était bien à nous à aller vers lui, mais nous en étions doublement empêchés; d’abord nos yeux étaient bien malades ; or il habite une lumière inaccessible (I Tim., VI, 16). Et puis nous étions paralysés et gisant sur notre grabat, nous ne pouvions donc nous élever jusqu’à Dieu qui demeure si haut. Voilà pourquoi le bon Sauveur et doux médecin de nos, âmes est descendu de là-haut où il habite et a voilé l’éclat de sa lumière pour nos yeux malades. Il s’est en quelque sorte placé dans une lanterne en prenant son glorieux corps, cette chair infiniment pure de toute souillure. C’est là, en effet, ce nuage léger et translucide dont parle le Prophète (Isa., XIX, 1), sur lequel il avait annoncé que le Seigneur monterait pour descendre en Egypte.
9. Il nous faut aussi considérer en quel temps est venu le Sauveur. Or il est venu ainsi que vous le savez, je le pense, non au commencement, ni au milieu, mais à la fin des temps. Ce n’est pas sans raison, mais avec beaucoup de raison, au contraire, que la Sagesse par excellence a réglé qu’elle n’apporterait de secours aux hommes qu’alors qu’il leur deviendrait plus nécessaire, car elle n’ignore point que les enfants d’Adam sont enclins à l’ingratitude. Or on pouvait dire avec vérité que déjà la nuit approchait, que le jour était sur son déclin, que le soleil de la justice avait un peu baissé à l’horizon, et ne répandait plus sur la terre que des rayons presque éteints et une chaleur affaiblie. Car la lumière de la connaissance de Dieu était devenue bien faible, en même temps que, sous le manteau glacial de l’iniquité, la chaleur de la charité avait sensiblement baissé. Il n’y avait plus d’apparition d’anges, plus de prophètes qui élevassent la voix, il semble que, vaincus par le désespoir à la vue de l’endurcissement excessif et de l’obstination des hommes, ils avaient cessé les uns d’apparaître et les autres de parler. Mais moi, dit le Fils « c’est alors que je me suis écrié, me voici, je viens (Psalm., XXXIX, 9). » Oui, voilà comment à l’heure où tout reposait dans un paisible silence et que la nuit était au milieu de sa course, votre Parole toute-puissante, ô Seigneur, vint du Ciel et descendit de son trône royal (Sap. XVIII, 14). C’est dans le même sens que l’Apôtre disait: « Quand vint la plénitude des temps, Dieu envoya son Fils (Galal., IV, 4). » C’est qu’en effet la plénitude et l’abondance des choses du temps avaient produit l’oubli et la disette de celles de l’éternité. Il était donc bien à propos que l’éternité vînt puisque la temporalité prévalait. En effet, sans parler du reste, la paix temporelle elle-même était si générale alors, qu’un homme n’a eu qu’à l’ordonner et le dénombrement du monde se fit (Luc, II, 1).
10. Vous connaissez maintenant quel est Celui qui vient ; de même que là où il vient et d’où il vient, enfin le temps et la cause de sa venue vous sont également connus ; il ne nous reste donc plus qu’à rechercher avec soin par quelle voie il vient, afin que nous allions à sa rencontre, comme il est juste que nous le fassions. Mais, s’il est venu une fois sur la terre, dans une chair visible, pour opérer notre salut, il vient encore tous les jours invisiblement et en esprit pour sauver nos âmes à tous, selon ce qui est écrit: « Le Christ, Notre-Seigneur, est un esprit devant nos yeux. » Et pour que vous sachiez que cet avènement spirituel est caché, il est dit « C’est à son ombre que nous vivrons au milieu des nations (Thren., IV, 20). » Voilà pourquoi il est juste, si le malade est trop faible pour aller bien loin au devant d’un si grand médecin, qu’il s’efforce au moins de lever la tête et de se soulever un peu lui-même à son arrivée. Non, non, ô homme, tu n’as pas besoin de passer les mers, de t’élever dans les nues, de gravir les montagnes, et la route qui t’est montrée n’est pas longue à parcourir, tu n’as qu’à rentrer en toi-même pour aller au devant de ton Dieu ; en effet sa parole est dans ta bouche et dans ton cœur. Va donc au moins au devant de lui jusqu’à la componction du cœur et à la confession de la bouche, si tu veux sortir du fumier sur lequel ta malheureuse âme est étendue, car il n’est pas convenable que l’auteur de toute pureté s’avance jusque-là. Mais qu’il vous suffise de ce peu de mots sur cet avènement, dans lequel il daigne éclairer nos âmes par son invisible présence.
11. Mais il faut aussi considérer la voie de son avènement visible, car toutes ses voies sont belles et ses sentiers pacifiques (Prov., III, 17). « Or le voici, dit l’Epouse, le voici qui vient, sautant sur les montagnes et passant par-dessus les collines (Cant. II, 8). Vous le voyez quand il vient, ô belle Epouse, mais vous ne pouviez le voir auparavant, quand il reposait, car vous vous écriiez alors : « O vous, le bien-aimé de mon âme, dites-moi où vous menez paître vos troupeaux, où vous vous reposez (Cant. I, 7). » Lorsqu’il repose, ce sont les anges qu’il paît pendant des éternités sans fin, et qu’il rassasie de la vision de son immuable éternité. Mais ne vous méconnaissez point vous-même, ô belle Epouse, car c’est par vous que s’est produite cette admirable vision, par vous qu’elle s’est affermie, et vous ne pouvez y arriver. Mais voici qu’il est sorti de son sanctuaire, celui qui paît les anges quand il repose, il s’est mis en marche, il va nous guérir. On va le voir venant et rassasié, lui qu’on ne pouvait voir quand il reposait et paissait. Il vient, dis-je, en franchissant d’un bond les montagnes et en passant par-dessus les collines. Les montagnes et les collines, ce sont les patriarches et les prophètes ; or voyez dans sa généalogie comment il vient en franchissant les unes d’un bond et en sautant par-dessus les autres. « Abraham, y est-il dit, engendra Isaac, Isaac engendra Jacob, etc. ( Matth., I, 2). » Vous verrez en poursuivant que de ces montagnes sortit la souche de Jessé sur laquelle, selon le mot du Prophète (Isa., XI, 2), poussa un rameau qui produisit une fleur sur laquelle l’Esprit aux sept dons se reposa. C’est ce que le même Prophète nous explique dans un autre endroit en disant : « Une Vierge concevra et enfantera un Fils qui aura nom Emmanuel, c’est-à-dire Dieu avec nous (Isa., VII, 14). » Ainsi, ce qui n’était d’abord qu’une fleur, il l’appelle ensuite Emmanuel, et ce qui n’était qu’un rameau, il dit plus clairement que c’est une Vierge. Mais je me vois contraint de remettre à un autre jour les considérations qu’il y aurait à faire sur ce profond mystère ; c’est un sujet bien digne d’être traité à part, d’autant plus que le sermon a été un peu long aujourd’hui.