L’humilité (première partie)

(Extrait de Sodalitium n°35 édition française de mai 1994)

Par M. l’abbé Giuseppe Murro

« On demandait un jour à Démosthène quelle était la première qualité d’un orateur. “C’est, répondit le célèbre Athénien, d’avoir une bonne prononciation”. On lui demanda alors quelle était la seconde, puis la troisième. Et il fit chaque fois la même réponse : “C’est d’avoir une bonne prononciation”.

Saint Augustin, après avoir rapporté ce trait, ajoute : “Si maintenant, vous m’interrogiez pour savoir quelle est à mon sens la vertu la plus importante de toute la religion chrétienne, je vous dirais que c’est l’humilité ; et autant de fois, vous me poserez la même question, je vous ferai toujours la même réponse” » (1).

Notre-Seigneur Jésus-Christ, la Sainte Écriture, les Saints, les Papes, les Docteurs, en somme Dieu Lui-même et la Sainte Église nous ont toujours enseigné cette vérité : l’humilité est la base et la gardienne de toute la vie chrétienne. “Je vous ai donné l’exemple, afin que, comme je vous ai fait, vous fassiez aussi vous-mêmes” (Jn XIII, 15). En quoi devons-nous imiter Notre-Seigneur ? “Apprenez de Moi que je suis doux et humble de cœur, et vous trouverez le repos de vos âmes” (Matth. XI, 29). « Il ne dit point, commente saint Augustin : Apprenez de Moi à construire des mondes, à créer les choses visibles et invisibles, à guérir les malades, à chasser les démons, à ressusciter les morts et à réaliser des merveilles plus grandes encore que celles qui éclatent autour de vous ; non, mais : Apprenez de Moi que je suis doux et humble de cœur. Car il y a plus de puissance et de sécurité dans une humilité solide et véritable que dans la prétendue élévation d’un cœur superbe, enflé de vent et de fumée. Il vaut mieux servir Dieu en toute humilité que se signaler par des miracles. La première voie est sûre et unie ; la seconde escarpée et dangereuse » (2). L’élévation exposée aux vents engendre souvent la superbe.

L’orgueil

Tout désir de l’homme, enseigne saint Thomas (3), doit être réglé par la droite raison : s’il s’en éloigne, le désir deviendra vicieux, comme il arrive pour l’appétit par rapport à l’aliment. Or la volonté de l’homme, quand elle est réglée par la droite raison, tend vers ce qui est proportionné à ses capacités (q. 162, 1) : si Pierre, par exemple, connaît l’anglais, il peut désirer traduire un livre, avoir une conversation avec quelqu’un qui parle cette langue. Dans ce cas, il n’y a pas de désordre, parce que la volonté tend vers ce qui lui est proportionné. Quand au contraire l’homme avec sa volonté vise à ce qui est au-dessus de ses capacités, alors il perd la règle que lui donne la droite raison, et en cela, il y a un désordre : c’est le péché d’orgueil.

C’est ce qu’a été le péché d’Adam et Eve. Dieu leur ordonna de ne pas manger le fruit de l’arbre de la science du bien et du mal ; mais le serpent les persuada de le faire, leur suggérant, par le mensonge, qu’ils deviendraient comme Dieu. Si Adam et Eve avaient suivi la droite raison, ils auraient désiré ressembler à Dieu comme il est possible à la créature raisonnable : en Le connaissant et en L’aimant toujours plus. Ils suivirent au contraire le conseil du serpent, et ils désirèrent alors être semblables à Dieu, ce qui est propre à la nature divine et que l’homme ne pourra jamais réaliser : c’est-à-dire qu’ils voulurent déterminer par eux-mêmes ce qui est bien et ce qui est mal, connaître le futur qui les concernait, et voulurent atteindre la béatitude par leurs propres forces. Ils abandonnèrent la droite raison, “voulurent ravir la divinité, et ils perdirent la félicité” (Saint Augustin) (q. 163, 2).

Enfants d’Adam et Eve, nous avons tous tendance à imiter nos premiers parents dans l’orgueil : c’est pourquoi il est bon que nous soyons mis en garde contre ce désordre.

De quelle manière on tombe dans l’orgueil

La superbe comporte un désir immodéré de grandeur, qui provient d’un bien quelconque ; à un bien plus grand correspond une excellence plus grande : c’est ainsi que l’orgueilleux vise plus haut que ce que peuvent ses forces. Saint Grégoire distingue quatre espèces d’orgueil (q. 162, a. 4).

La première se réfère au bien lui-même : elle consiste dans le fait pour quelqu’un de se vanter de posséder un bien qu’il n’a pas. Par exemple, un tel croit être capable de pouvoir faire ce qu’il ne sait ou ne peut pas. Le Roi Saül sacrifia des animaux en s’arrogeant le pouvoir sacerdotal qu’il n’avait pas, pour ne pas attendre l’arrivée de Samuel (I Rois XV, 12-13) ; et encore voulut-il épargner le roi des Amalécites, contre l’ordre explicite reçu de Dieu même “comme si l’homme savait mieux ce qu’il convient de faire de l’homme, que Celui qui a fait l’homme” (4). Saül pensa savoir mieux faire que Dieu, et Dieu le rejeta parce qu’“il m’a abandonné, et qu’il n’a pas accompli mes paroles par ses œuvres” (I Rois XV, 11).

La deuxième et la troisième manière de tomber dans l’orgueil provient de la cause et consiste dans le fait que quelqu’un croit avoir par lui-même un bien qui lui vient d’un autre. Ceci de deux façons :

– Une personne estime que c’est d’elle-même que vient ce qu’elle a reçu de Dieu, comme la vie, l’intelligence, la force, la beauté du corps, la vivacité : mais c’est une sottise, parce que “si vous aviez pu vous donner ces avantages, vous pourriez sans doute vous les conserver… Cette cendre même, cette poussière, dont vous êtes composé, ne la devez-vous pas au Créateur qui l’a tirée du néant ?” (5). Goliath crut pouvoir humilier les Hébreux et leur Dieu par ses forces physiques, mais David le tua miraculeusement. Nabuchodonosor se vanta dans son cœur de la puissance acquise, comme si tout venait de lui : “N’est-ce pas là cette grande Babylone que moi, j’ai bâtie comme le siège de mon royaume, dans la force de ma puissance et dans ma brillante gloire ?” et à cet instant, il perdit l’intelligence jusqu’à se comporter comme un animal : il fut chassé de la société civile et se nourrit de foin comme les bœufs (Dan. IV-V).

– Une personne estime que quelque chose lui est donné par surcroît à cause de ses propres mérites : comme celui qui croit que ce sont ses prières, ses jeûnes, la fidélité à la grâce, l’humilité du cœur qui lui ont obtenu certaines vertus et qualités. Saint Alphonse raconte qu’un ermite, en grand renom de vertu, sur le point de mourir, fit appeler le Père Abbé pour recevoir le Viatique : entre-temps, un voleur, de renom lui aussi, se rendit à la cellule du solitaire, mais ne s’estimant pas digne d’y entrer, criait du dehors : “Oh ! que ne suis-je tel que toi !”. L’ermite l’entendit, et, tout gonflé d’orgueil, répondit : “Vraiment oui, ce serait grand bonheur pour toi de me ressembler !” Or, qu’arriva-t-il ? Le voleur part en courant pour se confesser, tombe dans un précipice, et y perd la vie. Le moine mourut aussi peu après. Un compagnon de l’Abbé apprit par révélation que le voleur s’était sauvé par la contrition qu’il avait eue de ses péchés, mais que l’ermite s’était perdu par son orgueil. N’allons pas croire, conclut saint Alphonse, que ce moine devint subitement orgueilleux au moment de la mort : ses paroles à cette heure-là montrent que l’orgueil était enraciné dans son cœur depuis longtemps (6).

La quatrième manière de tomber dans l’orgueil provient de la façon d’agir et consiste dans le fait qu’une personne s’estime meilleure que les autres à cause d’un bien qu’elle possède plus qu’aucun autre. Et par conséquent se considère avec hauteur, et méprise le prochain. Les Pharisiens chassèrent du Temple l’aveugle guéri par Notre-Seigneur parce qu’il avait osé les contredire ; après l’avoir maltraité ils crièrent : “Tu es né tout entier dans le péché, et tu nous enseignes !”, à nous, Pharisiens, qui sommes savants, avisés, sages, justes, inspirés par Dieu ? (Jn IX, 34). Ainsi les modernistes méprisent les dogmes, le catéchisme, le culte, les lois, les usages, la structure, la morale de l’Église pré-conciliaire, l’accusant d’obscurantisme et d’immobilisme, et prétendent avoir eux seuls compris, après vingt siècles, ce qu’est la Religion.

Parabole du Pharisien et du Publicain

La parabole racontée par saint Luc (XVII, 9-14) et destinée à quelques-uns qui se confiaient en eux-mêmes comme étant justes et méprisaient les autres, montre bien la quatrième manière dont il est question plus haut.

Le Pharisien et le publicain entrèrent dans le Temple à la même heure pour prier. Le Pharisien, sûr d’être un homme juste, s’avança le plus près possible du “sanctuaire”, où Dieu demeure, « et commença son énumération : “O Dieu, je Vous rends grâce de ce que je ne suis pas comme le reste des hommes, qui sont voleurs, injustes, adultères ; ni même comme ce publicain. Je jeûne deux fois la semaine, je paie la dîme de tout ce que je possède”. La parabole ne poursuit pas la liste ; mais elle peut très bien se prolonger et énumérer d’autres vertus choisies du Pharisien, comme le fait de se rincer les mains ainsi que la vaisselle avant de manger, de s’abstenir d’éteindre une lampe le jour du sabbat, de connaître par cœur les 613 préceptes de la Torah, et beaucoup d’autres éminentes qualités de l’irréprochable Pharisien (…) [qui] a fait consister sa prière dans l’énumération des bienfaits prodigués à lui par Dieu, c’est-à-dire dans l’étalage de ces justices humaines pour lesquelles l’ancien prophète avait émis cette sentence : “Comme un linge souillé est toute notre justice” (Is. LXIV, 6).


Le Pharisien et le publicain

Pendant ce temps le publicain… s’est à peine arrêté à l’entrée, comme un mendiant mal accepté ; à distance, sans même oser lever les yeux vers le “sanctuaire”, il se frappait la poitrine en suppliant “O Dieu, ayez pitié de moi qui suis un pécheur !”. C’est toute la prière de celui que les rabbins qualifiaient de “benêt”, parce qu’il a conscience de ne pouvoir donner à Dieu rien de ce que lui donne le Pharisien… Le résultat du contraste entre ces deux hommes fut précisément le démenti de leurs consciences respectives. Jésus conclut en effet : “Je vous le dis, celui-ci (le publicain) s’en retourna justifié dans sa maison, et non pas l’autre ; car quiconque s’exalte sera humilié, et quiconque s’humilie sera exalté” » (7).

Remarquons que le Pharisien tomba en une seule faute dans les quatre manières de l’orgueil : en se croyant juste alors qu’il ne l’était pas ; en s’attribuant à lui-même les bonnes actions (je jeûne, je paie la dîme…) et à ses mérites le bien reçu (je vous rends grâce…) ; et enfin en méprisant non seulement tous les hommes en général (voleurs, injustes, adultères), mais aussi le pauvre publicain qu’il rencontra par hasard dans le Temple. C’est pour des gens comme lui que vaut l’invective de Notre-Seigneur : “Malheur à vous, Pharisiens, parce que vous payez la dîme de la menthe, de la rue et de toutes les herbes, et que vous négligez la justice et l’amour de Dieu !” (Lc XI, 42).

Hélas, ceux qui se comportent comme le pharisien ne sont pas rares : “Les vieillards comme les jeunes gens, les pauvres comme les riches ; chacun se loue et se flatte de ce qu’il n’est pas et de ce qu’il n’a pas fait. Chacun s’applaudit et aime à être applaudi ; chacun court mendier les louanges des hommes, et chacun travaille à se les attirer. Ainsi se passe la vie de la plus grande partie des gens” (8).

Gravité de l’orgueil

Parce qu’avec l’orgueil l’homme refuse de se soumettre à Dieu et à sa règle, ce péché est en lui-même grave (q. 162, a. 5). En tout péché on observe deux choses : l’aversio a Deo (aspect formel), c’est-à-dire l’abandon, l’aversion pour Dieu, et la conversio ad creaturam (aspect matériel), c’est-à-dire la conversion ou adhésion à la créature. Précisément dans l’aversio a Deo, l’orgueil comporte la plus grande gravité : en effet, si par les autres péchés l’homme s’éloigne de Dieu par une certaine ignorance, ou par faiblesse, ou par le désir d’un autre bien, avec l’orgueil l’homme s’éloigne de Dieu parce qu’il ne veut rien savoir de lui et de ses ordres : “Tous les péchés, dit Boëce, fuient loin de Dieu, l’orgueil seul s’oppose à Dieu” (q. 162, a. 6). « Je sais bien, dit le Saint Curé d’Ars, que tous les péchés outragent Dieu, que tous les péchés mortels méritent une punition éternelle : un avare qui ne cherche qu’à ramasser et qui sacrifiera sa santé, sa réputation, et même sa vie pour accumuler quelque argent, dans l’espérance de prévoir pour l’avenir, fait sans doute bien injure à la providence de Dieu, qui nous a promis que, si nous avions soin de Le servir et de L’aimer, Il aura soin de nous. Un ivrogne qui se livre aux excès du boire en perdant la raison, se mettant au-dessous de la bête brute, de même, fait un grand outrage à Dieu, qui ne lui donne du bien que pour en faire un bon usage en consacrant ses forces, sa vie à Le servir. Un vindicatif qui se venge des injures qu’on lui a faites, fait un mépris sanglant à Jésus-Christ, qui, depuis tant de mois et peut-être même d’années, le souffre sur la terre, et bien mieux, lui fournit tout ce qui lui est nécessaire, tandis qu’il ne mériterait que d’être abîmé dans les flammes. Un impudique, en se plongeant dans la fange de ses passions, se met plus bas que les pourceaux, perd son âme et donne la mort à Dieu ; d’un temple du Saint-Esprit, fait un temple des démons, “des membres de Jésus-Christ en fait les membres d’une infâme prostituée” (1 Cor. VI, 15), de frère du Fils de Dieu, devient, non seulement le frère des démons, mais l’esclave de Satan. Ce sont là des crimes, dont nul terme ne pourrait exprimer les horreurs ni la grandeur des tourments qu’ils méritent… Ces péchés sont aussi éloignés de l’orgueil par les outrages qu’ils font à Dieu, que le ciel l’est de la terre. Lorsque nous commettons les autres péchés, tantôt nous violons les commandements de Dieu, tantôt nous y méprisons ses bienfaits ; ou bien, si vous voulez, nous rendons inutiles tous les travaux, les souffrances et la mort de Jésus-Christ. Mais celui-ci, c’est-à-dire, l’orgueilleux, fait comme un sujet, qui, non content d’avoir méprisé et foulé aux pieds les lois et les ordonnances de son souverain, porte sa fureur jusqu’à essayer de lui planter un poignard dans le sein, l’arrache de son trône, le foule sous ses pieds et prend sa place. Peut-on concevoir une atrocité plus grande ? » (9). C’est pourquoi le Seigneur exècre les orgueilleux (Eccli. X, 7).

L’orgueil est dit complet quand une personne s’élève jusqu’à refuser de se soumettre à Dieu : c’est en somme une révolte contre Dieu, et c’est un péché mortel. Il est au contraire incomplet quand – la soumission à Dieu sauvegardée – une personne cherche à être estimée plus qu’elle n’est : il y a alors seulement péché véniel, à moins qu’elle ne cause une grave injure au prochain, ou qu’elle soit la source d’autres péchés graves.

Les maux de l’orgueil

L’orgueilleux dit saint Alphonse, est voleur, menteur et aveugle. Voleur, parce qu’il s’approprie ce qui appartient à Dieu, se l’attribuant à lui-même ou à ses mérites, et saint Paul le réprimande : “Qu’as-tu que tu n’aies reçu ? Et que si tu l’as reçu, pourquoi t’en glorifies-tu, comme si tu ne l’avais pas reçu ?” (I Cor. IV, 7). C’est un menteur, parce que s’il nie que toutes les qualités que l’homme possède sont des dons du Seigneur, il nie la vérité. Enfin l’orgueilleux est aveugle, parce qu’il ne voit pas ce qui est clair comme de l’eau de source : toutes les qualités, vertus, bonnes pensées, actions que nous avons sont comme un vêtement que le Seigneur nous a donné et qu’il peut reprendre à tout instant. Mais l’orgueilleux raisonne comme le prélat de Laodicée, qui fut ainsi réprimandé par l’Ange : “Tu dis : Je suis riche et opulent, et je n’ai besoin de rien ; et tu ne sais pas ce que tu es malheureux, misérable, pauvre, aveugle et nu” (Apoc. III, 17). De nous-mêmes nous ne sommes pas capables de rendre blanc un cheveu, nous ne sommes pas capables de dire une bonne parole : ce n’est pas une exagération, mais Dieu Lui-même qui l’a révélé afin que, si l’orgueil nous aveugle et nous fait oublier la vérité, Ses paroles puissent nous faire rentrer en nous-mêmes : “Ce n’est pas que nous soyons de nous-mêmes en droit de nous attribuer quoi que ce soit comme venant de nous ; non, ce droit nous vient de Dieu” (II Cor. III, 5).

Saint Paul, appelé à être Apôtre de Jésus, prédicateur des Gentils, à cause de son ministère avait été emprisonné plusieurs fois, flagellé, lapidé, trahi ; il avait supporté naufrages, fatigues, misères, veilles, faim, soif, jeûnes, froid, nudité, soucis quant à la responsabilité des églises qui lui étaient confiées ; il avait été élevé par Dieu jusqu’au ciel à voir et entendre des choses qu’aucun homme n’a jamais pu voir ou entendre. Eh bien, après tout cela, saint Paul pouvait-il se croire être une personne importante, supérieure aux autres hommes ? Écoutons-le : “S’il faut se glorifier, c’est de ce qui regarde ma faiblesse. Si je voulais me glorifier, je ne serais pas insensé, car je dirais la vérité”. Quelle est la vérité ? “C’est par la grâce de Dieu que je suis ce que je suis” (II Cor. XI, 30 ; XII, 6 ; I Cor. XV, 10). Cette vérité que même Nabuchodonosor finit par comprendre.

Nabuchodonosor

Ce roi très puissant qui avait soumis le monde entier, qui avait fortifié et embelli la capitale, Babylone, arrivé à l’apogée de son pouvoir eut un songe qui le troubla beaucoup. Il vit planté au milieu de la terre un arbre robuste, d’une hauteur démesurée, qui atteignait le ciel et dont la vue s’étendait jusqu’aux extrémités de toute la terre ; ses feuilles étaient très belles, son fruit en très grande quantité, et il donnait vêtement et nourriture à divers espèces d’animaux, bêtes sauvages, oiseaux. De manière imprévisible un ange vigilant descendit du ciel et cria : “Coupez l’arbre par le pied et retranchez ses branches ; faites tomber ses feuilles et jetez çà et là ses fruits ; qu’ils s’enfuient les animaux qui habitent sous son ombre, et que les oiseaux s’envolent de ses branches. Cependant laissez dans la terre le germe de ses racines, et qu’il soit attaché avec un lien de fer et d’airain… et qu’avec les bêtes féroces soit son partage dans l’herbe de la terre. Que son cœur d’homme soit échangé, et qu’un cœur de bête féroce lui soit donné… jusqu’à ce que les vivants sachent que le Très-Haut domine sur le royaume des hommes, et qu’il le donnera à quiconque Il voudra, et qu’Il y établira l’homme le plus humble” (Dan. IV, 11-14). Seul Daniel réussit à interpréter le songe de Nabuchodonosor, et lui expliqua que lui, le roi, était l’arbre : de grand et puissant qu’il était, il serait chassé de la société des hommes, il habiterait au milieu des bêtes sauvages, jusqu’à ce qu’il eût reconnu que le pouvoir vient de Dieu, et qu’Il le donne à qui Il veut. Le roi, consterné de l’explication, se vit conseiller par Daniel de faire pénitence pour ses péchés ; mais peu de temps après, Nabuchodonosor, au milieu de la splendeur de sa puissance, oublia ce qui lui était arrivé. Douze mois étaient passés quand, en se promenant dans Babylone, en un excès de présomption, le roi se vanta d’être l’auteur de toutes les beautés de Babylone : « Et lorsque ces paroles étaient encore en la bouche du roi, une voix partit du ciel : “II t’est dit, ô Nabuchodonosor, roi : Ton empire passera loin de toi, et on te chassera d’entre les hommes, et la demeure sera avec les animaux et les bêtes féroces : tu mangeras du foin comme le bœuf… jusqu’à ce que tu saches que le Très-Haut domine sur le royaume des hommes, et qu’Il le donne à qui bon Lui semble ! ». À l’instant la punition divine s’abattit sur lui et tout ce que Daniel lui avait prophétisé se réalisa. Furieux, il erra dans les champs comme un animal, mangeant du foin et vivant en plein air et couvert de rosée. Cela dura jusqu’à ce que, comme le raconte ensuite Nabuchodonosor lui-même, “j’ai levé les yeux vers le ciel, et le sens m’a été rendu ; et j’ai béni le Très-Haut, et j’ai loué et glorifié Celui qui vit éternellement, parce que Sa puissance est une puissance éternelle… Et tous les habitants de la terre sont réputés devant Lui comme un néant” (Dan. IV, 28-30 et 31-32). Nabuchodonosor retrouva son royaume, gouverna encore avec splendeur et fit connaître partout comment il était tombé pour glorifier le vrai Dieu.

« Les hommes – commente dom de Monléon – quand leur fortune leur sourit, ressemblent facilement à Nabuchodonosor. Ils se croient alors, eux aussi, plantés au milieu de la terre et visibles de partout, parce qu’ils pensent que le monde entier a les veux fixés sur eux ; leurs feuilles sont très belles, parce qu’ils excellent à faire de beaux discours : et leurs fruits abondants, parce que leurs affaires sont prospères. Grâce à leur richesse ils peuvent nourrir une nombreuse clientèle, c’est-à-dire des serviteurs, des employés, des ouvriers ; mais aussi des bêtes sauvages – on dirait aujourd’hui peut-être : des “requins” des individus sans scrupules qui ne cherchent qu’à profiter de la situation ; et des oiseaux, c’est-à-dire, des flatteurs…

Qu’ils tendent l’oreille cependant, au milieu de ce concert de louanges, pour écouter la voix du Vigilant, c’est-à-dire du Christ, ou de leur Ange Gardien. Elle leur crie, cette voix, par la bouche des prédicateurs, des confesseurs, ou par le murmure de leur conscience : “Abattez l’arbre…”. “Tel est, en effet, le sort qui attend tout magnat de ce monde, s’il ne fait pas pénitence. Un jour viendra où, comme l’arbre, il sera abattu, par la mort. Alors ses branches seront coupées et ses feuilles tomberont : toute la belle apparence extérieure dont il se glorifiait, s’évanouira : ses fruits seront dispersés, les richesses accumulées par lui iront à d’autres ; tous ceux qui vivaient sous son ombre, et tous ceux qui chantaient ses louanges l’abandonneront. Cependant, il ne disparaîtra pas pour autant, dans le néant : la racine de son être subsistera dans son libre arbitre, mais celui-ci sera lié avec une chaîne de fer et d’airain : il sera comme coincé et immobilisé dans le mal, à la fois par le jugement de Dieu, – chaîne de fer – et par sa propre obstination – chaîne d’airain. Notre homme n’aura pour nourriture que l’herbe de la terre ; il ne goûtera pas aux joies éternelles, aux douze fruits de vie promis aux habitants du ciel (Apoc. XXII, 2). Il n’aura pour alimenter ses pensées que le souvenir des plaisirs d’ici-bas, qui ont passé comme l’herbe (Ps. 89, 5), et qui sont dehors, parce qu’ils n’ont rien de commun avec l’allégresse dont jouissent les élus, au-dedans de la cité de Dieu. Seule la rosée du ciel le pénétrera, mais pour son plus grand malheur : car il sera obsédé par la pensée de ce séjour bienheureux, dont il a fait si peu de cas ici-bas, et dont il est exclu maintenant à jamais, condamné comme il l’est, à vivre avec les bêtes féroces, c’est-à-dire avec les démons » (10).

Le signe de contradiction

Saint Grégoire dit que l’orgueil est la marque des réprouvés, et qu’au contraire l’humilité est la marque des prédestinés (Moralia in Job, livre 34, c. 23). Saint Antoine Abbé vit le monde couvert des filets du démon et se demandait en gémissant : “Qui pourra échapper à tant d’embûches ?” Mais il entendit une voix lui répondre : “Antoine, l’humilité seule passe en sécurité : qui marche la tête baissée ne court pas risque d’être pris à ces pièges” (11).

« L’humilité est le seul élément dont la présence ou l’absence permette de reconnaître infailliblement les œuvres de Dieu de leurs contrefaçons. Lorsqu’elle fait défaut, toutes nos vertus apparentes ne sont que des vices déguisés.

Voici par exemple une personne très éprise d’oraison, au point de paraître vraiment et constamment fixée en Dieu. Mais par ailleurs on remarque qu’elle perd son calme devant les imprévus et les contretemps. En voici une autre qui goûte dans la Sainte Communion les plus grandes douceurs, et qui, avec cela, refuse de reconnaître ses défauts. Une troisième très dévouée pour le prochain, toujours prête à s’oublier elle-même, s’étonne à l’occasion qu’on lui en témoigne si peu de gratitude. Ces réactions dénotent un manque d’humilité à la base, et permettent de conclure, sans témérité, que, malgré les apparences, la vertu de ces personnes est fondée bien plus sur l’amour-propre que sur l’amour de Dieu… Notre-Seigneur, qui nous a dit que nous reconnaîtrions les arbres à leurs fruits, nous a donné le signe qui décèle toutes les œuvres de l’ennemi des âmes. Et ce signe c’est l’orgueil. Signe qui ne trompe jamais : car l’orgueil, par sa nature même, cherche fatalement à se montrer. S’il prend parfois les apparences de l’humilité, il ne peut les prendre toujours, et il se manifestera inévitablement en quelque occasion.

Au contraire, les saints se reconnaissent à ceci, qu’ils sont continuellement sur leurs gardes à l’endroit de la vanité. Au milieu des coups qu’ils reçoivent, des tentations du démon et du monde, leur attention constante est d’éviter tout mouvement d’orgueil et de conserver le sentiment de leur néant comme la prunelle de leur œil.

Et le chancelier Gerson reprend la même pensée. “toute parole intérieure, toute révélation, tout miracle, toute extase, toute contemplation, tout ravissement, enfin toute opération en nous extérieure ou intérieure, si l’humilité la précède, l’accompagne et la suit ; s’il ne s’y mélange rien qui détruise celle-ci, crois-moi, elle porte le signe qu’elle vient de Dieu ou de son bon Ange, tu n’as pas à craindre l’illusion…” » (12).

Notre-Seigneur nous a dit : “Si vous ne devenez comme les petits enfants, vous n’entrerez point dans le royaume des cieux” (Matth. XVIII, 3).

Celui qui s’exalte sera humilié

Le Seigneur ne veut pas que nous soyons orgueilleux et fait tout afin que nous puissions guérir de ce péché. Il permettra « quelquefois que ses serviteurs soient accablés de tentations humiliantes, comme les tentations d’impureté. Ils ont beau prier et supplier : Dieu les laisse au combat. Tel saint Paul. “Il m’a été donné, dit-il, un aiguillon dans ma chair, un ange de Satan pour me souffleter. À son sujet, trois fois j’ai prié le Seigneur de l’écarter de moi, et Il m’a dit : Ma grâce te suffit” (I Cor. XII, 7-8)… Quelquefois même, Dieu va jusqu’à permettre qu’une âme tombe dans un péché pour qu’elle apprenne à être humble. Ainsi laissa-t-Il succomber David, qui, confessant qu’il a péché pour n’avoir pas été humble, s’écrie : “Priusquam humiliarer, ego deliqui”, avant d’avoir été humilié, je me suis égaré (Ps. 118, 67). “Dieu est très haut, disait saint Augustin, si tu t’abaisses, Il s’abaisse jusqu’à s’unir à toi ; si tu te redresses, Il s’éloigne de toi” » (13).


Samuel couronne Saül roi d’Israel

Dieu ne peut supporter un orgueilleux, et en voyant qu’il Lui oppose son amour-propre, Il s’éloigne et le laisse à lui seul. Les anges rebelles à peine eurent-ils péché qu’ils furent immédiatement chassés du Ciel et précipités en Enfer. Coré, Dathan et Abiron, se révoltèrent contre Moïse pour ne plus lui être soumis et pour en assumer les pouvoirs, même ceux réservés aux prêtres : à peine montrèrent-ils l’endurcissement de leur cœur qu’ils furent engloutis par la terre, brûlés par le feu “et descendirent vivants dans l’enfer” (Nomb. XVI, 32). “Coré, Dathan et Abiron, sont la figure des hérésiarques, des hommes qui, poussés par l’orgueil, l’ambition, la cupidité ou le désir de commander, se sont soulevés contre la hiérarchie de l’Église, et ont prétendu en assumer eux-mêmes les fonctions.

Le châtiment terrible dont ils ont été frappés montre combien sont graves les crimes de schisme ou d’hérésie, combien est violente l’irritation de Dieu contre ceux qui osent se poser de leur propre chef en réformateurs, quel respect nous devons avoir pour le sacerdoce, tel qu’il est établi.

Et cependant, il suffit de jeter un coup d’œil sur l’histoire de la religion chrétienne pour se rendre compte qu’il n’est pas de siècle, pas de génération peut-être, qui n’ait vu naître des émules ou des disciples de ces trois révoltés, tant l’ambition de l’homme est aveugle et insatiable !” (14).

Rodriguez aussi affirme que l’orgueil est la source de l’hérésie : « C’est la doctrine commune des Saints et des Docteurs, que l’orgueil enfante toutes les erreurs. L’homme qui en est dominé en vient à concevoir une si haute idée de lui-même, que, plus confiant en ses lumières qu’en celles de toute l’Église, il finit par proclamer son opinion au-dessus des décisions formelles de cet organe infaillible de l’éternelle vérité. De là tous les schismes, toutes les hérésies. C’est le sentiment de tous les saints, et ce sentiment est sanctionné par ces paroles de l’Apôtre à son disciple Timothée : “Sache ceci : dans les derniers jours, surviendront des temps périlleux. Les hommes, en effet, seront égoïstes, cupides, arrogants, orgueilleux” (II Tim. III, 1). À l’orgueil et à la superbe, l’Apôtre attribue les erreurs et les hérésies, comme l’affirme saint Augustin » (15).

Comment ne pas voir aujourd’hui la réalisation de ce qu’a prédit saint Paul ! Comment ne pas observer que même dans ce siècle il y a des réformateurs qui, avec une grande humilité, ont dit que jusqu’à hier dans l’Église tout était faux, et qu’en conséquence beaucoup de choses, voire même tout est à changer, pour ne pas rester à l’arrière, mais être au goût du jour et se maintenir au rythme des temps ! Naturellement, ce qu’ils disent et font est – en toute modestie – mieux que ce que les Papes, les Pères, les Saints, les Docteurs ont dit et fait ; et si Jésus Lui-même leur donne tort, ils disent qu’il faut l’interpréter différemment de la manière dont cela l’a été jusqu’à présent, pour Lui faire dire le contraire de ce qu’Il a dit. Ils voient d’un bon œil les modernistes “persécutés” par l’Église : avec eux ils ont en commun certaines idées et surtout l’orgueil, qui – comme disait saint Pie X – est, dans la doctrine des modernistes, comme chez lui, de quelque côté qu’il s’y tourne, tout lui fournit un aliment, et il s’y étale sous toutes ses faces. « Orgueil, assurément, cette confiance en eux qui les fait s’ériger en règle universelle. Orgueil, cette vaine gloire qui les représente à leurs propres yeux comme les seuls détenteurs de la sagesse ; qui leur fait dire, hautains et enflés d’eux-mêmes : “Nous ne sommes pas comme le reste des hommes” ; et qui, afin qu’ils n’aient pas, en effet, de comparaison avec les autres, les pousse aux plus absurdes nouveautés. Orgueil, cet esprit d’insoumission qui appelle une conciliation de l’autorité avec la liberté. Orgueil, cette prétention de réformer les autres, dans l’oubli d’eux-mêmes ; ce manque absolu de respect à l’égard de l’autorité, sans en excepter l’autorité suprême. Non, en vérité, nulle route qui conduise plus droit ni plus vite au modernisme que l’orgueil. Qu’on nous donne un catholique laïque, qu’on nous donne un prêtre, qui ait perdu de vue le précepte fondamental de la vie chrétienne, savoir que nous devons nous renoncer à nous-mêmes si nous voulons suivre Jésus-Christ, et qui n’ait pas arraché l’orgueil de son cœur : ce laïque, ce prêtre est mûr pour toutes les erreurs du modernisme ! » (16). De tels réformateurs qui changent la religion, qui empêchent les âmes de connaître la vérité pour pouvoir se sauver – sont déjà condamnés par Notre-Seigneur : “Malheur à vous, scribes et pharisiens hypocrites, parce que vous fermez aux hommes le royaume des cieux. Vous n’entrez pas vous-mêmes, et vous ne souffrez pas que les autres entrent. Malheur à vous, scribes et pharisiens hypocrites, parce que vous parcourez la mer et la terre pour faire un prosélyte ; et quand il est fait, vous faites de lui un fils de la géhenne deux fois plus que vous”. “Malheur à vous, docteurs de la loi, parce que vous avez pris la clef de la science ; vous n’êtes pas entrés vous-mêmes, et ceux qui entraient vous les en avez empêchés !” (Matth. XXII, 13 et 15 ; Lc XI, 52).

Dieu résiste aux superbes mais donne sa grâce aux humbles (Jac. IV, 6)

Puisque le cœur de l’homme est plein de lui-même, il ne peut être rempli des biens divins : c’est seulement quand il aura connaissance de son propre néant, de sa propre vacuité, qu’alors le Seigneur pourra le combler de grâces. La T.S. Vierge le dit dans le Magnificat : “Quia respexit humilitatem ancillæ suæ… fecit mihi magna qui potens est”, parce qu’il a jeté les yeux sur son humble servante… le Puissant a fait pour moi de grandes choses” (Lc I, 48 ss). Et l’Ecclésiastique (XIII, 9) nous recommande : “Humiliez-vous devant Dieu, et attendez que sa main agisse”, qui nous donnera ses bienfaits. Le Seigneur dit encore : “Vers qui porterai-je mes regards, sinon vers le pauvre et celui qui a l’esprit contrit ?” (Is. LXVI, 2).

« Principe de notre ruine, l’orgueil est encore l’obstacle qui s’oppose à notre relèvement. En nous remplissant de nous-mêmes, il ferme l’entrée de notre âme à la grâce de Dieu. Il nous porte à croire que nous pouvons nous sauver et nous perfectionner par nous-mêmes, alors que nous ne pouvons absolument rien sans le secours divin. Sans Moi – dit Notre-Seigneur – vous ne pouvez rien faire. C’est pourquoi le Psalmiste nous dit encore : Vacate et videte. Entendez : si vous voulez “voir” : si vous voulez atteindre à cette “vision” béatifique, qui est le suprême bonheur auquel l’homme puisse aspirer ; si vous voulez voir dès ici-bas le chemin qui y conduit, vacate, commencez à vous vider de vous-mêmes, de la haute opinion en laquelle vous tenez votre personnage. On rapporte qu’Alexandre le Grand, qui était très plein de lui, s’attira un jour cette réflexion : “Dieu est prêt à te donner la sagesse, mais tu n’as point de place pour la mettre”. Dans l’ordre surnaturel, on peut dire, comme dans l’ordre physique, que la nature a horreur du vide : enlevez l’air qui occupe un tuyau de plomb, et l’eau y monte aussitôt ; enlevez l’amour-propre qui encombre une âme, et la grâce l’envahit à l’instant » (17). Saint Augustin nous dit : “Si vous vous humiliez profondément, et si vous reconnaissez que vous n’êtes rien, que vous ne méritez rien, le bon Dieu vous donnera ses grâces en abondance ; mais si vous voulez vous élever et vous croire être quelque chose, Il se retirera de vous, et vous abandonnera à votre pauvreté” (18). C’est ce qui arriva à Saül : choisi par Dieu pour exécuter une mission spéciale, pour être même une préfiguration de Notre-Seigneur, il ne persévéra pas, il se laissa corrompre par l’orgueil et finit misérablement.

La même chose vaut pour la prière ; le Seigneur est sourd à la prière des superbes parce que ceux-ci, pleins d’eux-mêmes, en réalité ne sentent pas vraiment le besoin de l’aide de Dieu. “La prière de celui qui s’humilie pénétrera les nues. il ne cessera pas que le Très-Haut ne l’ait regardé” (Eccli. XXX V, 21). Judith se couvrit la tête de cendres, se prosterna à terre, et pria : “Seigneur… les superbes dès le commencement ne vous ont pas plu ; mais la prière des hommes humbles et doux vous a toujours plu” (Jud. IX, 16). Et parce que sa prière était humble, elle fut exaucée : toute seule elle put pénétrer dans le camp des Assyriens sans se faire tuer, et elle réussit à tuer et à trancher la tête d’Holopherne, général des troupes. Sainte Thérèse d’Avila aussi affirme avoir reçu des grâces plus grandes quand elle s’était profondément humiliée (19). De même le publicain fut exaucé parce qu’il s’était humilié.

La vraie paix

Apprenez de Moi que je suis doux et humble de cœur, et vous trouverez du repos pour vos âmes” (Matth. XI, 29) : Notre-Seigneur nous enseigne que si nous voulons être heureux, si nous voulons obtenir la paix, autant qu’il est possible de la trouver sur cette terre, nous ne devons rien faire d’autre que d’être humbles. “Pour l’orgueilleux, la paix n’existe pas, car il n’arrive jamais à être traité selon la vaine idée qu’il a de son propre mérite. On l’entoure d’honneurs ? il n’est pas content, dès qu’il en voit d’autres plus honorés que lui ; toujours il lui manquera au moins quelques marques de distinction qu’il convoite, et cette seule privation lui donnera plus d’amertume que tous les hommages reçus ne lui procurent de consolation” (20). Ainsi Aman, conseiller du roi Assuérus, avait obtenu tous les honneurs jusqu’à celui d’être admis à la table du souverain ; mais parce que Mardochée ne voulait pas le saluer il s’estimait malheureux : “Avec tout ce que j’ai, je croirai n’avoir rien, tant que je verrai Mardochée…” (Est. V, 13).

L’humble au contraire est toujours content : s’il reçoit des honneurs, il sait qu’il ne les mérite pas ; s’il reçoit des affronts, il sait qu’il en mériterait de bien pires à cause de ses péchés. C’est pourquoi Notre-Seigneur, « a manifesté pour l’humilité une prédilection spéciale. Saint Marc raconte qu’un jour, tandis que les Apôtres discutaient entre eux sur les préséances, Jésus prit un enfant et le mit au milieu d’eux : Et accipiens puerum, statuit eum in medio eorum (IX, 34).

Il le mit au milieu, c’est-à-dire à la place d’honneur, à la place du Maître qui enseigne ; et au milieu d’eux, au milieu des douze colonnes de l’Église, des douze hommes qui ont reçu dans sa totalité le dépôt de la Révélation, des douze Docteurs chargés d’instruire tous les peuples de la terre. Ainsi, Il faisait de cette vertu le centre autour duquel les autres devaient rayonner, le pôle vers lequel elles devaient converger. Il promit à ceux qui ressembleraient à cet enfant, les premières places dans son royaume, et, pour montrer sa tendresse à leur égard, il “l’embrassa” : ce que l’Évangile ne rapporte d’aucune autre personne » (21). En effet, les petits enfants ne sont pas envieux, n’ambitionnent pas les premières places, sont simples, innocents, candides, humbles. Et cette vertu le Seigneur a voulu bien l’inculquer à ses Apôtres, qui peu de temps après auraient à se substituer à Lui dans la prédication. Et sans elle, ils n’auraient rien pu faire.

Seule l’humilité peut nous faire trouver la paix profonde, la vraie, qui vient de Notre-Seigneur, celle que le monde ne peut donner, que le monde ne peut pas non plus ôter si nous savons conserver au fond de notre cœur cette vertu que Jésus a pratiquée avant toutes les autres.


Notes :

1) Dom Jean de Monléon OSB, Les douze degrés de l’humilité, Les éd. de la Source, Paris 1951 p. 7. La citation de saint Augustin est tirée de l’Epître à Dioscore, ch. III, 22.

2) Père Alphonse Rodriguez SJ, Pratique de la perfection chrétienne, Librairie Lecoffre, Paris 1928, p. 4.

3) II, II, q. 162, a. 1 ad 2um. Les citations de la Somme Théologique se réfèrent toutes à la II, II.

4) Dom de Monléon, Histoire Sainte – Le Roi David, N.E.L., 1971 Paris, p. 109.

5) R.P. Claude de la Colombière, Œuvres – Sermons “Sermon sur l’humilité chrétienne”, Seguin Aîné, Avignon 1832, tome V, p. 180.

6) Saint Alphonse Marie de Liguori, L’État Religieux La vraie épouse de Jésus-Christ ou la sainte religieuse, Maison Casterman, Paris (VIè) 1936, Tome I, pp. 320-321, note 2.

7) G. Ricciotti, Vita di Gesù Cristo, Mondadori 1974, parag. 478.

8) Saint Jean Baptiste Marie Vianney, Sermons, Villegenon 1982, Tome IX, p. 380.

9) Saint Jean Baptiste Marie Vianney, op. cit., p. 375.

10) Dom de Monléon, Histoire Sainte – Le Prophète Daniel, Les éd. de la Source, Paris, pp. 111-112.

11) Saint Alphonse Marie de Liguori, op. cit., p. 327.

12) Dom de Monléon, Les douze degrés de l’humilité, op. cit., pp. 19-21.

13) Saint Alphonse, op. cit., pp. 323-324. La citation de saint Augustin est tirée du Sermon in Ascensione Domini, n. 2, ML 39-2083.

14) Dom de Monléon, Histoire sainte – Moïse, Paris 1956, p. 340.

15) Père Alphonse Rodriguez, op. cit., p. 10.

16) Saint Pie X, Pascendi, 8/12/1907. In Actes de S.S. Pie X, tome III, Maison de la Bonne Presse, Paris sine data, p. 153.

17) Dom de Monléon, Les douze degrés de l’humilité, op. cit., p. 17 (Psaume 45, 11).

18) Serm. 53, in Matth. : Beati pauperes spiritu.

19) Sainte Thérèse d’Avila, Vie écrite par elle-même, ch. 22, in Œuvres complètes de sainte Thérèse de Jésus, éd. du Seuil, Paris VI 1989, p. 227.

20) Saint Alphonse, op. cit., p. 328.

21) Dom de Monléon, Les douze degrés de l’humilité, op. cit., p. 12