“Avec le Pape et pour le Pape” – Vie de l’abbé Davide Albertario, deuxième partie

“Avec le Pape et pour le Pape”
Vie de l’abbé Davide Albertario, journaliste intransigeant

(Extrait de Sodalitium n°63 édition française de juillet 2010)

Par M. l’abbé Ugolino Giugni

Seconde partie

Mgr Sarto et Albertario

En regardant vers Rome, Albertario n’erra jamais face au libéralisme, au rosminianisme, à la question sociale et à la question romaine. Avoir été avec Pierre, non seulement lui a assuré la victoire, mais l’a rendu méritant de la solution de ces questions.

Mgr Giuseppe Sarto, le futur pape saint Pie X, fut toujours favorable à Albertario comme en témoignent certaines de ses lettres. Sarto et Albertario appartenaient au même courant de pensée catholique intransigeant et on peut légitimement penser que si l’abbé Albertario avait vécu plus longtemps (il mourut en 1902, un an avant l’élection de saint Pie X), il aurait évolué dans la pensée intégriste et antimoderniste du grand Pape vénitien et de Mgr Umberto Benigni.

Certains passages des lettres de Mgr Sarto quand il était évêque de Mantoue attestent l’estime qu’il avait pour l’abbé Albertario et son journal. Durant la tempête du “procès du café” et des attaques de Mgr Bonomelli, quand l’abbé Carlo Bonacina se rendit à Rome à une audience du Pape Léon XIII, qui eut des paroles élogieuses et accorda la bénédiction apostolique pour le journal, l’évêque de Mantoue écrivait : “La direction doit s’en trouver très justement joyeuse, et avec elle tous ceux qui ne transigent pas avec les saints principes qu’elle défend” (1).

Au cœur de la bourrasque déchaînée par le “procès du café”, Mgr Sarto soutint l’abbé Albertario, en lui écrivant des lettres pour le consoler de la mauvaise tournure qu’avaient prise les événements : “Avec un tel mémorandum entre les mains du Pape, il est absolument certain que vous ne périrez pas. Courage donc ; et avancez avec ces mesures que vous utilisez et vous saurez user de force, prudence, perspicacité, intransigeance et zèle, usque ad finem”. L’évêque de Mantoue écrivant aussi au cardinal Pecci (frère du Pape Léon XIII) pour obtenir la réhabilitation de L’Osservatore et de son directeur, faisait remarquer : “la très grande douleur et l’accablement, dans lequel tous les vrais catholiques pontificaux, laïcs, prêtres et évêques seraient tombés, si L’Osservatore avait cessé, ce qui, rien qu’à le lire, tirait des larmes : je vous assure !” (2).

En 1894, quand l’abbé Albertario fêta le jubilé de vingt-cinq ans de journalisme, Mgr Sarto, devenu cardinal et Patriarche de Venise, lui écrivait : “que dans le domaine sur lequel vous avez valeureusement combattu on puisse célébrer aussi les noces d’or, en redoublant le nombre des splendides victoires remportées jusqu’à maintenant, mais dépourvues, avec la bénédiction du ciel, de ces épines et de ces sacrifices, qui vous affligèrent aux jours les plus beaux de votre vie” (3).


L’abbé Davide Albertario

En 1902, quelques mois avant la mort d’Albertario, le cardinal Sarto écrit encore une lettre très affectueuse à don Davide, convalescent et qui doit s’éloigner de son journal à cause de la maladie ; je la rapporte en entier : « Très Révérend et cher don Davide, votre billet reçu hier tout écrit de votre main m’a vraiment consolé, parce qu’il m’assure que vous êtes en pleine convalescence et que dans peu de temps, vous serez parfaitement rétabli, comme je le désire de tout cœur. Que si la lettre recommandée annoncée arrivée aujourd’hui m’a attristé en pensant à vos conditions matérielles et à la gêne dans laquelle vous vivez, elle a cependant fini de me réconforter en me raffermissant dans la certitude de votre parfaite guérison. Pour la question que vous connaissez, j’écris aujourd’hui même au Saint-Père, et je ferai tout pour que ma lettre soit sûrement déposée sur sa table, de telle sorte que lui-même la lise, mais j’utiliserai les meilleurs arguments pour que votre prière et la mienne soient exaucées. Espérons qu’elle arrive à bon port et qu’il puisse lui donner sous peu une consolante réponse. Pour le moment, gardez courage et soignez-vous du mieux possible, persuadé que, si même les médecins prédisent que vous devrez par la suite prendre garde à la prédication, passée la bourrasque, vous pourrez vous occuper non seulement du journal, mais du ministère qui vous sera demandé. Et en vous souhaitant tranquillité d’âme et continuation prospère dans votre convalescence, avec un baiser très cordial, je vous renouvelle estime et affection. Votre très dévoué, très obligé, très affectionné serviteur. † Gius. Card. Sarto Patriarca » (4).

Ces lettres attestent donc une communion de pensée et de cœur entre le grand et saint Pape Pie X et l’athlète du journalisme catholique, l’abbé Davide Albertario, tous deux appartenant au courant d’abord “intransigeant” et ensuite “intégriste” du mouvement catholique. On peut légitimement penser que si Albertario avait vécu plus longtemps, étant donné ses positions doctrinales en faveur du thomisme et hostiles à la philosophie rosminienne, il aurait partagé la condamnation du modernisme faite par saint Pie X avec Pascendi en 1907, et défendu avec acharnement de toutes ses forces la bataille que le saint Pape conduisit contre cette hérésie par l’intermédiaire du Sodalitium Pianum de Mgr Benigni.

La réorganisation du journal

Après le procès Stoppani, L’Osservatore se trouva dans une période très difficile, mais il en était sorti, comme nous l’avons vu (5), fortifié et moralement victorieux et sûr d’interpréter les directives du Saint-Siège. Financièrement le journal était très mal en point ; les amendes à payer étaient salées, et la pénurie des moyens se fit sentir pendant plusieurs années. L’argent manquait pour les besoins quotidiens et l’abbé Albertario se vit obligé en 1890 de mettre en vente aux enchères les quelques meubles qu’il avait dans son appartement de Milan. La rédaction du journal subit des changements ; l’abbé Massara accomplit un vœu que depuis longtemps il caressait en se faisant jésuite, et se détacha ainsi avec beaucoup de regret de son ami Albertario, mais tout en restant collaborateur externe du journal. Don Davide devenait ainsi le seul responsable rédactionnel et administratif de L’Osservatore. Il simplifia la maison d’édition et sacrifia le Leonardo da Vinci en en faisant cesser la publication. Il fit entrer dans la rédaction les jeunes Filippo Meda (6), Angelo Mauri et Paolo Arcari ainsi que le théologien l’abbé Ernesto Vercesi.

Certains veulent distinguer deux périodes dans la vie de l’abbé Albertario : la période “intransigeante” et la période “démocrate-chrétienne”. Selon son neveu et biographe, Mgr Pecora, “c’est une légende. Albertario ne cessa jamais d’être intransigeant jusqu’à son dernier soupir, comme il était déjà démocrate-chrétien, au sens du mot que lui donnait Toniolo, et avant la lettre, depuis que les problèmes sociaux et politiques étaient traités dans les discussions de l’Œuvre des Congrès comme des œuvres de charité ou d’instruction religieuse” (7). Sans vouloir entrer dans le vif du sujet et donner une réponse définitive, on peut dire qu’Albertario était proche des “jeunes” du mouvement catholique dont beaucoup se formèrent à son école, mais qu’il aurait certainement pris ses distances (s’il avait vécu plus longtemps) par rapport à la dérive démocratique (c’est-à-dire d’un parti aconfessionnel) de Romolo Murri. Mgr Benigni et l’abbé Paolo de Töth appartenaient aussi à ce qu’on appelait le “courant des jeunes”. Enfin, je pense que les trois paragraphes suivants permettront de se faire une idée plus claire de la pensée albertarienne sur ces questions.

L’abbé Albertario et le mouvement catholique (l’Œuvre des Congrès)

Un an après la promulgation du Syllabus de 1865 naquit l’Association catholique italienne, reconnue par un bref de Pie IX du 4 avril 1866. Parmi les fondateurs, on trouve le bolonais Giambattista Casoni (8) (qui sera aussi directeur de l’Osservatore romano). Le programme est intransigeant et se propose la défense de l’Église et de la Religion et le soutien du pouvoir temporel du Pape ; il n’est pas légitimiste et est proche de l’intransigeant français Louis Veuillot. Cette association doit finir après quelques mois à cause de la guerre austro-italienne de 1866 ; son président, Giulio Cesare Fangarezzi, fut arrêté. En 1867 naquit, toujours à Bologne, la Société de la jeunesse Catholique italienne (GCI) ; parmi les fondateurs se trouvent les comtes Giovanni Acquaderni (8) et Mario Fani ; Pie IX l’approuve le 2 mai 1868. La devise est Prière, action, sacrifice. L’Œuvre des Congrès naquit enfin en 1874 au Ier congrès de Venise (12-16 juin) grâce à un comité promoteur dont fait aussi partie la GCI. Au palermitain Vito D’Ondes Reggio fut confiée la charge de la déclaration des principes de l’association naissante qui se veut étrangère au catholicisme libéral et à toute tentative de conciliatorisme (9) ; ses paroles sont significatives : “Le congrès est catholique et rien d’autre que catholique. Puisque le catholicisme est une doctrine accomplie, la grande doctrine du genre humain. Le catholicisme n’est donc pas libéral, n’est pas tyrannique, n’est pas autre chose ; n’importe quelle qualité qu’on y ajoute, constitue en soi une très grave erreur : cela supposerait ou bien qu’il manque quelque chose au catholicisme qu’il serait nécessaire de lui donner ou qu’il contient quelque chose qu’il est nécessaire de lui enlever ; c’est une très grave erreur qui ne peut engendrer que schisme et hérésies. Le catholicisme est la doctrine que le Souverain Pontife, Successeur de saint Pierre, évêque de Rome, Vicaire de Jésus-Christ, Docteur infaillible de la foi et de la morale, enseigne ou seul ex cathedra ou conjointement avec les évêques successeurs des apôtres. Toute doctrine, différente de celle-ci, est schisme et hérésie. Au suprême jugement du Souverain Pontife le congrès soumet ses délibérations – Vive Pie IX” (10).

L’abbé Albertario suivit de très près le mouvement Catholique et soutint la naissance à cette époque de l’Œuvre des Congrès dans les colonnes de son journal et en intervenant plusieurs fois en personne aux différents Congrès de l’Œuvre. Son intervention contre le libéralisme au IVème Congrès de 1877 à Bergame est intéressante : « Pour la Rome des Papes, les libéraux sont les carthaginois. Haïssons donc le libéralisme, si nous voulons fuir les conciliations, si le combat doit être fortement combattu ; la haine nous donnera la victoire, parce que la haine nous rendra redoutés, formidables… haïssons le péché de ce siècle, le libéralisme, tout en désirant la conversion du pécheur » (11), contre toute forme de conciliatorisme qui porterait les catholiques à “perdre tout” même l’honneur, il propose l’intransigeance absolue, puisque la résistance est le préliminaire à la reconquête.

Au congrès de l’Œuvre qui se déroula à Milan en 1897, et dont Albertario fut vice-président, il rappela chaleureusement à l’attention des congressistes et de tous les catholiques italiens qu’ils auraient à cœur l’avenir de la patrie, la nécessité d’une Université Catholique également en Italie en suivant l’exemple déjà pratiqué en Belgique, en France et aux États-Unis. Don Davide lut les propositions suivantes concernant l’Université Catholique : « Considérant que dans les Universités de l’État très souvent la doctrine catholique est non seulement bannie, contrecarrée et combattue avec dommage pour la véritable science et avec la perversion intellectuelle et morale de la jeunesse étudiante. Que l’une et l’autre pourrait trouver asile sûr dans une Université Catholique ; que, entre-temps, et tant qu’on n’aura pas la liberté d’enseignement, il incombe aux catholiques le devoir de préparer avec d’autres moyens l’instruction de cette université ; que au sein de l’œuvre des congrès existe déjà l’Œuvre de la conservation de la foi, laquelle, diffusée en Italie d’après son statut, concourrait efficacement par des moyens moraux et matériels à la préparation de l’Université Catholique. Il exprime le vœu de rendre populaire cette idée par la presse et par les conférences et que l’on pousse la générosité des catholiques pour la réaliser (…) » (12). La législation restrictive de l’époque ne permettait malheureusement pas la fondation de cette université et donc ce vœu du congrès devait rester un idéal pour plusieurs années encore. À noter toutefois que parmi ceux qui écoutèrent cette chaude et vigoureuse intervention de l’abbé Albertario il y eut Vito Necchi et le P. Agostino Gemelli, qui environ vingt ans après accomplirent le vœu d’Albertario et des Catholiques italiens en fondant l’Université Catholique du Sacré-Cœur à Milan.

L’abbé Albertario et la politique

Il est très intéressant de voir ce que pensait notre journaliste de la politique, lui qui, peut-être malgré lui, fut toujours confronté à elle à cette période si agitée de l’histoire de l’Église et de l’Italie. Dans un article du 29 septembre 1891, Albertario écrivait : “Qu’est-ce que la politique ? C’est un adjectif d’un substantif moral ; c’est-à-dire de la vertu cardinale, la prudence. Cette prudence dans ses rapports avec la polis, avec la cité, c’est-à-dire avec l’ensemble des hommes, le mot polis ou civitas étant pris dans son sens large et originel, c’est une prudence non moniste, c’est-à-dire individuelle, non économique, c’est-à-dire domestique, mais politique. Voilà ce qu’est la politique. Comment séparer la prudence de la conscience ? À moins de s’enfermer dans une Trappe, (…) comment ne pas faire de politique ? Il faut au contraire beaucoup se former à la politique, et s’en instruire, et s’y exercer, sous les enseignements, les orientations, la discipline du catéchisme catholique, de la sainte Église Catholique, du Saint Père, le Vicaire de Dieu. Il faut le faire pour en finir une fois pour toutes d’être des ignorants en politique, qui laissent à quelques-uns qui s’y entendent, le mérite de s’y sacrifier, c’est-à-dire de se servir de la politique pour devenir des meneurs, des caïds, des directeurs auxquels le sacrifice rapporte cent pour un” (13).


À gauche, Filippo Meda, successeur d’Albertario à la direction de L’Osservatore ; il contribuera à le déplacer sur des positions “démocrates-chrétiennes” et en 1907 le fermera. À droite, Mgr Geremia Bonomelli, évêque de Crémone, libéral et conciliatoriste, grand adversaire de l’abbé Albertario

Depuis 1870, c’est-à-dire depuis la prise de Rome, était en vigueur le non expedit qui interdisait aux catholiques de participer aux élections du nouvel état unitaire. En interprétant cette défense, l’abbé Albertario lança et soutint la formule de la “préparation dans l’abstention”. Il résumait ainsi sa position : “Le débat est aujourd’hui réduit à un état très simple. Nous avons mis à l’écart la formule ni élus ni électeurs, puisque cette formule paraissait s’imposer au Pontife même, signifiant que même le Pape n’aurait pas pu permettre d’accéder aux urnes, en sauvant en même temps son droit et sans reconnaître les derniers droits opposés à ceux du Souverain. Cette formule mise hors de combat, nous avons réduit à sa plus simple expression la chose ; que l’on soit avec le Pape et qu’on ne bouge pas avant que le Pape nous invite. En attendant travaillons pour que le Pape soit entouré d’hommes prêts à le servir ; travaillons pour arracher des gens aux partis de la révolution. Italie papale, haine à la révolution” (14).

L’abbé Albertario n’eut jamais une sympathie particulière pour le système parlementaire (qui aujourd’hui est magnifié et considéré comme la meilleure expression possible de la civilisation… avec le nom de Démocratie !) puisqu’il le considérait, à juste titre, comme une des plus grandes expressions du libéralisme étant donné qu’en lui prévaut non la vérité et le bien mais le vouloir d’une majorité (souvent contrôlée et pilotée par des “lobbies” déterminés qui se tiennent dans l’ombre…) ; ce choix de la majorité est parfois contraire à la bonne doctrine et au bien commun, ou bien est selon les intérêts de quelques-uns. Dans un article de juillet 1879, le directeur de L’Osservatore Cattolico définissait le parlementarisme : “la tyrannie d’un parti, qui dispose des fortunes d’un peuple et sacrifie sa foi” ou bien en l’appelant “le grand adversaire des catholiques de chaque pays”, et en affirmant que “les triomphes que nous allons remporter ne seront jamais durables tant que nous n’aurons pas assaini les racines des institutions sociales”. Il commentait ainsi une des nombreuses crises de gouvernement de la période de Depretis : “Nous en sommes là. Un gouvernement, un pays comme l’Italie, n’est pas entre les mains d’un pouvoir qui le guide de manière impartiale, mais de clans et de personnes. On ne consulte pas les nécessités de la patrie, mais les désirs des camorristes. C’est cela le libéralisme. Pire que la tyrannie, tel est le libéralisme sans contrôle (L’Osservatore Cattolico 15-16/04/1886) (15). Pour lui, la politique devait être seulement la politique catholique ; il commentait ainsi l’assassinat du président de l’Équateur : “Garcia Moreno devait tomber sous la rage de la secte universelle, puisque dans la pratique il démontrait l’excellence d’un gouvernement catholique, contrairement aux mensonges libéraux, lesquels dépeignent le catholicisme comme incompatible avec le bien de la patrie” (O. C. 26/08/1875).

Un article du 10-11/01/1885 est très intéressant concernant la doctrine et les principes exposés : “L’exclusion du clergé de la politique est un des objectifs de la révolution, c’est une conséquence du principe libéral maçonnique. Que l’État doive être séparé de l’Église, c’est-à-dire que l’Église doive être assujettie à l’État. Comme ce principe est condamné explicitement par le Syllabus, la doctrine selon laquelle on voudrait que le clergé ne s’occupe pas de politique est aussi implicitement condamnée. L’homme ne cesse pas d’être homme pour être élevé à un ordre surnaturel, la raison ne perd pas sa nature, ses droits, ses prérogatives pour être illuminée par la foi ; ni l’Église société ne déchoit de ses droits naturels pour être une société surnaturelle. Polémiquement, le Pontife Romain, le clergé, le catholique, peuvent user contre les empereurs de la terre, et les partisans du libéralisme, de leurs droits civils et politiques, et se mesurer contre les violences de la franc-maçonnerie, laquelle, en ayant juré d’exterminer l’Église du Christ, piétine les droits les plus élémentaires, là où ces droits sont embellis, sanctifiés, perfectionnés par la révélation et par la grâce de Jésus-Christ. Le Pape est un roi chrétien, un roi sui generis, mais politiquement il est aussi roi légitime d’une légitimité devant laquelle pâlit tout autre lignée royale d’Europe ; le clergé et les catholiques sont citoyens ayant des devoirs et des droits égaux à tout autre, ils sont les meilleurs citoyens. Le clergé a donc son rôle à remplir au milieu du monde et des hommes ; il est le maître et le juge de la politique, qui doit la guider sur les sentiers de la vérité et de la justice” (16).

La question sociale

“Écoutons les bourgeois libéraux qui invoquent l’aide du prêtre pour qu’il contienne les passions des masses, le prêtre qu’ils méprisent, et que ces bourgeois ont appauvri. Écoutons-les invoquer l’influence morale de la religion contre le socialisme qui s’étend et rugit. La religion qu’ils abhorrent, qu’ils ne pratiquent pas, dont ils se moquent. Eh bien, le prêtre et la religion travaillent au milieu de la société, répandent des idées d’ordre, de respect, mais on n’exerce pas ce ministère de justice et de paix, pour vous protéger, vous les bourgeois libéraux, mais pour le bien des âmes, pour la gloire de Dieu”.
(Abbé Albertario)

À la fin du XIXème siècle, la “question sociale” se faisait violemment sentir en étant alimentée par la “révolution industrielle” et la modernisation de la société ; le socialisme cherchait à manœuvrer les masses contre les “patrons” pour réaliser une énième révolution. La crainte et la préoccupation dans la société italienne et dans ses institutions d’un éventuel mouvement révolutionnaire populaire était grande ; cette crainte fut aussi une des causes de la violente répression des mouvements milanais de 1898 avec l’arrestation qui en résulta de l’abbé Albertario. De son côté, le directeur de L’Osservatore ne pouvait rester étranger à ce problème et à plusieurs reprises en traita dans son journal. Voici ce qu’il écrivait en 1878 : “le libéralisme a vaincu, mais avec sa désastreuse victoire il devient le précurseur du socialisme, la tête de la révolution”. “Le catholicisme est au contraire la solution pacifique, tranquille, efficace de la question sociale ; c’est la solution la plus digne et la plus sûre, la seule pratique ; la solution qui a donné dans l’histoire de l’Église les plus belles preuves : preuves qui furent en partie ruinées, brisées par le protestantisme, lequel par le libre examen a préparé la libre pensée et avec la libre pensée a secoué toute autorité et poussé les hommes à l’anarchie de l’intelligence, à l’anarchie politique et sociale” (O.C. 2930/03/1879) (17). Et face à l’impuissance du libéralisme à arrêter le socialisme, en 1884 il s’écriait : “Ou catholicisme ou socialisme ; le Pape sauvera la société du socialisme, dont les libéraux ne savent pas la sauver”. Albertario ne se cachait pas les dangers qui étaient intrinsèques à la question sociale et ouvrière : “le socialisme et la maçonnerie ont produit un immense dégât dans le camp démocratique, et tentent de conduire à des fins sinistres le mouvement populaire ; s’il n’en était pas ainsi, nous nous mettrions sans restrictions en première ligne pour conduire les masses trompées jusqu’ici par le libéralisme, à gagner une place prépondérante dans la société à côté de la noblesse qui vilement se prosterne devant les libéraux modérés, et à la bourgeoisie qui s’engraisse en faisant bombance et en tyrannisant et, pire, en méprisant. Au clergé est ouverte une mission sublime, diriger les forces des masses au baptême de la société revigorée et rajeunie dans le triomphe de l’idée populaire chrétienne” (O.C. 19-20/02/1890). Aux libéraux apeurés et inquiets pour leurs biens par l’avancée de la marée socialiste il écrivait : “Écoutons les bourgeois libéraux qui invoquent l’aide du prêtre pour qu’il contienne les passions des masses, le prêtre qu’ils méprisent, et que ces bourgeois ont appauvri.Écoutons-les invoquer l’influence morale de la religion contre le socialisme qui s’étend et rugit. La religion qu’ils abhorrent, qu’ils ne pratiquent pas, dont ils se moquent. Eh bien, le prêtre et la religion travaillent au milieu de la société, répandent des idées d’ordre, de respect, mais on n’exerce pas ce ministère de justice et de paix, pour vous protéger, vous les bourgeois libéraux, mais pour le bien des âmes, pour la gloire de Dieu. Entrez-vous dans ces idées, ô bourgeois ? Alors ça va, autrement que le socialisme vous noie tôt ou tard ! – Bien, préparez-vous” (O.C. 28-29/10/1890) (18).


L’arrestation de l’abbé Albertario dans la maison paternelle

L’œuvre de don Davide en faveur des classes les plus nécessiteuses ne se limitait pas aux articles sur son journal et aux batailles d’idées ; lui qui était d’origine paysanne savait bien quelles étaient les fatigues des champs, et voyait la cécité brutale des hobereaux qui travaillaient pour Karl Marx et ruinaient l’esprit des travailleurs en arrachant de leurs cœurs tout sentiment d’honnêteté et de religion, en poussant les paysans vers le socialisme. “Les maux du paysan – écrivait-il sur L’Osservatore en 1884 – ne consistent pas tant dans le travail, que dans le fait de ne pas vouloir l’éduquer dans les doctrines de cette grande maîtresse de la vie qu’est la Religion. Au contraire, on s’emploie avec perfidie à changer le paysan en une force brute au service de l’indépendance religieuse et de l’incrédulité ; au contraire, on enseigne directement au paysan à rompre l’unique fil, la foi, qui le tient uni à la vie et la lui rend supportable, à repousser l’unique ami, le prêtre, qui le considère comme un fils et un frère et lui fait goûter les harmonies des affections surnaturelles. Tel est le malheur du paysan, quand ses patrons le rendent étranger à l’Église ; alors il devient un cheval, un bœuf, une vache, un porc, un âne” (19).

Les souscriptions organisées par Albertario pour aider les classes paysannes furent fréquentes, telle celle mémorable de Briosco, dans la Brianza, en mars 1898, quelques mois avant d’être arrêté. Le maire de Briosco, le noble Porro-Lodi, gros propriétaire terrien d’idées anticléricales et libérales, avait notifié l’expulsion à cinquante de ses fermiers, coupables seulement d’appartenir au comité paroissial qu’il avait déjà essayé de contrecarrer de toutes les façons possibles en empêchant dans le village les processions avec les bannières. L’absurdité de cette mesure provoqua une grande agitation à Briosco et dans toute l’Italie dans la crainte que d’autres propriétaires du même acabit utilisent les mêmes moyens contre les organisations catholiques. L’abbé Albertario, à partir des colonnes de son journal, lança une souscription pour aider les paysans, qui se retrouvaient sur le pavé du jour au lendemain ; il écrivait : “Amis, frères, n’abandonnons pas les braves travailleurs de Briosco”. L’Italie catholique répondit avec un grand élan, mais les polémiques se déchaînèrent contre Albertario accusé de vouloir la disparition des classes supérieures, d’être excitateur de haine contre les riches, défenseur du socialisme, ennemi de la charité… (il dut endurer aussi cette accusation contradictoire !). Les nuages de mai 1898 commençaient à s’amonceler sur L’Osservatore et son directeur.

Le jubilé du sacerdoce et du journalisme

En 1894, l’abbé Davide Albertario célébra ses 25 ans de sacerdoce et d’activité journalistique et reçut de très nombreuses marques d’estime et d’affection de tout le monde catholique. Le onzième congrès Catholique (de l’O.d.C.), qui se tint à Rome en février 1894, mit aux voix un triomphe à l’infatigable champion de la presse catholique : “rappelant le jubilé journalistique du docteur Davide Albertario, salue avec vive approbation l’œuvre accomplie par lui en vingt-cinq années de travail efficace dans la presse quotidienne au profit de l’Église et de l’Œuvre des Congrès”. Invité par son ami l’avocat Paganuzzi, Albertario dut, malgré lui, prendre la parole et après avoir remercié, ému, tous les présents, conclut par le cri de “Vive le Pape ! Vive le journalisme catholique ! Vive la Rome papale et cléricale !” L’assemblée enthousiaste lui répondit au cri de “Vive L’Osservatore Cattolico ! Vive l’abbé Albertario”. Ce triomphe rendu à l’abbé Albertario dans la Rome papale, en une si importante circonstance, le récompensait de tant d’années de douleurs et d’infatigable travail, de polémiques et de procès (20).


Le cardinal Andrea Ferrari, archevêque de Milan depuis 1894

Au cours de cette année, don Davide reçut félicitations et célébrations, à Pavie (son diocèse), à Filighera (son pays natal), et à Milan (sa ville d’action). Le 18 octobre 1894, l’abbé Albertario célébra la messe jubilaire dans l’église de S. Maria Segreta à Milan en présence de plus de six cents prêtres. Le maître Lorenzo Perosi (à l’époque directeur de la chapelle musicale de Saint-Marc à Venise) écrivit pour l’occasion la Missa Davidica. Le père jésuite Gaetano Zocchi prononça le sermon. Un banquet suivit ensuite la Messe dans les locaux du séminaire corso Venezia, avec environ quatre cents invités avec des discours interminables et des lectures de télégrammes arrivés de toute l’Italie (21). Nous citons seulement ici le télégramme papal de Léon XIII : “Le Saint Père appréciant les services rendus par le prêtre Albertario dans la défense des droits et de la doctrine de l’Église, et se réjouissant de le voir fêté à l’occasion de son double jubilé par les catholiques rassemblés à Santa Maria Segreta et par de nombreux prélats, lui envoie spéciale bénédiction pour réconfort et remerciement. M. cardinal Rampolla” (22).

Toute la presse italienne, et également beaucoup de presse étrangère, s’intéressa de différentes manières au jubilé de l’abbé Albertario. Cela signifiait la réparation de tant de griefs supportés par lui et par les intransigeants, le triomphe de leur cohérence et de leur fidélité à la cause papale. Le même don Davide le fit remarquer dans un article intitulé “dernier mot” dans lequel il parlait du fil d’or qui unissait le premier au dernier numéro de L’Osservatore et que ce fil d’or était la fidélité inaltérée du journal “au vrai, au juste, à Dieu, au Christ, au Pape, à la Religion et à la patrie ; c’est le fil de la cohérence la plus scrupuleuse dans le service aux plus grands intérêts de l’humanité, dans l’opposition aux proches et aux lointains ennemis du bien des âmes” (23).

Les relations avec le cardinal Ferrari

Le cardinal Andrea Ferrari, d’abord évêque de Guastalla, puis de Côme, devint archevêque de Milan en 1894 et le resta jusqu’en 1921, année de sa mort. Du temps de saint Pie X, le cardinal Ferrari était soupçonné d’appuyer et de protéger les modernistes dans son diocèse. Il a été “béatifié” (24) par Jean-Paul II le 10/05/1987. Le cardinal Ferrari entra à Milan précisément en l’année du jubilé sacerdotal et journalistique de l’abbé Albertario, mais ne fut certainement jamais un partisan enthousiaste de ce dernier. En 1907, cinq ans après la mort de l’abbé Albertario, par vouloir du cardinal, L’Osservatore (dirigé par son successeur, le laïc chrétien-démocrate Filippo Meda) et La lega Lombarda de tendance transigeante et conciliatoriste se fondèrent dans le quotidien L’Unione pour mettre fin à une époque d’oppositions et faire tomber dans l’oubli l’abbé Albertario.

Alors qu’il s’apprêtait à prendre possession du diocèse de Milan, en 1894, le cardinal Ferrari reçut l’invitation formelle du secrétaire d’État de Léon XIII, le cardinal Rampolla (lettre du 24-25/09/1894) de donner lui-même, au nom du Pape, la bénédiction apostolique à l’abbé Albertario : “Sa Sainteté voulant donner au prêtre mentionné une attestation de paternelle bienveillance qui l’anime et l’encourage à persévérer dans la défense de la religion et des droits du Saint-Siège m’a chargé de lui faire parvenir une spéciale bénédiction (…) Et moi, pensant que serait particulièrement agréable à D. Albertario l’annonce de la faveur pontificale si elle lui est communiquée par Votre Éminence qui est destinée à lui être père et pasteur, je vous prie de vouloir transmettre en temps utile la bénédiction apostolique à lui accordée par le Saint Père” (25). Ferrari déclina l’invitation comme inopportune en écrivant plusieurs fois à Rampolla : «C’est incroyable comme des deux côtés, de celui de La Lega […] et de celui de L’Osservatore, chacun cherche de tant de manières à tirer à lui mon nom et mon approbation – Ensuite, le cardinal jugeait ainsi notre journaliste – Et j’ai déjà dit que D. Albertario incline, je dirais presque, à vouloir encore dicter la règle de conduite même aux évêques (…) et j’ai raconté ce qui me fut rapporté par une personne parfaitement digne de foi, que D. Albertario quelques jours avant mon élection avait dit : “si le nouvel archevêque ne s’en tient pas à notre orientation, nous créerons autour de lui une atmosphère si fraîche qu’il en restera transi”» (25). Rampolla à la fin consentit aux raisons de Ferrari et la bénédiction apostolique fut adressée à Albertario par la voie ordinaire ; de son côté, le cardinal Ferrari envoya ses vœux à Albertario dans la forme la plus concise possible. Cette froideur initiale fut bien perçue par les antagonistes de L’Osservatore qui commentaient ainsi : “Moins explicite mais très déférente est la lettre du cardinal Ferrari. Cependant la lettre n’exprime pas l’adhésion inconditionnelle, chaleureuse des autres orientations cardinalices et épiscopales à l’œuvre de l’abbé Albertario ; il y a un ton de réserve qui, bien que ne manquant pas de phrases courtoises, laisse cependant nébuleuse la pensée politique de l’archevêque” (26).

Le cardinal Ferrari eut une période dans laquelle il fut très proche des intransigeants même si ce fut de manière modérée avant les faits de 1898, et donc aussi d’Albertario et de son journal, qui le soutenait puisque le cardinal Ferrari était l’évêque qui (contrairement à Bonomelli…) ne s’opposait pas à l’organisation des forces catholiques. Dans les polémiques entre Albertario et Bonomelli, évêque de Crémone, Ferrari essaya de faire le conciliateur en cherchant à imposer le silence au directeur de L’Osservatore, mais en même temps il faisait observer à Bonomelli que “les journaux libéraux s’étaient servis de son nom presque comme enseigne afin de combattre avec plus de sécurité la partie catholique et ceci avait produit une impression désagréable (…), l’utilisation de chaque texte bonomellien était certainement un fait déplorable” (27).

En 1898, dans les jours où éclatèrent les mouvements de Milan au cours desquels fut arrêté le directeur de L’Osservatore Cattolico, le cardinal Ferrari se trouvait en visite pastorale à Asso dans la Valassina ; il fut très critiqué pour cela (peut-être injustement). À propos de don Davide, le cardinal eut, à cette époque, des jugements plutôt sévères peut-être dictés aussi par les tragiques circonstances, comme l’attestent certaines de ses lettres échangées avec le cardinal Rampolla. En voici une : “L’Osservatore Cattolico eut certains articles dans lesquels l’idée républicaine était plutôt accentuée, les modérés restèrent irrités par les dernières polémiques avec la Lega Lombarda, et avec Bonomelli, laquelle me déplut tant à moi aussi et m’a attiré des ennuis de plusieurs côtés. Or toutes ces affaires de L’Osservatore retombent sur moi, et pour certains le fait que j’ai plusieurs fois soutenu que je n’entends en aucune manière être considéré responsable de ce qu’écrit L’Osservatore ne vaut rien ; je fus d’ailleurs bien peu écouté à plusieurs reprises sur telle ou telle question, et cela m’a justement persuadé que parfois dans L’Osservatore l’obéissance et le respect pour les évêques n’y étaient que seulement imprimés” (28). Ferrari estimait L’Osservatore rédigé dans le style albertarien un journal “plus possible” et la réaction et l’arrestation avaient été causées “par des manières rudes et discourtoises et par les attaques personnelles” de don Davide. De son côté, l’abbé Albertario prit la défense du cardinal Ferrari pour son absence de Milan durant les émeutes : “Si le cardinal avait pu rester à Milan pendant les émeutes, il ne lui aurait pas été épargné une seule goutte du calice amer : parce que s’il s’était tu, ils l’auraient dénoncé au mépris public pour son silence ; s’il avait parlé, Dieu sait quels crimes ils auraient trouvés dans ses paroles. Il s’agissait de profiter de l’occasion pour ajouter à beaucoup d’autres choses l’affaire de l’archevêché de Milan, en visant le cardinal à un moment favorable pour le dompter et s’en débarrasser” (29).

Mai 1898, les émeutes de Milan et l’arrestation de l’abbé Albertario

• Les faits. Le quinzième congrès catholique de 1897 (auquel Albertario avait activement participé) eut un notable succès et cela indisposa les milieux anticléricaux et maçonniques d’Italie. En septembre 1897, la Franc-Maçonnerie tint à Milan une espèce de congrès (qui devait contrebalancer le congrès catholique) qui servit à préparer les plans d’une répression gouvernementale. « Zanardelli avait consenti à partager la politique antisocialiste et antipopulaire de Rudinì à la seule condition d’un engagement à fond contre les catholiques : les émeutes de Milan en mai 1898 offraient l’occasion pour atteindre en même temps deux buts, pour réduire en un seul faisceau les ennemis des institutions, pour liquider les deux antithèses qui dressaient des embûches et menaçaient l’état du Risorgimento. Nées d’un ferment et d’une inquiétude qui venait réellement du “pays réel”, des masses anonymes, des zones non qualifiées du prolétariat, ces émeutes pouvaient être indifféremment imputées aux différents groupes, qui depuis des années, soutenaient une âpre et irréductible polémique contre l’état oligarchique et censitaire de la bourgeoisie ; et la recherche des responsabilités juridiques était, dans une telle perspective, la moins importante et la moins urgente » (30).


Les émeutes de Milan de 1898 : la cavalerie place du Dôme

Une campagne de presse acharnée fut entreprise contre les organisations catholiques, les comités paroissiaux, les sections de jeunesse de l’Œuvre et les journaux catholiques : elle dépeignait le mouvement catholique comme une pépinière de “subversivisme” aussi dangereux que le subversivisme socialiste. Les élections politiques de 1897 avaient porté à la Chambre plusieurs députés socialistes, puisqu’ils avaient profité du mécontentement qui régnait à cause de la mauvaise récolte (rappelons en outre que les catholiques ne votaient pas du fait de l’interdiction papale, ce qui eut pour effet d’avoir au parlement surtout des libéraux et des socialistes). À cause de l’insuffisance de la récolte, le prix du pain (principal aliment de la population) augmenta de 42 à 48 centimes, les salaires diminuaient et le chômage croissait, rendant le moment particulièrement inquiétant au plan politique et économique. La tempête se préparait ! Au gouvernement, se trouvait le “réac” et craintif marquis Antonio Starabba di Rudinì (Starabba – Barabbas aurait écrit l’abbé Albertario, jouant sur l’assonance des noms… !) qui se laissa influencer par la presse anticléricale et par les loges en devenant un instrument de vengeance et de répression gouvernementale. Au moyen de cinq circulaires expédiées aux préfets entre septembre et octobre 1897, di Rudinì voulait carrément interdire les manifestations dans les églises (comme les congrès catholiques) et recommandait de contrôler les militants catholiques, tout ceci dans la crainte de “graves désordres”. Évidemment, le succès du Congrès de Milan qui avait montré la force croissante d’organisation de l’Œuvre des Congrès commençait à préoccuper le gouvernement.


Les émeutes de Milan de 1898 : l’arrestation des frères capucins du couvent de l’avenue Piave

Paganuzzi, en tant que président de l’Œuvre, et Albertario dans les colonnes de son journal, protestèrent, nullement intimidés, en rappelant que les catholiques n’étaient jamais sortis de la légalité et combattaient le socialisme et qu’on ne pouvait pas les y assimiler. Les paroles de don Davide étaient déformées et falsifiées ; il était dépeint comme un excitateur à la haine contre les riches et un apôtre du socialisme.

En février 1898 eurent lieu les faits de Briosco dont on a parlé plus haut. Le 6 mars, le “chantre de la démocratie” maçonnique, Felice Cavallotti, fut tué en duel, et ses funérailles célébrées à Milan furent un déploiement de drapeaux rouges, d’hymnes révolutionnaires (Marseillaise et hymne de Garibaldi, alors interdits). Le 25 avril, des émeutes se produisirent pour le pain et des soulèvements à Faenza, puis dans les Marches, en Toscane et en Émilie, qui se propagèrent ensuite en Sicile, dans la région de Naples et début mai en Lombardie. À Milan, les émeutes pour le pain éclatèrent le 6 mai.

• Les accusations prétextes et les polémiques. Il resto del Carlino de Bologne et la Sera de Milan accusèrent les catholiques d’être les responsables des désordres dans toute l’Italie. L’abbé Albertario répondait dans un article célèbre : “Ah, canailles !… vous donnez du plomb aux malheureux que vous avez affamés et ensuite vous vous lancez contre les cléricaux”. Et il ajoutait : “La raison des émeutes est dans la misère… nous ne pensons pas que l’on puisse appeler révolution la protestation de l’estomac… il appartient aux catholiques de se préparer pour l’avenir à sauver le pays qui par le libéralisme est poussé à la ruine”. Les ennemis d’Albertario se servirent aussi de ses autres paroles pour le désigner comme un incitateur de la révolte (ce que fit en effet La Perseveranza du 8 mai). “L’histoire a désormais établi deux faits incontestables : primo, que les modérés et les conservateurs, parmi lesquels se démenaient les habituels agitateurs de la franc-maçonnerie, avaient cru étouffer le socialisme et le mouvement social catholique qui les dérangeait dans leurs intérêts matériels, en poussant le gouvernement à étendre la répression des émeutes au moyen d’une violente réaction contre les représentants et les organisations socialistes et catholiques ; secundo, que le gouvernement, l’autorité militaire et la police se laissèrent mettre la main dessus par des agitateurs. D’où le drame qui éclata dans les journées de Milan” (31). L’état de siège fut décrété le 7 mai et la ville fut occupée militairement par les troupes du général Bava Beccaris qui fit tirer sur la foule des révoltés. Dans les émeutes de Milan environ quatre-vingts personnes moururent (principalement tuées par la police). Deux années après les faits, don Davide faisait observer comment : “une police avisée aurait pu facilement les prévenir, aurait pu rapidement, même avec l’aide des troupes, les réprimer : au contraire du sang innocent fut versé, d’énormes injustices furent commises : on voulut prendre le prétexte pour exécuter des vengeances politiques longuement mûries”. Ces lignes écrites par Albertario le 7 mai, pendant les émeutes, témoignent qu’il n’était pas un agitateur et que les accusations contre lui étaient des prétextes : “Nous estimons que l’exaltation populaire cessera rapidement ; nous recommandons aux catholiques le calme ; qu’ils ne s’unissent pas aux émeutiers car le nombre sert aussi à exciter les esprits. Pensons à Dieu en ces moments difficiles, prions Marie, prions pour nous et pour nos fautes”. Le commandement militaire s’intéressa tout de suite aux journaux. Il supprima Il Secolo et l’Italia del Popolo en arrêtant les directeurs Carlo Romussi et Gustavo Chiesi ; des journalistes furent aussi arrêtés et déjà circulait la rumeur que L’Osservatore et son directeur seraient touchés de la même façon.

• L’arrestation. Quand le journal La Lombardia parut avec la nouvelle qu’Albertario serait arrêté, le directeur de L’Osservatore comprit qu’il devait désormais quitter la ville et arrêter la publication du journal. Le journal s’auto-suspendit, informant le Parquet du Roi, avant d’être supprimé par la police. “Nous nous regardions les uns les autres attristés – écrivit-il ensuite – comme à la mort d’une personne chère. Ce fut un moment solennel et je ne saurais pas le décrire. Pendant vingt-neuf ans, chaque jour, j’avais lancé dans le monde L’Osservatore ; pas de plus dure difficulté, pas de coupe plus amère n’avait arrêté le cours du journal qui comptait trente-cinq ans de féconde et bénie existence. J’entrai à l’imprimerie, me fis remettre les manuscrits et L’Osservatore cessa. Nous pleurions tous” (32). L’abbé Albertario indiquait comme responsables de son arrestation les milieux du clérico-libéralisme qui depuis trente ans attendaient l’occasion de se libérer de l’homme et du journal qui les combattait. Mais parmi les responsables il y avait aussi la maçonnerie : “Leurs aspirations n’auraient pas été couronnées de succès, si à Rome la maçonnerie n’avait pas avec insistance réclamé à Zanardelli une compensation pour les arrestations de républicains et de socialistes, comme plus tard il demanda la dissolution des associations catholiques”. L’Osservatore écrivit, dès qu’il put reprendre les publications : “L’ordre d’arrestation partit de Rome et vint de la maçonnerie zanardellienne, heureuse de pouvoir rendre un service au parti clérico-libéral à Milan” (O.C. 16-17/09/1898) (33) ; même si Albertario ne donnait pas de noms, on pouvait comprendre à partir du contexte la référence à Mgr Bonomelli, évêque de Crémone (34). Indépendamment du complot, on peut certainement dire que “les clérico-libéraux se trouvèrent du côté des forces de répression, contre les associations catholiques et contre les ouvriers, servant de cible au feu des fusils et des canons de Bava Beccaris. Ce fut alors vraiment un spectacle lamentable que celui offert par des catholiques transigeants qui s’élevèrent contre les intransigeants et qui applaudirent aux dispositions des commissaires royaux, qui dissolvaient les comités paroissiaux et supprimaient les journaux qui se disaient favorables au Pape. Si on n’a pas pu dire, par la suite, que les catholiques furent en 1898 l’‘arrière-garde’ des pires forces de la bourgeoisie italienne, si on n’a pas pu dire qu’ils avaient apporté leur soutien à Bava Beccaris et à Heusch, cela fut seulement grâce aux chaînes qui furent mises par des gendarmes aux poignets de l’abbé Davide Albertario. Les intransigeants de gauche et de droite, quelles qu’aient été leurs erreurs, avaient de fait évité (…) que les ouvriers, les paysans puissent voir le monde catholique associé à la défense d’un ordre enfermé dans ses privilèges de classe, peureux de s’ouvrir aux forces qui étaient restées extérieures au mouvement de formation de l’état libéral” (35).

Après avoir arrêté son journal, l’abbé Albertario continua à envoyer des épreuves d’articles à son ami Giuseppe Sacchetti à Florence, pour qu’il les publiât dans son journal l’Unità cattolica qui pouvait encore paraître (jusqu’au 24 mai, date de sa fermeture préfectorale). À Sacchetti, don Davide, donnant libre cours à son amertume, écrivait dans ses notes confidentielles : “on a voulu immoler une victime exquise qui servirait à atténuer les colères des républicains radicaux visés, ou des modérés radicaux, lesquels exigent des victimes catholiques”. Et encore : “tu dois savoir que le commandement militaire ne trouva pas de fautes dans L’Osservatore, mais le général Revel a voulu mon sacrifice pour être agréable à son ami G. Bonomelli, et le général Revel engagea aussi des influences de cour pour obtenir mon sacrifice. Ceci doit être dit avec beaucoup de prudence, mais avec clarté. En somme, cher Sacchetti, tu dois faire un article calme, large, noble, tel qu’il puisse me servir de défense. Prends les points que j’ai notés et écris comme tu sais écrire. Adieu, c’est déjà la nuit. Je dois fuir de Milan. Je pars en pleurant, laissant en larmes ma vieille tante et ma sœur” (36).


Le général Bava-Beccaris, responsable de la répression des émeutes de Milan qui firent environ quatre-vingts morts

Après avoir arrêté L’Osservatore, il fallait penser à son directeur ; des amis conseillaient à don Davide de se réfugier en Suisse, mais lui, après avoir considéré la chose devant Dieu, se décida au contraire à se rendre, de manière publique, à la maison paternelle à Filighera. Le journal reçut la lettre de suppression du commissaire avec le prétexte que L’Osservatore falsifiait les faits et excitait l’opinion publique. Le 10 mai, après avoir écrit une lettre au général Bava Beccaris pour l’informer qu’il s’absentait de la ville, mais qu’il était prêt à rendre compte de chacun de ses actes et ne voulait pas être confondu avec les émeutiers, l’abbé Albertario prit ouvertement le train à la gare centrale, sous les yeux des policiers qui le filaient, et c’est en passant par Pavie qu’il rejoignit la maison paternelle à Filighera. Don Davide visita le curé, l’abbé Luigi Greco, qui lui confia tout de suite la prédication du mois de Marie. Quelques jours passèrent ainsi dans la paix de la campagne où de loin parvenaient les échos des affaires de la métropole et de la nation. Il eut connaissance par les journaux du canonnage du couvent des Capucins à la porte de Monforte et de la suppression du comité diocésain de Milan. Entre une occupation et l’autre son arrestation s’approchait, les gendarmes de Belgioioso le surveillaient. Le soir du 23, il dit à ses proches : “Bon, préparons-nous pour cette nuit ou demain”. L’arrestation eut lieu dans l’après-midi du 24 mai vers 15 heures. Une patrouille de carabiniers se présenta à la porte ; un lieutenant, avec beaucoup de politesse, demanda le prêtre Davide Albertario et, le tirant à l’écart, lui notifia le télégramme de Bava Beccaris avec l’ordre de l’arrêter. L’au-revoir à son frère Mosé fut très pénible, le pressentiment qu’ils ne se verraient plus leur était commun ; en effet, Mosé Albertario mourut trois mois après, foudroyé par la douleur. Dans la voiture fermée, escorté par les gendarmes, il passa sur la place entre deux rangées de peuple consterné et muet ; devant l’église, don Davide se recommanda à la Providence. Les menottes lui furent mises en gare de Belgioioso. Les paroles par lesquelles don Davide décrit ce triste moment sont émouvantes : “il n’est pas possible de rapporter quels furent mes sentiments à ce moment… quand le gendarme me présenta cet engin fait pour les méchants et me fit comprendre que je devais me résigner à introduire les mains dans les cercles qui avaient contenu les poignets d’assassins, de voleurs, d’ignobles, je me sentis si gravement offensé dans ma dignité, dans mon innocence, dans tous mes droits d’homme, de citoyen, de prêtre, dans ma liberté, que seule une haute pensée invoquée depuis plusieurs jours me sauva de la réaction vaine et de la prostration. Les menottes, plus encore que la prison, sont l’ignominie” (37). À Pavie, l’évêque se trouva en gare et vit son prêtre, menotté comme un malfaiteur, partir pour Milan. Une fois qu’il fut arrivé en ville, en évitant la foule des curieux amassés sous les auvents, les carabiniers conduisirent l’abbé Albertario à la prison de S. Vittore, où lui fut assignée la cellule n° 41. Il était 17 heures, le 24 mai 1898. « “Je suis entre vos mains, ô Seigneur” – s’écria don Davide – levant les bras et les yeux vers la fente étroite de la fenêtre, où l’on apercevait un petit morceau de ciel. Ce fut un moment de calme solennel. Je rassemblai toute mon énergie, me fis l’exacte idée de mon état, offris à Dieu tout ce qui m’appartient et me proposai de profiter du mieux possible du malheur inévitable » (38).

Le jour même était supprimé le journal L’Unità Cattolica, et le 27, le marquis di Rudinì donnait l’ordre aux préfets de dissoudre toutes les Associations catholiques dépendant de l’Œuvre des Congrès, comme “associations subversives pour l’État”. Au total, 4 comités régionaux furent abolis ; 70 comités diocésains ; 2 500 comités paroissiaux (sur 4 044) ; 600 sections de jeunesse (sur 708) ; 5 cercles universitaires (sur 16) ; 20 cercles de jeunesse catholique (sur 28) ; 3 000 associations de différentes catégories (sur 3 170 qui adhéraient à l’Œuvre des Congrès). Celles qui restèrent sur pied durent leur salut au fait d’être inconnues de l’état. Le gouvernement connaissait si peu l’Œuvre qu’il en laissa exister le centre directeur.


L’arrestation de l’abbé Albertario : le prêtre menotté entre deux carabiniers

• Le procès des journalistes. Plusieurs journalistes et personnages qui formaient une compagnie hétérogène avaient été arrêtés avec l’abbé Albertario : Carlo Romussi, directeur de Il Secolo ; Gustavo Chiesi et Paolo Valera, directeur et écrivain de L’Italia del Popolo ; De Andreis, conseiller municipal républicain ; l’avocat Bortolo Federici (républicain), ancien directeur de la Sera, Ulisse Cermenati, républicain de L’Italia del Popolo et Arnaldo Senici, administrateur du même journal ; le professeur Gilardi du Secolo, les socialistes, le député Turati et sa compagne russe Anna Kuliscioff (tous deux journalistes de l’Avanti !) ; Leonida Bissolati, directeur du journal socialiste Avanti ! ; les anarchistes Alfredo Gabrielli et Domenico Baldini et d’autres encore, pour un total de 680 co-prévenus. Le procès eut lieu du 16 au 22 juin au château Sforzesco, et tous les prévenus de ce qui fut appelé le “procès des journalistes” (en réalité sur 24 accusés les journalistes étaient une minorité) furent déférés au tribunal de guerre ; les juges étaient donc tous des militaires. Don Davide fut mis dans la pièce n° 10 avec une lucarne donnant sur le toit : de là entraient l’air, le vent et la pluie, et pendant les orages sa cellule était inondée. L’acte d’accusation reprenait les informations du commissaire affirmant qu’il y avait eu un complot révolutionnaire au moyen de “fréquentes réunions, meetings et conférences publiques et privées tenues par les plus influents, intelligents, actifs et énergiques chefs des partis révolutionnaires résidents ou participants, et au moyen des journaux locaux, par exemple La lotta di classe, Popolo sovrano, L’Italia del popolo, Il Secolo, La critica sociale, et pour d’autres buts spéciaux, L’Osservatore Cattolico”. Albertario et son quotidien avaient une accusation “spéciale” qui le concernait directement : “un autre accusé est l’abbé Davide Albertario, directeur de L’Osservatore Cattolico, organe de ce parti clérical intransigeant qui s’oppose aux institutions et à l’unité de la patrie, de caractère belliqueux et violent, qui soutint des luttes très vives avec la partie du clergé qui s’inspirait des principes modérément libéraux”. L’abbé Albertario était encore accusé d’être en compétition “avec le parti républicain et socialiste pour combattre la monarchie et susciter la haine des classes”, d’être donc responsable de l’insurrection milanaise, et d’avoir incité “à commettre des faits, destinés à changer violemment la constitution de l’État, la forme de gouvernement, et à faire prendre les armes aux habitants du royaume contre les pouvoirs de l’État” (39). Dans ces conditions, il était clair que le procès serait un coup monté par la police dont l’issue était déjà écrite… Parmi les témoins qui firent les éloges d’Albertario, il y eut Mgr Mantegazza, évêque de Famagouste et auxiliaire de Milan, et le professeur sociologue Giuseppe Toniolo, arrivé exprès de l’Université de Pise, qui essaya de faire comprendre la différence entre la doctrine catholique et le socialisme et conclut : « “que l’on peut être démocrates sans être socialistes et même en étant le plus solide frein contre le socialisme et contre tous les partis révolutionnaires” – En somme vous le considérez socialiste ? – dit le président de la cour. – Non, Monsieur le Président ; j’ai seulement dit le contraire. – Malgré cela le procureur dit dans le réquisitoire : “Tous les journalistes appelés ici à votre jugement avaient un but criminel commun : les autres doivent être condamnés, mais que le prêtre rebelle soit aussi condamné !” et arrivé à Albertario, il demanda le maximum de la peine, c’est-à-dire cinq ans de détention (…). La parole ayant été donnée à l’accusé, celui-ci dit simplement : “Je n’ai que deux mots à dire : aucun témoin n’est venu déposer contre moi ; seul le commissaire de police a soutenu comme thèse générale que je tendais à des idées catholiques intransigeantes sur des bases socialistes et c’est comme catholique intransigeant que le procureur a demandé contre moi la sentence. Ces paroles me donnent l’occasion de déclarer au tribunal que je ne suis aucunement souillé par le socialisme et que si je suis catholique intransigeant, je le suis parce que c’est mon devoir et mon sentiment, et je le dis avec satisfaction ; ce devoir, je l’accomplirai avec la grâce de Dieu jusqu’à la mort”.


Le procès des journalistes

Le matin du 23 juin, le président lut la sentence, qui excluait le complot, et qui renvoyait acquittés cinq accusés et condamnait tous les autres à différentes peines. Pour Albertario, étant donné que – “les articles du journal dirigé par lui rivalisaient avec les autres par la violence, de manière à attaquer avec une subtile ironie la monarchie et les institutions, semant la haine des classes entre paysans et patrons et entre les autres classes sociales et détournant une bonne partie du clergé de cette œuvre de pacification qu’il était destiné à accomplir pour sa mission, constituant ainsi une impulsion à la révolte y compris avec des articles violents, quand celle-ci avait déjà éclaté” – le tribunal le condamnait à trois ans de détention et mille lires d’amende » ( 40). C’était la victoire des conservateurs libéraux, des modérés et clérico-libéraux sur les intransigeants. On arriva donc à l’absurdité d’un tribunal militaire incompétent, d’un gouvernement anticlérical et maçonnique, qui prétendit condamner et de fait condamna, un prêtre catholique à cause de ses idées intransigeantes. En réalité, à la rigueur, il se serait agi d’un jugement qui aurait dû être de la compétence d’un légitime tribunal ecclésiastique. Sunt lacrimæ rerum.

Les conséquences des émeutes de 1898


L’abbé Albertario en prison au château Sforzesco à Milan

Les révoltes de 1898 marquèrent certainement un tournant dans l’histoire du Royaume d’Italie et du mouvement catholique. Les libéraux qui avaient gouverné le pays jusqu’à ce moment se rendirent compte qu’ils auraient dû nécessairement se confronter à la majorité de la population qui s’orientait toujours plus vers les catholiques et les socialistes, justement ces forces “subversives à l’état” qui avaient subi la violente répression gouvernementale. “Le socialisme, après la condamnation excessive et intempestive, fruit évident d’une réaction aveugle, acquit l’auréole de martyre, une réclame inattendue et une sympathie générale des masses prolétariennes” (41). Les catholiques, de leur côté, se rendirent compte qu’il aurait été nécessaire de passer outre le non expedit puisque face à l’avancée du socialisme les catholiques auraient dû faire peser leur force électorale. Ceci explique mieux l’évolution (ou l’involution…!) du mouvement catholique et de L’Osservatore Cattolico (dirigé désormais par Filippo Meda) sur des positions plus démocrates-chrétiennes ; ce processus évolutif conduira saint Pie X à dissoudre l’Œuvre des Congrès en 1905. On dirait presque qu’avec ces “événements de 1898 (…) l’époque du catholicisme intransigeant se termine puisque la question Romaine et le conflit qui s’ensuivit entre l’état libéral et l’Église deviennent moins pressants à l’égard de l’avancée du mouvement socialiste dans la société italienne et à l’essor du courant démocrate-chrétien à l’intérieur de l’Œuvre” (42). L’intérêt, et le conflit entre modérés et intransigeants, à l’intérieur du mouvement catholique, se place sur un plan doctrinal et religieux, donnant lieu aux courants intégriste et moderniste (ce dernier est une véritable hérésie condamnée par saint Pie X en 1907). Il est certain que les catholiques, contrairement aux socialistes, ne surent pas tirer profit du malheur qui frappait l’action catholique avec Albertario. Don Davide restera parmi les quelques-uns qui continuèrent à combattre pour la bonne cause dans les années suivant la tempête de 1898, et il le fit également depuis la prison.

« La condamnation d’Albertario, encore plus inique et inutile, secoua profondément le monde catholique qui avait suivi avec passion le procès, y compris à l’étranger. Eugène Tavernier, dans l’article de fond du 24 juin, interprétait très bien le sentiment commun de la catholicité en écrivant : “À peine le tribunal militaire de Milan a-t-il rendu sa sentence que les hommes politiques qui l’ont provoquée la trouvent déplorable. À Rome dans les milieux officiels, on redoute les conséquences d’une telle injustice et d’une maladresse. Après l’effarement produit par l’émeute vient l’effarement causé par une répression qui dévoile la faiblesse d’un régime aux abois” » (41)

Le détenu 2557 : la prison à Finalborgo

Les journalistes, après avoir été condamnés, furent transférés au cours d’un pénible voyage dans un wagon cellulaire, à Finalborgo (l’actuelle Finale Ligure dans la province d’Imperia) la nuit du 24 au 25 juin. Descendus du train à la gare de Finale Marina, ils durent faire à pied et menottés le chemin poussiéreux pour la prison (un ancien couvent dominicain dont l’Église fut dépossédée après 1870 et qui fut confisqué par l’État pour le transformer en prison…) (43). Paolo Valera décrit (44) ainsi l’état du pauvre prêtre : “ don Davide dans un autre lieu aurait fait éclater de rire. Avec le bord du tricorne pelucheux abandonné par ses lacets… avec le gilet aux boutons écorchés plein de taches blanches, avec la soutane couverte de poussière et les chaussures éculées et couvertes d’une couche blanche, il faisait pitié. Sur son visage se lisaient toutes les souffrances d’un supplice inénarrable”.

Initialement lui fut assignée la cellule n°5 d’à peine 1,75 mètre de haut, moins que sa taille, et de 1,40 de large dans un étroit corridor ; il y resta trois jours sans manger ni réussir à dormir. Albertario définit ces cellules des “tanières infâmes indignes des porcs” et dit que “la puanteur, vraiment pestilentielle, est la caractéristique de la prison de Finalborgo” (45). Il fut ensuite transféré dans une grande pièce destinée à lui, à Chiesi, à Federici, à Valera, à Lazzari et à Giglione. Les condamnés avaient fait recours en cassation, recours qui fut naturellement rejeté. Ce refus rendit ainsi définitive la condamnation et enleva les facilités qu’ils avaient jusqu’alors, ce qui advint début septembre. Le 6 septembre, les journalistes furent donc habillés en forçats et immatriculés. Avec une profonde douleur, l’abbé Albertario dut quitter son bien-aimé habit sacerdotal. « Le numéro de matricule avait grossi le cœur de mes compagnons. Romussi s’était assis sur son siège de bois avec le drap sur les bras et la serviette entre les mains, disant “je suis une loque !” Don Davide, de tempérament très sensible qui se laisse émouvoir, ou transporter, ou abattre par les événements, aurait pleuré si nous n’avions pas été présents. Il lui semblait impossible, comme il disait lui-même, qu’un prêtre, qui portait la soutane depuis trente-six ans, cette soutane, il ajoutait “qu’elle fut ma compagne et mon amie dans les temps heureux et tristes”, ait pu devenir le 2557, avec la gamelle immatriculée, avec la couchette dans une chambrée » (46). Écrivant à sa sœur Teresa, don Davide commentait : “ils m’ont enlevé le collet, la soutane, le gilet, les pantalons, les bas noirs, le chapeau, la chemise et m’ont revêtu d’un habit de chanvre rayé, sans gilet et sans poches dans les pantalons et dans la blouse ; la chemise est aussi de chanvre à rayures blanc et bleu. Sur la blouse, du côté gauche en correspondance du cœur, ils m’ont cousu une plaquette verte avec en jaune le numéro 2557 ; désormais, je ne suis donc plus le prêtre Davide Albertario, mais le numéro 2557, le rejet de la société. Ils m’ont donné des chaussures bizarres de peau de rhinocéros de la couleur de l’herbe sèche. Le coiffeur, qui est un condamné à vie, m’a coupé les cheveux et mon crâne est rasé” (47). En septembre sa sœur Teresa lui apprenait la mort de son cher frère Mosè consumé de douleur.

Le directeur de la prison, Reboamo Codegò, était un bureaucrate autoritaire et mesquin qui prenait plaisir à faire refaire aux journalistes de la chambrée n°5 les lettres qu’ils écrivaient, prétendant qu’ils “manquaient de style”, et censurait volontiers les lettres de don Davide. « Une autre fois, il lui fit même comprendre de manière grossière qu’il n’était plus qu’un numéro de matricule. Mais Albertario avait explosé : “donc, ils me considèrent et entendent me traiter comme un vrai délinquant ? Soit ! Alors, je vous prie de me donner du papier pour écrire au ministre Pelloux qu’il me fasse fusiller ! Là-bas, on ne connaît pas ce qu’est la dignité et moi je lui ferai apprendre !” (Valera) » (48). Les condamnés qui dans la vie étaient des adversaires trouvèrent réconfort dans la communion d’infortune, et essayaient de faire du bien aux forçats qui étaient préposés à leurs services. Le blanchisseur qui était un assassin avait une dilection pour don Davide. Le prêtre dans la blouse de prisonnier lui faisait saigner l’âme. “Il ne lui semblait pas juste qu’un homme de Talent, comme il disait, fût en prison pour avoir du talent”.


À Noël, l’abbé Albertario distribua le panettone aux autres détenus

Célèbre fut l’épisode de Noël quand les détenus de la chambrée n°5 reçurent, comme il arrivait toujours, des cadeaux parmi lesquels plusieurs panettoni, alors que plusieurs prisonniers à perpétuité ne recevaient rien parce qu’ils étaient souvent oubliés même de leurs parents, et décidèrent de les distribuer aux autres condamnés. Don Davide fut chargé de le faire. Ce fut une scène émouvante puisque pour ces condamnés c’était peut-être la première fois que quelqu’un, en ce jour de joie, mais si triste en prison, leur adressait des paroles fraternelles montrant qu’il les comprenait et les plaignait vraiment puisqu’il partageait le même sort. “Au nom des compagnons de la cinquième chambrée – leur dit don Davide – je vous adresse le salut en ce jour de paix ; comme prêtre, je vous souhaite la bénédiction de Jésus-Christ afin qu’il console votre cœur ; acceptez ce signe des sentiments de notre cœur désireux de votre bien – et il commença tout de suite la distribution. Les visages durs des forçats s’affinaient. De leurs yeux coulaient les larmes. Don Davide pleurait et nous, qui voyions tout derrière notre grille, étions profondément attendris. On restait bouche bée face à l’émotion de plusieurs forçats qui avaient assassiné des hommes, massacré les femmes, coupé en quatre les patrons et détruit les familles à coup de couteau. Don Davide me prit par le bras et me dit : vous avez vu qu’ils pleuraient ? Face au prêtre vêtu en assassin comme eux, coupable seulement d’avoir professé sa foi avec grande sincérité et ferveur, ils ont eu les larmes aux yeux. Ils ne sont donc pas complètement perdus. Croyez-moi, l’homme qui a encore la rosée du cœur est encore un être rachetable. On aurait dit des agneaux. Pourquoi n’y aurait-il pas manière de rendre durables dans l’âme de ces malheureux ces nobles sentiments et de les ramener dans le bon chemin ? – Je vous le jure sur mon âme : je n’oublierai jamais ce moment de Noël en prison. Ils m’ont attendri comme un enfant (Valera)” (49).

Dans sa prison, don Davide était réconforté par les lettres qu’il recevait de chez lui et de ses amis, de ses plus étroits collaborateurs ; il partageait les affections et les émotions de tous et répondait en invitant à la patience et à la résignation soumise à la volonté de Dieu, en attente de la justice. Ce sont environ trois mille lettres qu’il écrivit de la prison : elles constituent une correspondance très intéressante (50). Valera, son compagnon de cellule, en l’observant écrire disait “son style est moelleux, sa prose chaude, sa plume souple, sa phrase limpide comme le cristal. (…) L’injustice lui chauffe l’encrier. Avec ou sans colère, il n’est jamais vulgaire. Son intelligence polyédrique fait penser à l’abbé Margotti” (51).


Don Davide détenu n°2557. “Je te laissai mon habit, et j’apparus avec les vêtements qui habillent le parricide et le voleur”

Grâce à l’appui de certains prêtres amis et évêques qui écrivirent au Roi pour lui faire part de l’affaire de l’abbé Albertario, il réussit à obtenir, après avoir écrit une pétition le 26 août au premier ministre Pelloux, de pouvoir célébrer la sainte Messe dans la chapelle de la prison et de revêtir la soutane uniquement pour le culte. Comme toujours, les paroles qu’il écrivit à cette occasion sont émouvantes : “le 8 septembre, la Nativité de la très Sainte Vierge, m’apparut si belle et joyeuse qu’elle me fit oublier un instant les tristesses de la prison. En ce jour, je remontai à l’autel après cent sept jours d’éloignement. Ce serait ostentation inopportune si je me mettais à raconter ce que j’ai éprouvé en ce jour béni. Je me sentis un homme rené, ressuscité, rendu à la vie ; rempli d’une joie très vive ; libéré de l’oppression et de l’obscurité de la tombe. J’entrai dans la petite chapelle presque comme dans une cathédrale somptueuse… que je puisse, moi, jusqu’au dernier moment, le manipule des larmes et de douleur au bras et sur la poitrine l’étole croisée, signe de gloire et gage d’immortalité, m’avancer à l’autel de Dieu et y célébrer le Saint Sacrifice” (52). En septembre toujours, la Cassation confirma le jugement du tribunal de Milan, le rendant définitif, mais cela ne fit pas bonne impression sur le pays. Le calme était revenu et l’ordre avait été rétabli et cela faisait apparaître la répression toujours plus disproportionnée ; les condamnations des journalistes et la suppression de l’Œuvre des Congrès paraissaient injustes à la plupart des gens. De tout le pays des voix et des suppliques s’élevaient pour la libération des prisonniers et d’Albertario en particulier, invoquant une “justice prompte, réparatrice, pacificatrice”. Sa sœur Teresa se donnait beaucoup de peine pour la libération de son frère, écrivant au Ministre de l’Intérieur et au Roi. Du Quirinal (l’antique demeure du Pape avait été usurpée par le gouvernement unitaire…) on lui répondit que la grâce pour don Davide “revêt un caractère politique d’une telle importance qu’elle ne peut être traitée qu’au conseil des Ministres, et que même le Roi ne pouvait correctement prendre à cet égard aucune initiative”. Le Pape Léon XIII écrivit une lettre au clergé et aux évêques italiens dans laquelle il reprochait au gouvernement d’avoir fermé les yeux par préjugé sectaire et d’avoir fait la guerre contre la religion ; à propos de l’Œuvre des Congrès il disait que : “les vrais ennemis de l’Italie il faut les rechercher ailleurs”. Dans la procédure qui avait conduit à la condamnation des journalistes, se trouva aussi une erreur judiciaire (considéré coupable de crime selon l’art. 247 du code, il avait été condamné selon l’art. 246) ; ce fait fut dénoncé par deux députés qui demandèrent donc au ministre de la justice la grâce pour Albertario. Cette grâce ne put être accordée puisque l’accusé ne l’avait pas demandée, et ne voulait pas la demander ; en effet, l’abbé Albertario voulait justice et non grâce ! D’autres députés proposèrent la candidature d’Albertario dans des collèges devenus vacants (s’il avait été élu député, il serait sorti de prison), mais le non expedit étant en vigueur, don Davide ne put accepter la candidature et les catholiques ne pouvaient pas non plus l’accepter. Certes, le mouvement en faveur de l’amnistie faisait toujours plus de bruit et s’étendait dans toutes les villes. Des centaines de milliers de cartes avec les noms, les portraits et les numéros de matricule des condamnés furent imprimées et distribuées. De toute l’Italie, des pétitions furent adressées au Roi pour la libération d’Albertario. Don Davide commença à recevoir aussi de très nombreuses visites dans sa prison : parents, amis, prélats, prêtres, religieux, les évêques d’Albenga, Savone et d’Acqui se rendirent chez lui. Ces entretiens inquiétaient le directeur de la prison qui essayait de toutes les façons de les empêcher, ils se passaient toujours en présence d’un gardien qui écoutait et surveillait. Les objets offerts étaient la plupart du temps confisqués ou renvoyés.

La libération


La rencontre de l’abbé Albertario avec ses familiers après sa libération

Le mouvement en faveur de l’amnistie avait pris une importance qui ne pouvait plus s’arrêter ; en mai 1899 fut annoncée une remise de peine qui réduisait de deux ans les peines infligées et faisait présager la prochaine libération de l’abbé Albertario. Finalement, la date de la libération fut annoncée pour le 24 mai 1899. Effectivement, ce matin-là, don Davide reprit avec joie sa soutane, et sortit à 5 heures de la prison de Finalborgo ; dehors, l’attendaient le jeune Paolo Arcari de la rédaction de L’Osservatore, son neveu Paolo Pecora, l’archiprêtre de Filighera et quelques autres amis, ainsi qu’un délégué de la police qui l’accompagnait. Des soldats étaient disposés le long des chemins pour réprimer d’éventuelles démonstrations de la part de la population. Nombreuses furent les personnes qui accoururent pour le saluer ; à la gare, lui furent remises soixante-quinze lettres et cent vingt télégrammes de félicitation venant d’arriver. De la gare, don Davide télégraphia au Pape : “sorti de la prison, présente mes hommages, invoque bénédiction”. Dans chaque gare où passait le train, l’abbé Albertario recevait un accueil affectueux, et arrivant à Milan vers midi, il se rendit aussitôt à l’archevêché où il fut reçu par le cardinal Ferrari et son auxiliaire, Mgr Mantegazza. Après être passé à la police, à 13 heures, il arriva chez lui, rue Bramante, où l’attendaient ses parents, sa sœur Teresa qui s’était tant dépensée pour sa libération, ses autres sœurs, ses beaux-frères et ses neveux.

Le retour de l’abbé Albertario à la liberté et à son journal fut salué avec joie dans toute l’Italie ; pendant plusieurs mois, il dut aller d’un endroit à l’autre pour satisfaire ses amis et admirateurs qui voulaient l’embrasser et entendre ses récits. Tout le monde catholique saluait en lui le confesseur de l’action catholique, le martyr du journalisme, et sa popularité s’accrut davantage encore. Le Pape Léon fit savoir, par l’intermédiaire de l’évêque de Savone, « mon conseil : “que don Davide se rende directement dans sa famille. Tout le monde le louera pour cet acte, parce que sa famille en a le droit, puisque c’est elle qui a le plus souffert. Après un mois qu’il vienne à Rome, et là nous le recevrons et lui dirons ce qu’il doit faire”. Le 26, don Davide recevait la lettre suivante du cardinal Rampolla : “J’ai fait savoir au Saint Père les sentiments dévoués que vous avez exprimés tout juste sorti de la prison de Finalborgo ; et sa Sainteté les a accueillis avec une particulière approbation. Sa Sainteté Elle-même vous verra volontiers quand vous viendrez à Rome, et en attendant vous encourage en vous accordant de tout cœur la bénédiction apostolique” » (53). L’abbé Albertario fut ensuite reçu par le Pontife, en privé, le 13 juin 1899. Il en fit lui-même le récit à sa sœur Teresa : “ayant baisé le pied sacré et la main, (le Pape) me fit asseoir à sa droite et commença à me parler avec affection et douceur ; on aurait dit que soufflait autour de moi une brise divine doucement animée par l’harmonie des anges. Comment pourrais-je te décrire ces moments que Dieu accorde à l’homme pour le réconcilier avec l’existence qui lui est devenue amère, et pour l’encourager en vue de nouvelles difficultés. Léon XIII fit la comparaison entre la prison et la prison du Vatican, puis se réjouit que je sois revenu à la liberté ; il déclara donc la raison pour laquelle il m’avait appelé auprès de lui, c’est-à-dire : pour que j’en tire encouragement dans mon travail ; pour que dans ce que j’ai enduré, je puisse avoir la compensation de l’approbation solennelle et de l’amoureuse bienveillance du Vicaire du Christ ; pour que soit connu de tous que le Pape fait l’éloge de l’œuvre de justice et de religion à laquelle je me suis donné en combattant pour la vérité et en défendant le droit et en promouvant le bien de la société et de la patrie, et qu’il fait l’éloge de cette œuvre non seulement en elle-même, mais parce qu’elle m’a procuré les souffrances connues de tous. (…) À ce moment, il me fortifia par sa parole dans le propos de continuer dans l’apostolat du journalisme catholique, dont il souligna la nécessité et la valeur” (54). À Rome, comme dans le reste de l’Italie, don Davide reçut des accueils chaleureux un peu partout, dans les séminaires, dans les collèges, à La Civiltà Cattolica, il reçut des dons et des distinctions des personnes de tout rang et des organisations catholiques.

Les dernières années

Revenir à L’Osservatore et au ministère sacerdotal fut une grande joie pour l’abbé Albertario. Il revint s’occuper de l’Action Catholique qui était divisée entre les poussées scissionnistes des “jeunes démocrates chrétiens” qui suivaient l’abbé Romolo Murri (55) et la direction de l’Œuvre, les “vieux” aussi appelés “vénètes”, dirigés par Paganuzzi, accusée d’immobilisme excessif et d’incompréhension des nouvelles questions politiques et sociales. L’abbé Albertario était initialement favorable aux “jeunes” sur lesquels il avait beaucoup d’influence, mais travaillait constamment à l’union des forces catholiques, à la coordination des énergies à l’intérieur de l’Œuvre pour contrecarrer les ennemis de l’Église. La note dominante était toujours la papauté avec la vieille – et toujours nouvelle – formule : “Avec le Pape et pour le Pape”. Plusieurs rédacteurs de L’Osservatore de ces années (Vercesi, Molteni, Arcari et Meda qui appartenaient à ce courant politique qui aspirait à la suppression du non expedit) étaient actifs dans l’OdC milanais et par la suite dans le mouvement démocrate chrétien ; don Davide participait pratiquement à chaque initiative importante de l’Action Catholique de Milan (56). Albertario “ne voulait pas de divisions ou de schismes, mais désirait des idées claires, nettes, des positions précises, pas de confusions, pas d’adaptations, pas de renonciations à ce qu’étaient les principes. Sa parole avait un poids qui n’était pas indifférent : c’était la parole reconnue d’un journaliste de valeur et d’un prêtre qui s’était dépensé dans sa vie pour l’affirmation du principe papal et l’avait contresignée aussi avec la prison. C’est pourquoi Albertario réunissait autour de lui, autour de la glorieuse et en lambeaux – mais inchangée – bannière de son journal, les nouvelles troupes de combattants, pour les exercer aux saintes batailles, pour leur indiquer la voie juste dans laquelle s’engager pour arriver à la victoire” (57). 1900 fut une année Sainte et l’abbé Albertario tint de nombreuses conférences et prédications à cette occasion. Il se rendit à Rome pour gagner les saintes Indulgences, et fut encore une fois reçu avec grande affabilité par le Pape qui, le 12 mai, lui fit remettre un bref d’approbation et d’encouragement pour L’Osservatore.

Si l’esprit de l’abbé Albertario était fort, le corps était diminué, la réclusion avait profondément miné sa santé et démoli la constitution de l’homme vigoureux et robuste qu’il était. Plus que les souffrances physiques, ce sont les souffrances morales qui l’avaient atteint. Après être sorti de prison, il souffrait désormais de manière chronique de l’estomac ; les médecins lui avaient prescrit des traitements qu’il n’arrivait pas à suivre, plongé qu’il était dans le travail de journalisme et dans le ministère sacerdotal. En outre, la douleur de la mort de sa sœur Cecilia survenue le 16 juillet 1901 s’ajoutait au reste. La publication des deux volumes “Un anno di carcere” (58) avait mis de mauvaise humeur les sphères gouvernementales et les journaux libéraux (Il Corriere della Sera en tête) l’avaient attaqués. En septembre 1901, il se rendit à Lourdes pour satisfaire un désir depuis longtemps caressé et pour demander, si c’était la volonté de Dieu, sa guérison. Il trouva l’endroit « “très cher, extraordinaire, indescriptible” ; il écrivit de longues correspondances à son journal, palpitantes d’enthousiasme et d’amour à la Vierge. Devant la grotte miraculeuse, il donna libre cours à ses larmes et épancha dans la prière toutes ses peines et ses douleurs et se releva complètement réconforté, prêt à incliner la tête face à la mort, non plus dans la bataille, mais dans l’avilissante médiocrité de la maladie » (59). Rentré chez lui, on lui diagnostiqua une gastro-entérite aiguë qui lui ôtait les forces et le contraignait à de longues et pénibles inactions. Les médecins lui avaient conseillé du repos et des cures thermales. À son grand regret, il se retira de L’Osservatore, après l’avoir confié à Meda, et il commença à fréquenter les établissements thermaux. Pendant plusieurs mois se succédèrent des améliorations alternant avec des aggravations ; dès qu’il lui semblait que la santé s’améliorait, il reprenait le travail interrompu. Il partageait son temps, comme il pouvait, entre les thermes et Filighera avec quelques passages à la rédaction à Milan. Avec l’arrivée de l’été (1902), l’air de la montagne lui fut conseillé et ainsi, à partir de la mi-août, il alla habiter à Carenno, au pied du mont Resegone près de Lecco. Au début, l’air, les promenades semblèrent lui apporter une amélioration, mais ensuite le mal progressa en se manifestant par un amaigrissement progressif et une pâleur cadavérique. Après le 15 septembre, la maladie empira, parents et amis priaient et faisaient prier. Il était désormais sans forces et épuisé et ne put plus quitter le lit. Les rédacteurs du journal allaient le voir et publiaient ses nouvelles sur L’Osservatore. Don Davide se confessa au coadjuteur de Carenno, reçut le viatique du curé, l’abbé Giacomo Ongaro, et ensuite l’extrême-onction : aux dernières paroles des prières sacramentelles l’abbé Davide Albertario expira. C’était le 21 septembre 1902 ; l’athlète du journalisme catholique âgé de 56 ans était allé recevoir la récompense de ses innombrables batailles. La nouvelle de sa mort se répandit rapidement dans toute l’Italie, les journaux publièrent de très longues nécrologies, L’Osservatore Cattolico publia un supplément qui se vendit en un clin d’œil. Le deuil s’étendit à toute l’Italie catholique ; des milliers de télégrammes plurent à Milan en provenance de toutes les associations de la péninsule.


Les funérailles d’Albertario le 24 septembre à Carenno

Les funérailles se déroulèrent d’abord le 24 septembre à Carenno et ensuite, très solennelles, le 25 à Milan. À Milan, toutes les associations catholiques de Lombardie et d’Italie étaient représentées, on comptait plus de 200 prêtres et clercs, un concours de peuple incroyable se pressait le long des rues où passa le cortège funèbre. La messe solennelle de Requiem fut chantée dans la basilique S. Ambrogio, l’éloge funèbre fut prononcé par le curé de S. Francesca Romana, il s’agit d’une des funérailles les plus solennelles dont Milan se souvienne. L’abbé Albertario fut enterré au cimetière monumental dans ce qu’on appelle le “famedio” (60) ; aujourd’hui, sa dépouille repose au cimetière de sa ville natale, Filighera, dans la province de Pavie (où elle a été transférée dans les années 70).

Les dernières volontés de l’abbé Albertario concernant son bien aimé journal étaient exprimées dans une lettre écrite quelques mois avant à Meda : “Je vous recommande L’Osservatore Cattolico ; conservez-le avec son esprit catholique, apostolique, romain, papal : tenez haute sa bannière avec le Pape et pour le Pape ; que chaque numéro respire l’amour de Dieu, de la patrie, des malheureux ; que ne lui soit étrangère aucune chose belle et bonne ; qu’il soit généreux et aimable avec tous, qu’il combatte les sectaires de tout nom et de toute couleur ; qu’il utilise des traits familiers avec les catholiques qui pendant tant d’années l’ont considéré comme ami. Il fut ma vie, mon intelligence, mon cœur, ma joie, ma douleur. Maintenant que je suis mort, je sais aussi – comme j’en avais la foi vive qui me soutint auparavant – qu’il est mon mérite. Répétez que j’ai beaucoup combattu, je n’ai haï personne” (61).

Ainsi s’acheva l’expérience terrestre de l’abbé Davide Albertario qui “utilisait la plume comme une épée”. Ce que nous devons retenir de son enseignement ? On peut partager ce qu’écrivit Mgr Pecora, son neveu et biographe que nous avons déjà cité de nombreuses fois. À nous catholiques reste – outre l’exemple d’une existence toute dédiée à la cause de Dieu, à une époque difficile et dans un domaine rempli de ronces et d’épines – l’enseignement de l’attachement inébranlable au Pape. En regardant vers Rome, Albertario n’erra jamais face aux questions qui se sont manifestées de plus en plus : le libéralisme et le clérico-libéralisme, le rosminianisme, la question politique et sociale, la question romaine. Avoir été avec Pierre, non seulement lui a assuré la victoire, mais l’a rendu méritant de la solution des problèmes qui étaient contenus dans ces graves et embrouillées questions” (62).


Notes :

1) Cité par G. PECORA, op. cit., p. 163.

2) Ibidem, p. 175.

3) Ibidem, p. 289.

4) Ibidem, pp. 367-368.

5) Cf. première partie de cet article “Avec le Pape et pour le Pape – Vie de l’abbé Davide Albertario, journaliste intransigeant” in Sodalitium n°61, p. 5.

6) Filippo Meda devint propriétaire et directeur de L’Osservatore Cattolico après la mort d’Albertario de 1902 à 1907, année de la fermeture du journal. Meda qui par la suite sera aussi député au parlement, contribua à incliner vers les idées démocrates chrétiennes le journal déjà dans les dernières années d’Albertario, dans la période de la prison et de la maladie de ce dernier.

7) G. PECORA, In prigione in nome di Gesù Cristo, C.L.S. Verrua Savoia 2002, p. 243.

8) À propos de Casoni, Aquaderni et d’autres personnages du mouvement catholique cf. Sodalitium n°60, pp. 23-24, et MARCO INVERNIZZI, I cattolici contro l’unità d’Italia ? L’opera dei Congressi (1874-1904), Piemme Casale Monferrato 2002.

9) Pour le sens du terme et du conciliatorisme, voir l’article précédent sur l’abbé Albertario in Sodalitium n° 61, p. 6.

10) Cité par MARCO INVERNIZZI, I cattolici contro l’unità d’Italia ?, p. 31. Que l’on note dans les mots de D’Ondes Reggio la référence à la doctrine de l’infaillibilité Pontificale, définie quelques années auparavant par le Concile Vatican I.

11) M. INVERNIZZI, op. cit., p. 37.

12) Procès-verbaux du 15ème congrès des catholiques italiens de 1897 à Milan, cité par G. PECORA, In prigione in nome di Gesù Cristo, p. 309, C.L.S. Verrua Savoia 2002.

13) G. PECORA , op. cit., p. 253.

14) Article sur L’Osservatore Cattolico du 9-10/08/1879 intitulé Le elezioni, cité in G. PECORA, op. cit., p. 256 (les caractères gras sont de la rédaction).

15) G. PECORA, op. cit., p. 250.

16) G. PECORA, op. cit., pp. 252-253 (les caractères gras sont de la rédaction).

17) G. PECORA, op. cit., p. 243.

18) Les deux citations in G. PECORA , op. cit., pp. 244-245.

19) G. PECORA, op. cit., pp. 248-249.

20) L’année précédente, le Pape Léon XIII en parlant avec le cardinal Sarto lui avait dit : “L’Osservatore Cattolico est une puissance”.

21) Pour l’occasion, un grand volume in 8 fut publié contenant tous les discours et les attestations d’estime, intitulé Il giubileo sacerdotale e giornalistico del dottor Davide Albertario – Cronaca, documenti, polemica. Milano tipografia S. Giuseppe 1895. Un exemplaire peut être consulté à la bibliothèque de l’Université Catholique du Sacré-Cœur à Milan.

22) G. PECORA, op. cit., p. 288. À ce propos, voir au début de l’article le paragraphe relatif au cardinal Sarto.

23) G. PECORA , op. cit., p. 292.

24) Cette “béatification” de Ferrari (ecclésialement sans valeur étant donné la vacance formelle du siège apostolique) dans les intentions de Wojtyla et des modernistes qui la présentèrent voulait être plutôt une “décanonisation” et une “vengeance” à l’égard de saint Pie X qui avait été canonisé par Pie XII en 1954.

25) Lettres citées in CARLO SNIDER L’Episcopato del cardinale Andrea C. Ferrari. Vol I Gli ultimi anni dell’Ottocento, Neri Pozza Editore Vicenza 1981, pp. 205-207.

26) Article publié sur La sera et reproduit in Il giubileo sacerdotale e giornalistico del dottor Davide Albertario… op. cit., p. 47. Cf. aussi C. SNIDER L’Episcopato del cardinale Ferrari… op. cit., p. 209 note 100. Snider ouvertement favorable au cardinal Ferrari est visiblement prévenu et très critique à l’égard de l’abbé Albertario.

27) C. SNIDER , op. cit., p. 497.

28) C. SNIDER , op. cit., p. 628.

29) DAVIDE ALBERTARIO, Un anno di carcere, Vol. I pp. 33-34.

30) GIOVANNI SPADOLINI, L’opposizione cattolica da porta Pia al ’98, Vallecchi editore Firenze 1954, pp. 436-464.

31) G. PECORA , op. cit., pp. 320-321.

32) G. PECORA , op. cit., p. 322.

33) Cité in GABRIELE DE ROSA, Giuseppe Sacchetti e la pietà veneta, editrice Studium Roma, p. 132.

34) Pendant le procès, entre autres, fut précisément apportée comme preuve contre Albertario une circulaire de Bonomelli dans laquelle il expliquait que dans son instruction pastorale sur la presse intransigeante il se référait justement à Albertario. Aussi, en écrivant à son ami Sacchetti quelques jours avant d’être arrêté, don Davide soutint qu’on voulut son arrestation “pour faire plaisir” à Mgr Bonomelli et qu’il fut donc victime d’un complot des francs-maçons et des clérico-libéraux.

35) GABRIELE DE ROSA, op. cit., p. 134. Heusch fut le général qui était commissaire royal à Florence et qui, le 21 mai de cette même année, signa le décret de suppression de l’Unità cattolica de Giuseppe Sacchetti, ami de l’abbé Albertario. La chose la plus singulière dans la suppression de l’Unità cattolica de Sacchetti est que, parmi les motivations adoptées par le général Heusch, il y avait celle d’“avoir fait de l’ironie amère sur une instruction pastorale de Mgr Bonomelli, qui avait été hautement louée par le commissaire royal de Milan Bava Beccaris” et de méconnaître les sentiments de paix et de concorde “qui animaient un grand nombre de prélats et de prêtres respectables” et de “mépriser l’autorité de l’Église”. On arrivait ainsi à l’absurdité qu’un général d’un gouvernement anticlérical et maçonnique mette fin à un journal catholique parce qu’il manquait de respect à l’Église ! Léon XIII définit d’“inqualifiable” le décret du général Heusch. Tout ceci arrivait parce que les associations catholiques avec leur abstentionnisme s’étaient refusées à tenir lieu d’arrière-garde de la révolution libérale. À bien analyser ces faits, on doit reconnaître que la théorie d’Albertario du “complot clérico-libéral” qui identifiait dans l’évêque de Crémone un des responsables de son arrestation, n’était peut-être pas du tout une théorie en l’air…

36) GABRIELE DE ROSA, op. cit., p. 135.

37) G. PECORA, op. cit., p. 326

38) G. PECORA, op. cit., pp. 326-327.

39) G. PECORA, op. cit., pp. 328-329.

40) G. PECORA, op. cit., pp. 329-330.

41) Ibidem, p. 332.

42) MARCO INVERNIZZI, op. cit., p. 80.

43) Il serait bien que tous ceux qui actuellement crient au scandale pour les exemptions des impôts et des bénéfices fiscaux de l’Église se souviennent un peu de l’histoire pour voir comment, depuis plus de cent cinquante ans, la majeure partie des hôpitaux, écoles, prisons, casernes, ministères, bureaux publics de l’état, sont des anciens biens de l’Église confisqués au moment de l’unité de l’Italie, et pour lesquels il n’y a jamais eu une compensation équitable, un dédommagement…

44) PAOLO VALERA, Dal cellulare a Finalborgo, Tipografia degli Operai, Milano 1899, cité par G. PECORA, op. cit., p. 334.

45) D. ALBERTARIO, Un anno di carcere, vol I, p. 234.

46) P. VALERA, cité in G. PECORA , op. cit., p. 335.

47) G. PECORA , op. cit., pp. 335-336.

48) Ibidem, p. 336.

49) Ibidem, p. 338.

50) Plusieurs de ces lettres sont rassemblées dans le livre de l’abbé Albertario Un anno di carcere réédité en copie anastatique par la commune de Filighera (PV) en 2002.

51) P. VALERA, op. cit.

52) G. PECORA, op. cit., p. 341.

53) G. PECORA, op. cit., p. 350.

54) Lettre citée en partie in G. PECORA, op. cit., pp. 351-352.

55) Parmi les fondateurs du Partito Popolare, l’abbé Romolo Murri fut d’abord dans l’Œuvre des Congrès et collabora aussi à L’Osservatore Cattolico, puis fut proche du modernisme, et finit mal en se séparant de l’Église, en apostasiant et devenant ainsi excommunié. Dans une lettre à Meda, l’abbé Albertario avait bien jugé Murri désormais sur la voie de la sécession ; il écrivait en effet : “Concernant Murri, en voyant le peu de sérieux de la réponse à l’Avvenire et du discours de S. Marino, cela confirme ce que j’ai toujours pensé ; L’Osservatore ne doit plus l’avoir pour ami dans l’ordre des discussions publiques. Il faut absolument que Murri soit ce qu’il est, et nous, que nous soyons ce que nous sommes. Nous devons marcher la tête haute et inféodés à personne, seulement avec le Pape et pour le Pape, puisque si le Pape se trompait en quelque chose, ce serait un incident de parcours ; si au contraire nous nous trompions avec les erreurs des autres, nous serions dans l’impossibilité d’y remédier ; nous sommes disciples de l’Église et non des réformateurs comme Murri s’en donne l’air ; disciples, nous serons écoutés, réformateurs, nous serons condamnés” (G. PECORA , op. cit., pp. 381-382).

56) L’abbé Albertario participa aussi au IIème Congrès de l’Apostolat de la Prière et de la dévotion au Sacré-Cœur (17-21 novembre 1901) où il fut rapporteur avec Achille Ratti, le futur Pie XI.

57) G. PECORA, op. cit., p. 362.

58) Cf. note n° 42.

59) G. PECORA, op. cit., p. 366.

60) Il s’agit de l’emplacement réservé aux personnes célèbres.

61) G. PECORA, op. cit., p. 377.

62) G. PECORA, op. cit., pp. 382-383.


Bibliographie essentielle :

• 1) GIUSEPPE PECORA, In prigione in nome di Gesù Cristo. Vita di don Davide Albertario, campione del giornalismo cattolico. Centro Librario Sodalitium – Centro Studi Davide Albertario, Verrua Savoia 2002, € 16,50.

2) • SAC. DAVIDE ALBERTARIO, Un anno di Carcere – 2557. Ufficio de L’Osservatore Cattolico de Milan 1900 ; réédité en presse anastatique par la commune de Filighera 2002.