Collection guérardienne n° 6
L’Âme du Christ est créée immédiatement par Dieu, elle n’est pas la suprême culmination du Radial-Conscience achevant l’efflorescence de la Noosphère.
Le Christ est le Verbe fait chair né de la Vierge Marie, Il n’est pas l’âme de la Matière sujet de l’Évolutionnisme intégral, depuis le Radial jusqu’à Dieu.
La vue chrétienne du monde ne peut pas être un Évolutionnisme qui importe simultanément les écueils du dualisme et ceux du monisme. Car le Radial et le Tangentiel sont conçus comme deux principes qualitativement hétérogènes, et dont chacun développe ses conséquences propres : c’est le manichéisme exprimé en un vocabulaire pseudo scientifique. Et d’autre part, l’Évolutionnisme est comme tel moniste. Il constitue un bloc sans fissure et dans lequel rien ne peut s’insérer qui lui serait hétérogène : « Je crois en l’Évolution », cela exclut tout partage. La vue chrétienne du monde, c’est la Bible qui la révèle au Nom de Dieu. Processio a Deo, reditus ad Deum. La Bible ne dit pas tout, certes ! Mais il n’est pas possible à un chrétien de prétendre poser un fondement incompatible avec ce que Dieu a révélé.
124 pages
Prix 12,00€
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Préface de l’éditeur
« Ne discutons pas, voulez-vous ? Mais placez-vous, comme moi, ici, et regardez. De ce point privilégié, qui n’est pas le sommet difficile réservé à quelques élus, mais qui est la solide plateforme construite par deux mille ans d’expérience chrétienne, vous allez voir, très simplement, s’opérer la conjonction des deux astres dont les attractions diverses désorganisent votre foi » (Pierre Teilhard de Chardin, s.j., Introduction du Milieu divin).
Ces deux astres dont parle le P. Teilhard (1881-1955) sont l’amour de Dieu et l’amour du monde.
La publication posthume de l’intégralité des œuvres religieuses du P. Teilhard eut un grand impact. La conciliation qu’il entend opérer fut reprise lors du concile Vatican II, malgré les sanctions du Saint-Office à son égard, dès 1925, en raison de sa conception du péché originel comme sorte de refus de l’évolution voulue par Dieu. Son influence fut telle qu’elle fit déplorer à Étienne Gilson, en avril 1965 : « Il est difficile aujourd’hui de parler d’un sujet théologique quelconque sans rencontrer Teilhard de Chardin ; si on cherche à l’éviter, il vous est jeté dans les jambes ». Elle commença à diminuer progressivement à partir de 1968, lorsque le teilhardisme fut démodé par l’arrivée d’autres courants jugés moins timides dans leur « démythologisation » du christianisme. Ainsi Teilhard, l’auteur aux plusieurs centaines de milliers de tirages, protégé tant par l’épiscopat que par les maisons d’édition, fut considéré après quelques années à peine comme quelqu’un de « dépassé ». C’est ainsi que le monde remercie pour l’amour qu’on lui donne…
Au cours de ces années teilhardiennes, peu d’auteurs eurent le courage d’aller à l’encontre de la star incontestée du moment. Parmi eux, nous trouvons notamment les biologistes Louis Bounoure, Jean Rostand et Jacques Monod ; le philosophe Marcel de Corte ; parmi les théologiens, le P. Philippe de la Trinité, o.c.d., le P. Thomas Calmel, o.p., ainsi que le P. Guérard des Lauriers, o.p. Il est vrai que, le 30 juin 1962, le Saint-Office publia un monitum contre des œuvres qui « fourmillent de telles ambiguïtés et même d’erreurs, si graves, qu’elles offensent la doctrine catholique », mais la mise en garde fut « tout de suite étouffée ou déformée dans le monde ecclésiastique », écrit Louis Jugnet.
Que lui est-il reproché ? Sur le plan scientifique, bien qu’il soit un représentant en son domaine qui est la paléontologie, le P. Teilhard « ignore délibérément l’embryologie et la génétique », selon Rostand, biologiste expérimental. Sur le plan philosophique, on peut lui reprocher une sorte de scientisme et voir, derrière son « hyperphysique », qu’il prétend tirer de la science, une métaphysique panpsychiste : la matière dite inorganique ou non-vivante contiendrait déjà une pensée confuse ; ainsi qu’un mobilisme qui remplace l’être par le devenir d’une façon plus radicale encore que ne le fait Karl Marx (selon Jugnet). De plus, sur le plan religieux, le teilhardisme soulève de grosses difficultés au sujet de l’Incarnation et de la Rédemption.
D’aucuns pourront se demander comment il est possible de ne pas voir un garant d’orthodoxie en la personne d’un prêtre de l’ordre des jésuites, un religieux, un scientifique reconnu, directeur de recherche au CNRS. Ce serait méconnaître l’avertissement de saint Pie X dans son encyclique Pascendi : « Les artisans d’erreurs, il n’y a pas à les chercher aujourd’hui parmi les ennemis déclarés. Ils se cachent et c’est un sujet d’appréhension et d’angoisse très vives, dans le sein même et au cœur de l’Église, ennemis d’autant plus redoutables qu’ils le sont moins ouvertement ». Qui connaît la pensée du P. Guérard sur le concile Vatican II ne s’étonnera pas que le P. Teilhard ait pu y avoir une influence considérable, ni que, depuis sa clôture, les occupants du siège apostolique témoignent de leur enthousiasme vis-à-vis des doctrines teilhardiennes. Dans L’Osservatore Romano du 10 juin 1981, Karol Wojtyla fit publiquement son éloge. Le 24 juillet 2009, lors d’une homélie à Aoste, Joseph Ratzinger se pose en admirateur de sa grande vision aux aspects panthéistes pour laquelle la fonction du sacerdoce est que le monde devienne hostie vivante, devienne liturgie. Il avait déjà tenté de défendre le système teilhardien au nom du concile de Trente en janvier 1983 à Paris et à Lyon, ce que dénoncera le P. Guérard dans son article La dictature wojtylienne (Bulletin de l’Occident Chrétien, n° 79-80, avril-mai 1983). Jorge Mario Bergoglio, outre qu’il le cite en note dans son encyclique Laudato si, parle abondamment de celui qu’il définit comme un prêtre souvent incompris lors d’une allocution à Oulan-Bator le 3 septembre 2023.
Étant étudiant à l’École Normale Supérieure, le P. Guérard lut pour la première fois le P. Teilhard en 1923. On sait qu’il faisait partie d’un groupe d’étudiants catholiques, dont plusieurs (Jean Guitton, Marcel Légaut, Jacques Perret) ont déclaré que le P. Teilhard leur a même donné quelques conférences. Or, à cette époque, le P. Teilhard rencontre souvent Édouard Le Roy, professeur de philosophie au Collège de France, disciple d’Henri Bergson. Le Roy fut un des principaux auteurs visés dans la condamnation du modernisme par saint Pie X. Le P. Teilhard disait de lui : « il m’a donné confiance, élargi mon esprit ». Dans les écrits que nous proposons, nous voyons que le P. Guérard des Lauriers insiste bien sur l’importance de ne pas juger sur la foi personnelle de quelqu’un à partir de ce qu’il affirme avec plus ou moins d’ambiguïtés : il fait une analyse de la pensée teilhardienne, sans juger le P. Teilhard.
Le P. Guérard des Lauriers mit à plusieurs reprises les catholiques en garde sur l’ambition d’unir l’amour de Dieu avec l’amour du monde, ambition si contraire à l’Évangile, en particulier aux discours de la montagne et de la dernière Cène. « Si le monde vous hait, sachez qu’il m’a haï le premier » (Jn XV, 18), « Quand le Paraclet sera venu, il convaincra le monde au sujet du jugement, parce que le Prince de ce monde est déjà jugé » (Jn XVI, 8-11). « Dans le monde, vous aurez des tribulations, mais ayez confiance, J’ai vaincu le monde » (Jn XVI, 33). « Je leur ai donné Votre parole, et le monde les a haïs, parce qu’ils ne sont pas du monde, comme Moi non plus, Je ne suis pas du monde » (Jn XVII, 14). Ce passage de saint Jean est encore plus explicite : « N’aimez pas le monde, ni les choses qui sont dans le monde. Si quelqu’un aime le monde, l’amour du Père n’est point en lui, car tout ce qui est dans le monde est concupiscence de la chair, et concupiscence des yeux, et orgueil de la vie ; et cela ne vient pas du Père, mais du monde. Or le monde passe, et sa concupiscence avec lui ; mais celui qui fait la volonté de Dieu demeure éternellement » (1 Jn II, 15-17).
Cet opuscule contient six publications du P. Guérard des Lauriers qui concernent toutes directement ou indirectement l’évolutionnisme teilhardien. Elles se présentent dans l’ordre chronologique, qui est également l’ordre que nous conseillons au lecteur afin de parvenir à une meilleure compréhension de la critique guérardienne.
« La métaphysique et les métasciences » donne des principes qui doivent servir de fondement à une analyse adéquate de la pensée teilhardienne. En l’occurrence, la connexion entre les connaissances scientifiques et théologiques concerne une branche de la philosophie appelée épistémologie, qui est l’étude de la valeur des connaissances. Il s’agit d’une des spécialités du P. Guérard, qui l’enseigna au studium dominicain du Saulchoir. Il a écrit notamment sur l’épistémologie de la preuve de Dieu dans son ouvrage publié à Rome en 1966 : « La preuve de Dieu et les cinq voies ». La critique du P. Guérard sur la nouvelle messe repose sur un fondement épistémologique. Appartenant au courant réaliste, il publia en outre un certain nombre de recensions d’ouvrages de philosophies diverses : celle positiviste et logiciste du Cercle de Vienne, l’évolutionniste de Karl Popper, l’historique de Gaston Bachelard. Le présent article est une intervention lors d’un congrès à Rome dédié à saint Thomas d’Aquin. Il contient des éléments particulièrement intéressants qu’il importe au croyant de connaître s’il veut éviter l’écueil fréquent de prétendre faire de la science à partir de ce qu’il comprend de la Sainte Écriture.
« Le phénomène humain du P. Teilhard de Chardin » accueillit une recension positive de Charles Journet, ami de Jacques Maritain et futur cardinal en récompense de ses interventions lors du concile Vatican II. Dans l’intention du P. Guérard, ce ne devait pas être autre chose qu’une petite mise au point, somme toute assez bienveillante, d’un auteur qu’il juge ne pas mériter tant de temps et d’attention. C’est l’ampleur du « phénomène Teilhard », plus que la qualité intrinsèque de ses travaux, qui justifieront d’y revenir à plusieurs reprises par la suite.
« La démarche du P. Teilhard de Chardin », plus volumineux, fait partie d’un numéro de la revue Divinitas, fondée en 1954 par le recteur de l’Université Pontificale du Latran, Mgr Antonio Piolanti. Le numéro s’intitule « Systema Teilhard de Chardin, ad theologicam trutinam revocatum », qui signifie « Le Système T… déposé sur la balance de la théologie ». Après le P. Guérard interviennent Roberto Masi, professeur de théologie sacramentelle au Latran, Philippe de la Trinité, consulteur au Saint-Office, Charles Journet et Michelangelo Alessandri. Le P. Guérard aborde la question plus en détail et y montre une perplexité face à la popularité toujours croissante du P. Teilhard. Cet article sera vertement vilipendé dans l’ouvrage « La pensée religieuse du Père Teilhard de Chardin » du P. Henri de Lubac, qui sera critiqué à son tour par Philippe de la Trinité dans un commentaire au monitum de 1962 publié juste après celui-ci dans L’Osservatore Romano. Le P. de Lubac, interdit d’enseignement en 1950 suite à la parution d’Humani Generis de Pie XII contre la Nouvelle Théologie, ne peut reprendre ses cours que huit ans plus tard et Jean XXIII le nomme, en 1960, consultant de la commission préparatoire des théologiens au concile Vatican II. Dans son livre, le P. de Lubac revisite la pensée du P. Teilhard pour la rendre moins hétérodoxe vis-à-vis de la doctrine catholique, tout en désignant le P. Guérard comme « un auteur que l’on voudrait croire sérieux ». Nous laissons le soin au lecteur de juger si c’est mérité.
« Finalité et animisme » analyse la notion de finalité dans l’œuvre du P. Teilhard. Le P. Guérard montre que la condition qui permet de considérer le P. Teilhard comme chrétien est de ne pas prendre tout ce qu’il dit au sérieux. La raison en est que, poussée jusqu’à ses conséquences, la pensée teilhardienne s’achève dans la négation, formelle et immédiate, du dogme de la création de l’âme humaine, aussi bien que de l’Incarnation du Verbe, « natus ex Maria Virgine ». Si donc l’historienne Mercé Prats paraît s’étonner de ce que le P. Guérard et d’autres aient pu « mettre en doute l’orthodoxie du penseur » (1965, l’apothéose de Teilhard de Chardin ?, in Religione, laicità e società nella storia contemporanea, Spagna Italia e Francia, 2018), cela ne peut s’expliquer que par le travail de déformation de la théologie catholique opéré par Lubac et Ratzinger. L’« orthodoxie » étant « modifiée », le P. Teilhard a pu être réhabilité.
« Réflexions sur ‘La problématique de l’Évolution’ » ne concerne pas non plus directement le P. Teilhard de Chardin. Nous le trouvons cependant ici en tant que théorisation, fortuite mais certaine, calculatrice plutôt que poétique aux dires du P. Guérard, de l’évolutionnisme du P. Teilhard.
« L’hyperphysique… », écrit en collaboration avec l’ingénieur de recherche J. M. Oudin, est le dernier article, le seul publié dans une revue qui s’adresse au grand public. En peu de mots, il illustre la phrase de Bossuet : « le plus grand dérèglement de l’esprit c’est de croire les choses parce qu’on veut qu’elles soient et non parce qu’on a vu qu’elles sont en effet ». Paru en 1968, l’article évoque ce « dépassement » du teilhardisme qui se trouve être à la fois inéluctable et impossible en tant que « mystique du dépassement ».
Nous souhaitons que le lecteur obtienne de ce recueil une meilleure compréhension de l’inanité du modernisme sous toutes ses formes, quand bien même il se vêtirait de l’apparat de la science ou de la mystique. La vraie science réclame sa part de rigueur et d’ascèse. La vraie mystique est conforme à la Foi. La Foi ne réside pas dans les sentiments, elle est une adhésion de l’intelligence à toutes les vérités que Dieu nous a révélées et qu’Il nous enseigne par son Église, parce qu’Il ne peut ni se tromper, ni nous tromper. La Foi est une connaissance par témoignage dont la certitude provient de l’infaillibilité du Témoin, Notre-Seigneur Jésus-Christ, Verbe incarné, qui nous a dit de ce qu’Il a vu chez son Père (Jn VIII, 38). C’est la raison pour laquelle le P. Guérard écrit : « si nous aimons dans son Amour, nous croyons dans sa Vision » (Gaudete et exsultate, 1962). Le Témoin n’est pas le P. Teilhard : « Nul n’est monté au ciel si ce n’est celui qui est descendu du ciel, le Fils de l’homme qui est dans le ciel » (Jn III, 13). En tant que tel, le regard à partir du point privilégié que le P. Teilhard propose sans discuter séduit ou répugne. De gustibus non est disputandum. Il suffirait alors de rappeler aux personnes séduites qu’il ne peut pas prendre la place de la vision béatifique de Notre-Seigneur. Nous regretterons cependant que ce regard, n’étant pas né de Dieu, aime le monde… qui « aime ce qui lui appartient » (Jn XV, 19) ; en revanche, « tout ce qui est né de Dieu remporte la victoire sur le monde ; et la victoire qui a vaincu le monde, c’est notre Foi » (1 Jn V, 4).