Considérations de St Alphonse à méditer pendant le Carême

(Extrait de l’oeuvre Considérations sur la Passion de Jésus-Christ)

Introduction (de Saint Alphonse)

Pour comprendre combien il est agréable à Jésus-Christ que nous pensions souvent à sa passion et à la mort ignominieuse qu’il a endurées pour nous, il suffit de se rappeler qu’il a institué le Sacrement de l’autel comme un mémorial destiné à conserver au milieu de nous le souvenir toujours vivant de l’amour qu’il nous a témoigné en s’immolant sur la croix pour notre salut. Nous savons qu’il nous a donné ce Sacrement d’amour dans la nuit même qui précéda sa mort. Après avoir distribué son corps à ses disciples, il leur a dit, et par eux à nous tous, qu’en recevant la Sainte communion, nous devons nous rappeler tout ce qu’il a souffert pour nous (1 Co 11, 26). Aussi la Sainte Église ordonne-t-elle qu’à la Messe, après la consécration, le célébrant dise au nom de Jésus-Christ : « Vous ferez cela en mémoire de moi. » C’est pour perpétuer en nous le souvenir du bienfait de la rédemption, dit saint Thomas, que Notre-Seigneur nous a laissé son corps pour aliment. Cet auguste Sacrement, ajoute le Docteur Angélique, nous rappelle sans cesse l’amour immense que Jésus-Christ nous a montré dans sa passion.

Si une personne, après avoir souffert des outrages et des blessures pour un ami, apprenait que cet ami ne veut pas entendre parler de cet acte de dévouement, ni même y penser, et que, chaque fois qu’on en parle devant lui, il s’empresse de dire : « Changeons de sujet », quelle peine ne ressentirait-elle pas d’une telle ingratitude ! Quel plaisir, au contraire, n’éprouverait-elle pas, si on lui disait que son ami se reconnaît obligé envers elle à une éternelle reconnaissance, et que jamais il ne parle ni ne se souvient de ses bienfaits sans en être touché jusqu’aux larmes ! Aussi, tous les Saints, sachant que c’est une chose agréable à Jésus-Christ de nous voir penser fréquemment à sa passion, ont été presque sans cesse occupés à méditer les douleurs et les mépris que ce tendre Rédempteur a soufferts pour nous dans toute sa vie et principalement à sa mort. Selon saint Augustin, il n’y a point d’application plus salutaire pour les âmes que de méditer tous les jours la passion du Sauveur. Dieu a révélé à un saint anachorète qu’aucun exercice n’est plus propre à embraser les coeurs de l’amour divin que de penser à la mort de Jésus-Christ. Louis de Blois rapporte que sainte Gertrude a pareillement appris par révélation que chaque fois qu’une âme regarde le crucifix avec dévotion, Jésus la regarde avec amour. Le même auteur assure qu’une considération ou une lecture quelconque sur la passion fait bien plus de bien que tout autre exercice de piété. Saint Bonaventure ajoute que celui qui la médite, de terrestre devient céleste. Il appelle les plaies de Jésus crucifié des blessures qui touchent les coeurs les plus durs et enflamment d’amour pour Dieu les âmes les plus froides. On lit dans la Vie du bienheureux Bernard de Corlion, capucin, que, les autres religieux voulant lui apprendre à lire, il alla consulter Jésus crucifié. Le Seigneur lui répondit : « Quoi ! des livres ? des lectures ? C’est moi qui suis ton livre, dans lequel tu peux toujours lire l’amour que j’ai eu pour toi. » Jésus crucifié était aussi l’objet de prédilection de saint Philippe Benizi. Étant sur son lit de mort, il demanda son livre. Les assistants ne savaient quel livre il désirait ; mais le frère Ubald, son confident, lui présenta son crucifix. Alors, le Saint s’écria : « Voici mon livre ! » Et en baisant les plaies sacrées du Seigneur, il expira doucement.

Quoique j’ai déjà traité plusieurs fois de la passion de Jésus-Christ, dans mes opuscules spirituels, je pense qu’il ne sera pas inutile aux âmes de leur offrir encore ici beaucoup d’autres réflexions que j’ai lues dans différents livres ou que j’ai faites moi-même. J’ai jugé bon de les écrire pour le bien des autres, mais plus encore pour mon propre avantage spirituel ; car, me, trouvant en ce moment à l’âge de soixante-dix sept ans, et conséquemment près de la mort, j’ai voulu m’occuper de ces considérations pour me préparer au jour de mes comptes. Et en effet, je m’en sers pour faire mes pauvres méditations, en en lisant très souvent quelques passages, afin de me trouver, quand sonnera ma dernière heure, les yeux fixés sur Jésus crucifié, qui est toute mon espérance ; c’est ainsi que je compte avoir le bonheur de rendre mon âme entre ses mains. Entrons maintenant en matière.

CHAPITRE I :
SUR LA PASSION DE JÉSUS-CHRIST EN GÉNÉRAL

– I –

Nécessité d’un Rédempteur et sa qualité – Incarnation du Verbe, sa vie – Erreur des Juifs – Prophéties

Adam pèche, il se révolte contre Dieu et comme il est le premier homme, père de tous les hommes, il entraîne dans sa perte le genre humain tout entier. L’injure ayant été faite à Dieu, ni Adam ni les autres hommes, par tous les sacrifices, même celui de leur propre vie ne pouvaient offrir à la Majesté divine offensée une satisfaction digne pour l’apaiser pleinement. Il fallait qu’une personne divine satisfit à la divine Justice. C’est pourquoi le Fils de Dieu, touché de compassion pour les hommes et poussé par les entrailles de sa miséricorde, consentit à se revêtir de la chair humaine et à mourir pour les hommes, afin d’offrir ainsi à Dieu une satisfaction complète pour tous leurs péchés et de leur rendre la grâce qu’ils avaient perdue.

Notre tendre Rédempteur vint donc sur la terre et voulut, en se faisant homme, remédier à tous les maux que le péché avait apportés aux hommes ; il voulut, non seulement par ses leçons, mais encore par les exemples de sa sainte vie, amener les hommes à observer les commandements de Dieu et à gagner par ce moyen la vie éternelle. À cette fin, Jésus-Christ renonça à tous les honneurs, à tous les plaisirs et à toutes les richesses, dont il aurait pu jouir ici-bas et qui lui appartenaient, puisqu’il était le Maître de l’univers. Il choisit une vie humble, pauvre et pleine de tribulations, au point de mourir de douleur sur une croix.

Ce fut une erreur des Juifs de penser que le Messie devait venir en ce monde pour triompher de tous ses ennemis par la force des armes, et qu’après avoir établi sa domination sur toute la terre, il rendrait ses partisans riches et glorieux. Si le Messie se fût montré tel que les Juifs se le figuraient, un prince triomphant et honoré de tous les hommes comme souverain du monde entier, il n’aurait pas été le Rédempteur que Dieu avait promis et que les Prophètes avaient annoncé. C’est ce que Jésus-Christ a nettement déclaré lui-même, lorsqu’il répondit à Pilate que son royaume n’était point de ce monde (Jn 18, 36). Saint Fulgence a donc raison de reprocher à Hérode la crainte qu’il avait d’être privé de son royaume par l’Enfant de Bethléem, ce doux Sauveur n’étant pas venu pour vaincre les rois par la guerre, mais pour les attirer à lui par sa mort.

Les Juifs tombèrent dans une double erreur par rapport au Rédempteur qu’ils attendaient. D’abord, ils voulurent entendre des biens terrestres et temporels ce que les Prophètes avaient dit des biens spirituels et éternels dont le Messie devait enrichir son peuple. Voici quelles devaient être les richesses du salut promis : la foi, la connaissance des vertus et la crainte de Dieu. Le Seigneur promettait encore aux pénitents le remède, aux pécheurs le pardon, aux esclaves du démon la liberté (Is 33, 6 ; 61,1). Les Juifs se trompèrent en outre en appliquant au premier avènement du Sauveur les prophéties qui regardent le second, quand il viendra juger le monde à la fin des siècles. David, il est vrai, a prédit du Messie qu’il doit vaincre les princes de la terre et abattre l’orgueil d’un grand nombre (Ps 109, 5). Jérémie annonce pareillement que l’épée du Seigneur ravagera toute la terre (Jr 12,12). Mais tout cela se rapporte au dernier avènement de Jésus-Christ, lorsqu’il paraîtra comme Juge, pour condamner les méchants.

Quant au premier avènement de Notre-Seigneur, où il devait consommer l’oeuvre de notre rédemption, les Prophètes ont annoncé, de la manière la plus claire, qu’il vivrait ici-bas dans la pauvreté et l’humiliation. Zacharie a prédit qu’il serait pauvre, et qu’on le verrait monté sur un ânon (Za 9, 9). Cette prophétie se vérifia particulièrement lorsque Jésus-Christ fit son entrée solennelle dans Jérusalem et qu’il y fut reçu avec honneur comme le Messie désiré, ainsi que saint Jean le rapporte, en ne manquant pas de rappeler la prédiction de Zacharie (Jn 12, 14). Nous savons d’ailleurs qu’il fut pauvre dès sa naissance, qui eut lieu dans une grotte et dans une ville obscure, Bethléem, suivant la prophétie de Michée (Mi 5, 1), prophétie notée par saint Mathieu (Mt 2, 6) et par saint Jean (Jn 7, 42). De plus, Osée a prédit que le Fils de Dieu se trouverait en Égypte (Os 11, 1), ce qui se vérifia lorsque Jésus Enfant fut porté dans cette contrée, où il demeura au milieu d’un peuple étranger, y étant donc nécessairement fort pauvre (Mt 2, 13-15). De retour en Judée, il continua de vivre dans la pauvreté ; il avait lui-même prédit par la bouche de David que toute sa vie devait être pauvre et pleine de travaux (Ps 87, 16).

Dieu ne pouvait voir sa justice pleinement satisfaite par tous les sacrifices que les hommes lui eussent offerts, y compris celui de leur vie. Il permit donc que son propre Fils prit un corps humain et s’offrit comme une victime digne de le réconcilier avec les hommes et de leur obtenir le salut (He 10, 5). Le Fils unique de Dieu consentit à s’immoler pour nous ; il descendit sur la terre pour accomplir ce sacrifice par sa mort, et opérer ainsi la rédemption des hommes d’une manière parfaite selon la volonté de son Père (He 10, 7).

« À quoi servirait de vous frapper davantage ? » dit le Seigneur en s’adressant aux pécheurs (Is 1, 5). Il nous fait entendre par là que, quel que soit le châtiment de ceux qui l’outragent, leur supplice ne peut réparer son honneur blessé ; c’est pourquoi il charge son propre Fils de satisfaire pour les péchés des hommes, le Fils de Dieu étant seul capable de donner une digne compensation à la Justice divine. Après cela, le Seigneur déclare qu’il a frappé Jésus-Christ comme la victime destinée à expier nos fautes (Is 53, 8). Il ne s’est pas contenté d’une satisfaction légère, mais il a voulu voir cette victime consumée dans les tourments (Is 53, 10).

Ô mon Jésus ! victime d’amour consumée de douleur sur la croix pour expier mes péchés, je voudrais mourir de regret, quand je pense que je vous ai tant de fois méprisé, après avoir été tant aimé de vous ! Ah ! ne permettez pas que je continue de répondre par l’ingratitude à tant de bonté ! Attirez-moi tout à vous ; faites-le Seigneur, par les mérites de ce sang que vous avez répandu pour moi.

– II –

Figures de l’Ancien Testament – Autres prophéties – Reconnaissance due au Père et au Fils

Lorsque le Verbe divin s’offrit pour racheter les hommes, deux voies se présentèrent à lui pour y parvenir, l’une de plaisir et de gloire, l’autre de souffrance et d’opprobre. Cependant, comme il voulait venir sur la terre, non seulement pour délivrer l’homme de la mort éternelle, mais encore pour se concilier l’amour de tous les coeurs, il renonça au plaisir et à la gloire et choisit les souffrances et les opprobres (He 12,12). Afin donc de satisfaire pour nous à la Justice divine, et de nous enflammer en même temps de son saint amour, il voulut se charger de toutes nos dettes et, en mourant sur la croix, nous obtenir la grâce de la vie bienheureuse. C’est ce qu’Isaïe exprime clairement quand il dit que le Sauveur a pris sur lui les peines que nous avons méritées. (Is. 53, 4).

L’Ancien Testament contient deux figures expresses de ce mystère. La première est la cérémonie annuelle du Bouc Émissaire (Lv 16, 5). Le Grand Prêtre le chargeait, avec imprécation, de tous les péchés du peuple ; après quoi, on l’envoyait dans un désert comme étant devenu l’objet de la colère de Dieu. Ce bouc représentait notre Rédempteur, qui daigna se charger de nos fautes, et devenir la malédiction même, suivant l’expression de saint Paul (Ga 3, 13), afin de nous obtenir la bénédiction divine. L’Apôtre dit ailleurs : « Celui qui n’avait pas connu le péché, il l’a fait péché pour nous, afin que nous devenions en lui justice de Dieu » (2 Co 5, 21). Comme l’expliquent saint Ambroise et saint Augustin, cela signifie que celui qui était l’innocence même a paru devant Dieu comme s’il eût été le péché même. En d’autres mots, il prit les dehors du pêcheur et voulut subir les peines dues à tous les pécheurs, afin d’obtenir leur pardon et de les rendre justes auprès de Dieu. La seconde figure du sacrifice que Jésus a offert pour nous à son Père éternel sur la croix est celle du Serpent d’Airain (Nb 21, 8) élevé sur un poteau. Les Hébreux mordus par les serpents, dont le venin brûlant causait la mort, n’avaient qu’à le regarder pour être guéris. Notre Sauveur a donné lui-même l’explication de cette figure, en ces termes : « Comme Moïse éleva le serpent dans le désert, il faut de même que le Fils de l’homme soit élevé ; afin que tout homme qui croit en lui, ne périsse point, mais obtienne la vie éternelle » (Jn 3, 14-15).

Observons ici avec quelle clarté la mort ignominieuse de Jésus-Christ est prédite dans le deuxième chapitre du livre de la Sagesse. Quoique les paroles de ce chapitre puissent s’entendre de la mort de tout homme de bien, selon saint Cyprien, saint Jérôme et beaucoup d’autres Pères, elles conviennent principalement à la mort du Sauveur. On y lit : « S’il est véritablement le Fils de Dieu, Dieu prendra sa défense et le délivrera » (Sg 2, 18). Ces paroles cadrent parfaitement avec ce que disaient les Juifs pendant que Jésus était en croix : « Il met sa confiance en Dieu ; si donc Dieu l’aime, qu’il le délivre maintenant ; car il a dit : Je suis le Fils de Dieu » (Mt 27, 43). Le Sage continue : « Interrogeons-le par l’outrage et le tourment (de la croix) ; éprouvons sa patience ; condamnons-le à la mort la plus infâme » (Sg 2, 19-20). Les Juifs choisirent pour Jésus-Christ la mort de la croix, comme la plus ignominieuse, afin que son nom fût à jamais couvert d’infamie et entièrement oublié des hommes, ainsi que Jérémie l’avait prédit (Jr 11, 19). Comment dont les Juifs peuvent-ils nier aujourd’hui que Jésus-Christ ait été le Messie promis, la vie lui ayant été ôtée par le supplice le plus infamant, exactement comme les prophètes l’avaient annoncé ?

Jésus accepta une telle mort, parce qu’il mourait pour expier nos péchés. C’est pour cela qu’il voulut d’abord, comme s’il eût été un pécheur, être circoncis, être racheté lorsqu’il fut présenté dans le temple, recevoir le baptême de pénitence de la main de saint Jean-Baptiste. Il voulut enfin, dans sa passion, être cloué à la croix, pour expier l’abus que nous avons fait de notre liberté. Il voulut expier notre avarice par sa nudité, notre orgueil par ses humiliations, notre envie de dominer par sa soumission aux bourreaux, nos mauvaises pensées par sa couronne d’épines, notre intempérance par le fiel qu’il goûta, et nos plaisirs sensuels par les souffrances de son corps. Après un tel bienfait, nous devrions sans cesse, avec des larmes d’attendrissement, rendre grâces au Père éternel, qui nous a aimés au point de livrer à la mort son Fils innocent pour nous délivrer de l’enfer, et qui, en nous donnant son Fils unique, nous a tout donné (Rm 8, 32). Ainsi parle saint Paul, et comme Notre-Seigneur l’a déclaré lui-même, tout cela est l’effet de l’amour de Dieu son Père envers nous (Jn 3, 16). Aussi la Sainte Église s’écrie-t-elle dans son office du Samedi-Saint : « Merveilleuse condescendance de ta grâce ! Imprévisible choix de ton amour ! Pour racheter l’esclave, tu livres le Fils » Si nous croyons et confessons cette vérité, comment pouvons-nous vivre sans brûler d’amour envers un Dieu si aimant et si aimable ? Ô Dieu éternel ! ne regardez pas mon âme souillée de péchés ; regardez votre Fils innocent suspendu à une croix et vous offrant ses souffrances et ses humiliations afin que vous ayez pitié de moi. Ô Dieu infiniment aimable et véritablement Ami de mon âme, pour l’amour de ce Fils qui vous est si cher, faites-moi miséricorde ! La miséricorde que je vous demande, c’est que vous me donniez votre saint amour. Ah ! tirez-moi de la fange de mes iniquités, et faites que je sois tout à vous ! Ô Feu brûlant, consumez tout ce qui se trouve d’impur dans mon âme et qui l’empêche d’être entièrement à vous !

– III –

La Mort de Jésus-Christ est notre salut ; elle est un enseignement et un exemple, un motif de confiance et d’amour

En somme, tout ce que nous pouvons avoir de bien et d’espérance de salut, nous le devons aux mérites de Jésus-Christ, ainsi que saint Pierre le déclare expressément : « Il n’y a pas sous le ciel d’autre nom donné aux hommes pour lequel il nous faille d’être sauvés » (Ac 4, 12). Les théologiens concluent de là, avec saint Thomas, qu’après la promulgation de l’Évangile, nous devons croire explicitement, non seulement de nécessité de précepte, mais encore de nécessité de moyen, que nous ne pouvons nous sauver que par la médiation de notre Rédempteur.

Tout le fondement de notre salut est donc dans la rédemption des hommes opérée sur la terre par le Verbe divin. Il faut observer en outre que, quoique toutes les actions de Jésus-Christ en ce monde, comme émanant d’une personne divine, fussent d’un prix infini, en sorte que la moindre eût suffit pour expier tous les péchés des hommes, néanmoins la mort de Jésus-Christ fut le grand sacrifice par lequel notre rédemption s’est accomplie. C’est pour cela que, dans les saintes Écritures, la rédemption des hommes est principalement attribuée à la mort de notre Sauveur sur la croix (Ph 2, 8). Ainsi, l’Apôtre dit qu’en recevant la Sainte Eucharistie, nous devons nous souvenir de la mort du Seigneur (1 Co 11, 26). Pourquoi parle-t-il de la mort, et non de l’incarnation, de la naissance, de la résurrection ? Il parle de la mort, parce que ce supplice, le plus douloureux et le plus humiliant que Jésus-Christ ait souffert, est celui par lequel il a consommé l’oeuvre de notre rédemption.

Saint Paul disait encore qu’il ne prétendait pas savoir autre chose que Jésus crucifié (1 Co 2, 2). L’Apôtre n’ignorait pas que Jésus-Christ est né dans une grotte, qu’il a vécu trente années dans la maison d’un pauvre artisan, qu’il est ressuscité après sa mort, et qu’il est monté au ciel ; pourquoi donc proteste-t-il que tout sa science consiste à connaître Jésus crucifié ? C’est que la mort soufferte par Jésus-Christ sur la croix était ce qui l’excitait le plus vivement à aimer ce divin Sauveur, et à pratiquer l’obéissance envers Dieu, la charité envers le prochain, la patience dans les adversités, vertus spécialement exercées et enseignées par Notre-Seigneur sur la croix, comme du haut d’une chaire élevée pour nous instruire, suivant la pensée du Docteur Angélique et de saint Augustin.

Tâchons donc, âmes fidèles, d’imiter l’Épouse des Cantiques, qui goûtait, disait-elle un doux repos aux pieds de son Bien-Aimé (Ct 2, 3). Mettons-nous fréquemment devant les yeux, surtout le vendredi, Jésus mourant sur la croix ; arrêtons-nous quelque temps aux pieds de ce divin Sauveur et contemplons avec attendrissement les souffrances qu’il endure et l’amour qu’il nous témoigne dans son agonie sur ce lit de douleur. Puissions-nous dire aussi que nous nous sommes reposés à l’ombre de la croix. Oh ! quel heureux repos pour les âmes qui aiment Dieu, au milieu du tumulte de ce monde, des tentations de l’enfer et des craintes qu’on éprouve à la pensée des jugements de Dieu, que de considérer, dans la solitude et le silence, notre tendre Rédempteur agonisant sur la croix, où l’on voit son sang divin couler de tous ses membres percés et déchirés par les fouets, les épines et les clous ! Comme, à l’aspect de Jésus crucifié, notre esprit se dégage de tout désir des honneurs mondains, des biens terrestres et des plaisirs sensuels ! Alors émane de la croix un souffle céleste, qui nous détache doucement des choses de la terre. Ce souffle allume en nous un saint désir de souffrir et de mourir pour l’amour de celui qui a voulu souffrir et mourir pour l’amour de nous.

Si Jésus-Christ, au lieu d’être ce qu’il est, Fils de Dieu et vrai Dieu, notre Créateur et notre souverain Maître, n’était simplement qu’un homme, ah ! qui serait insensible à la vue de ce jeune homme de sang noble, innocent et saint, expirant dans les tourments sur un gibet infâme, pour expier, non ses propres fautes, mais les crimes de ses ennemis eux-mêmes, et pour les délivrer par ce moyen de la mort qu’ils ont méritée ? Comment donc un Dieu n’obtient-il pas les affections de tous les coeurs, en mourant dans un abîme d’humiliation et de douleur pour l’amour de ses créatures ? Comment, après cela, ces créatures peuvent-elles encore aimer autre chose que ce Dieu ? comment peuvent-elles penser à autre chose qu’à se montrer reconnaissantes envers ce tendre bienfaiteur ?

Que ne connais-tu le mystère de la croix ! disait saint André au tyran qui voulait lui faire renier Jésus-Christ parce que Jésus a été crucifié comme un malfaiteur. Oh ! si tu comprenais l’amour que Jésus-Christ t’a porté en daignant mourir sur la croix pour expier tes péchés et t’obtenir une félicité éternelle, sans doute, loin de chercher à me persuader de le renier, tu renoncerais toi-même à tout ce que tu possèdes et espères ici-bas, pour obéir et plaire à un Dieu qui t’a tant aimé ! Telle fut en effet la conduite d’un si grand nombre de Martyrs et d’autres Saints qui ont tout quitté pour Jésus-Christ. Ô honte pour nous ! combien de jeunes vierges ont refusé la main des grands, des princes, avec les richesses et tous les délices de la terre, et se sont empressées de sacrifier leur vie pour répondre par quelque marque de retour à l’amour que leur a témoigné ce Dieu crucifié ! D’où vient donc qu’il y a tant de chrétiens sur qui la passion de Jésus-Christ fait peu d’impression ? Cela provient de ce qu’ils ne s’appliquent point à considérer combien Jésus-Christ a souffert pour l’amour de nous.

Ah ! mon doux Rédempteur, j’ai été moi-même du nombre de ces ingrats ! Vous avez sacrifié votre vie sur une croix pour ne pas me voir perdu ; et moi, j’ai tant de fois consenti à vous perdre, vous qui êtes un bien infini, en perdant votre grâce ! Maintenant le démon, en m’offrant le tableau de mes péchés, voudrait me faire croire que mon salut est devenu trop difficile ; mais, en vous voyant crucifié pour moi, mon Jésus, j’ai la confiance que vous ne me rejetterez pas de votre présence, si je me repens de vous avoir offensé et si je veux vous aimer. Oui, je m’en repens, Seigneur, et je désire vous aimer de tout mon coeur. Je déteste ces plaisirs maudits qui m’ont fait perdre votre grâce. Je vous aime, ô Amabilité infinie, et je suis résolu de vous aimer toujours ! Le souvenir de mes péchés ne servira qu’à m’enflammer d’un plus grand amour pour vous, qui avez daigné me chercher quand je vous fuyais. Non, mon Jésus, je ne veux plus me séparer de vous ni cesser jamais de vous aimer !

Ô Refuge des pécheurs, tendre Marie, vous qui avez eu tant de part aux douleurs votre divin Fils dans sa passion, priez-le qu’il me pardonne et qu’il m’accorde la grâce de l’aimer !

CHAPITRE II :
SUR LES PEINES QUE JÉSUS-CHRIST SOUFFRIT À SA MORT

– I –

Prophétie d’Isaïe – Abaissements du Rédempteur promis

Considérons maintenant les peines particulières que Jésus-Christ endura dans sa passion, et qui ont été prédites plusieurs siècles auparavant par les Prophètes, spécialement dans le chapitre cinquante-troisième d’Isaïe. Ce dernier, comme l’ont remarqué saint Irénée, saint Justin, saint Cyprien et d’autres encore, a parlé si clairement des souffrances de notre Rédempteur, qu’on pourrait le prendre pour un des Évangélistes. D’après saint Augustin, les paroles d’Isaïe concernant la passion de Jésus-Christ ont plutôt besoin de nos méditations et de nos larmes que de l’explication des interprètes. Hughes Grotius dit que les anciens Hébreux eux-mêmes n’ont pu nier qu’Isaïe, principalement au chapitre cinquante-troisième, n’ait eu en vue le Messie promis de Dieu. Quelques-uns ont voulu appliquer les passages d’Isaïe à des personnes nommées dans l’Écriture, autres que Jésus-Christ ; mais Grotius répond qu’on n’en peut trouver aucun à qui ces textes conviennent.

Isaïe commence par faire pressentir l’incrédulité qui doit accueillir ce qu’il annonce du Messie et le Messie lui-même : « Qui croirait ce que nous entendons dire, et le bras du Seigneur, à qui a-t-il été dévoilé ? » (Is 53, 1). C’est ce qui s’est vérifié, comme le remarque saint Jean, lorsque les Juifs, malgré les nombreux miracles opérés par Jésus-Christ, miracles qu’ils avaient vus et qui prouvaient bien qu’il était le Messie envoyé de Dieu, refusèrent de croire en lui (Jn 12, 37). Qui reconnaîtra le bras, c’est-à-dire, la puissance du Seigneur ? C’est ainsi qu’Isaïe prédit l’obstination des Juifs à ne pas vouloir croire en Jésus-Christ comme en leur Rédempteur. Ils se figuraient que le Messie devait faire éclater parmi les hommes sa grandeur et sa puissance, et, après avoir triomphé de tous ses ennemis, combler le peuple juif de richesses et d’honneurs ; ils pensaient que le Sauveur devait apparaître comme un superbe cèdre du Liban ; mais le Prophète déclare, au contraire, qu’il croîtra péniblement comme un arbrisseau ou comme un faible rejeton qui sort d’une terre sèche (Is 53, 2).

Isaïe se met ensuite à décrire la passion du Seigneur : « Nous l’avons vu, s’écrie-t-il, et nous avons voulu le reconnaître : mais nous ne l’avons pu. Il nous a paru un objet de mépris, le dernier des hommes, et un homme de douleurs. Nous ne l’avons point reconnu. » (Is 53, 2-3)

Adam, en refusant d’obéir à la loi de Dieu, a causé la ruine de tous les hommes par son orgueil ; c’est pourquoi le Rédempteur a voulu réparer ce mal par son humilité, en consentant à être traité comme le dernier et le plus abject des hommes ; c’est-à-dire, en se réduisant au plus profond abaissement. Saint Bernard admire cette union prodigieuse de la suprême grandeur avec l’extrême bassesse : « Ô toi, le plus bas et le plus élevé, ô toi le méprisé et le sublime, ô opprobre des hommes et gloire des anges ! Nul n’est plus grand que toi, mais nul n’est plus humble. » Si donc, ajoute-t-il, le Seigneur, qui est le premier de tous les êtres, a voulu paraître comme le dernier, chacun de nous doit rechercher la dernière place, et craindre d’être préféré à qui que ce soit.

Mais moi, mon Jésus, je crains tout le contraire ; je voudrais être préféré à tout le monde. Seigneur ! donnez-moi l’humilité ! Vous embrassez avec amour les humiliations, pour m’apprendre à être humble, à aimer la vie obscure et méprisée, et je voudrais être estimé de tous et paraître en tout ! De grâce, mon Jésus ! donnez-moi votre amour ; il me rendra semblable à vous ! Ne me laissez pas vivre plus longtemps dans l’ingratitude envers vous, après que vous m’avez tant aimé. Vous êtes tout-puissant : faites que je sois humble, que je sois saint, que je sois tout à vous.

– II –

Humiliations et souffrances de Jésus-Christ

Isaïe appelle notre Sauveur un Homme de douleurs (Is 53, 3). Aussi applique-t-on justement à Jésus crucifié ce texte de Jérémie : « Votre affliction est semblable à une mer » (Lm, 2, 13). Comme toutes les eaux vont se jeter dans la mer, ainsi se réunirent dans le coeur de Jésus, pour l’affliger, toutes les souffrances des malades, toutes les austérités des anachorètes et toutes les humiliations des martyrs. Il fut rassasié de douleurs dans l’âme et dans le corps. Mon Père ! disait-il par la bouche de David, vous avez fait passer sur moi tous les flots de votre colère (Ps 87, 8) ! Et il ajouta en mourant, qu’il expirait abîmé dans un océan de douleurs et d’opprobres (Ps 68, 3). L’Apôtre a écrit que Dieu en envoyant son propre Fils au monde pour payer de son sang la dette de nos fautes, a voulu par là montrer la grandeur de sa justice (Rm 3, 25). Remarquez ces derniers mots.

Pour se faire une idée de tout ce que Jésus-Christ eut à souffrir pendant sa vie, et surtout à sa mort, il faut considérer ce que dit encore saint Paul dans sa Lettre aux Romains : « Dieu, en envoyant son propre Fils avec une chair semblable à celle du péché et en vue du péché, a condamné le péché dans sa chair » (Rm 8, 3). Jésus-Christ, envoyé par son Père pour racheter l’homme, se revêtit de notre chair infectée du péché d’Adam. Quoiqu’il n’eût pas contracté la tache du péché, il prit néanmoins sur lui les misères dont la nature humaine était affligée en punition du péché, et il s’offrit volontairement à son Père éternel, comme le dit Isaïe, afin de satisfaire par ses souffrances à la Justice divine pour toutes les dettes du genre humain ; et Dieu le Père l’a chargé lui seul des iniquités de nous tous (Is 53, 6-7). Voilà donc Jésus sous le poids de tous les blasphèmes, de tous les sacrilèges, de toutes les impuretés, de tous les forfaits que les hommes ont commis et commettront jamais ; le voilà, en un mot, devenu l’objet de toutes les malédictions divines que nous avons méritées par nos fautes (Ga 3, 13).

Aussi saint Thomas assure-t-il que les douleurs de Jésus-Christ, tant intérieures qu’extérieures, ont surpassé tout ce qu’on peut souffrir en cette vie. Pour comprendre quelles ont dû être ses souffrances extérieures, il suffit de savoir que Dieu le Père lui avait formé un corps exprès pour souffrir, ainsi que Notre-Seigneur le déclara lui-même (He 10, 5). Le Docteur Angélique observe que Notre-Seigneur fut affligé dans tous les sens : dans le toucher, toutes ses chairs ayant été déchirées ; dans le goût, par le fiel et le vinaigre ; dans l’ouïe, par les blasphèmes et les dérisions ; dans la vue, en regardant sa Mère qui assistait à sa mort. Il souffrit également dans tous ses membres : sa tête sacrée fut tourmentée par les épines, ses mains et ses pieds par les clous, son visage par les soufflets et les crachats, et tout son corps par les fouets, précisément comme Isaïe l’avait prédit, ce Prophète ayant annoncé que Notre Rédempteur, dans sa passion, semblable à un lépreux, dont la chair n’a plus aucune partie saine, et qui fait horreur à voir, n’offrant aux regards que plaies de la tête aux pieds. En un mot, Jésus flagellé parut aux yeux de Pilate dans un tel état qu’il espérait fléchir les Juifs en le leur montrant ; il cru qu’il suffirait pour qu’on cessât de demander sa mort, de le présenter du haut de son tribunal aux regards du peuple, en disant : « Voilà l’Homme ! » (Jn 19, 5).

Saint Isidore remarque en outre que, chez les autres hommes, lorsqu’une douleur est lourde et dure un certain temps, la violence même du mal fait perdre la sensation de douleur. Il n’en fut pas ainsi pour notre Sauveur : les dernières douleurs lui furent aussi sensibles que les dernières, et les premiers coups de fouets ne le furent pas moins que les derniers ; et cela, parce que sa passion ne fut pas simplement l’ouvrage des hommes, mais ce fut un acte de la justice de Dieu, qui a voulu faire subir en toute rigueur à son Fils innocent le châtiment que méritaient les péchés de tous les hommes.

Ainsi, mon Jésus ! dans votre passion, vous avez voulu porter la peine qui m’était due pour mes péchés ; si donc je vous avais moins offensé, vous eussiez moins souffert en ce moment pour moi. Et moi, sachant bien cela, pourrai-je encore vivre sans vous aimer, et sans pleurer continuellement les offenses que je vous ai faites ? Mon doux Rédempteur, je me repens de vous avoir méprisé, et je vous aime par-dessus toutes choses. De grâce, ne me rejetez point comme je l’ai mérité ; recevez-moi dans votre amour, maintenant que je vous aime et que je ne veux plus aimer que vous. Je serais bien ingrat si, après toutes les miséricordes que vous m’avez faites, j’aimais encore à l’avenir autre chose que vous.

– III –

Jésus-Christ a souffert volontairement pour nous

Voici la suite des paroles d’Isaïe : « Nous l’avons considéré comme un lépreux, comme un homme que la main de Dieu a frappé et humilié. Mais il a été frappé pour nos iniquités, il a été brisé pour nos crimes. Le châtiment qui devait nous réconcilier avec Dieu, est tombé sur lui, et nous avons été guéris par ses blessures. Nous nous étions tous égarés comme des brebis errantes, chacun s’était détourné pour suivre sa propre voie ; et Dieu l’a chargé lui seul de l’iniquité de nous tous. » (Is 53, 4-6) Et Jésus, plein de charité, consentit volontiers, sans réplique, au dessein de son Père qui voulut qu’il fût livré entre les mains des bourreaux pour être tourmenté à leur gré. « Il fut offert parce que c’était son propre désir, et il n’ouvrit pas la bouche ; comme une brebis qu’on conduit à la boucherie, comme devant les tondeurs d’une brebis muette » (Is 53, 7). Comme un agneau qui se laisse tondre sans se plaindre, notre tendre Sauveur se laissa enlever, non la laine, mais la peau, sans ouvrir la bouche.

Quelle obligation le Fils de Dieu avait-il d’expier nos fautes ? Aucune, sans doute ; mais il a voulu s’en charger, pour nous délivrer de la damnation éternelle ; et après s’être ainsi rendu volontairement, par pure bonté, débiteur de toutes nos dettes, il a voulu se sacrifier entièrement pour nous, jusqu’à expirer dans les tortures de la croix, comme il l’a déclaré lui-même (Jn 10, 17). Chacun de nous doit donc lui rendre grâces, et lui dire avec le prophète Isaïe : « Seigneur ! vous avez arraché mon âme à sa perte ; vous avez pris sur vous et vous avez effacé vous-même tous mes péchés » (Is 38, 17).

– IV –

Les souffrances de Jésus-Christ ont été extrêmes

Saint Ambroise, parlant de la passion du Sauveur, dit que ses souffrances ne peuvent être égalées. Les Saints ont tâché d’imiter Jésus-Christ dans ses souffrances pour se rendre semblables à lui ; mais, y en a-t-il un seul qui soit parvenu à l’égaler ? Il est certain que Notre-Seigneur a souffert plus que tous les pénitents, tous les anachorètes, et tous les Martyrs ; car Dieu l’a chargé de satisfaire rigoureusement à sa justice pour tous les péchés des hommes, et conséquemment, comme le dit saint Pierre, Jésus porta sur la croix le fardeau de toutes nos iniquités, pour en subir la peine dans son corps adorable (1 P 2, 24). Selon saint Thomas, en nous rachetant, le Fils de Dieu n’a pas seulement eu égard à la vertu et au mérite infini de ses souffrances, mais il a voulu souffrir autant qu’il le fallait pour expier pleinement et rigoureusement tous les péchés du genre humain. Et selon saint Bonaventure, il a voulu souffrir autant que s’il eût été lui-même l’auteur de toutes nos fautes. Or Dieu sut tellement aggraver les douleurs de Jésus-Christ, qu’elles atteignirent les proportions requises pour acquitter complètement toutes nos dettes. Ainsi s’est vérifiée cette parole d’Isaïe, que Dieu a voulu broyer son Fils dans les souffrances, pour le salut du monde (Is 53, 10-11).

Quand on lit les Actes des Martyrs, il semble que quelques-uns d’entre eux ont plus souffert que Jésus-Christ ; mais saint Bonaventure dit que les douleurs d’aucun Martyr n’ont jamais pu égaler en vivacité celles de notre Sauveur, qui furent les plus aiguës de toutes les douleurs. Saint Thomas assure pareillement que la douleur sensible qui affligea Jésus-Christ fut la plus grande que l’on puisse endurer dans la vie présente. Selon saint Laurent Justinien, dans chaque tourment que Notre-Seigneur eut à subir, si l’on considère la vivacité et l’intensité de la douleur, il souffrit tous les supplices des Martyrs. Tout cela d’ailleurs a été prédit en peu de mots par le Roi David lorsque, parlant à Dieu au nom du Messie, il s’écriait : « Sur moi pèse ta colère ; … tes épouvantes m’ont réduit à rien » (Ps 87, 8.17), ce qui signifie que toute la colère de Dieu excitée par nos péchés est venue retomber sur la personne du Sauveur. On entend dans le même sens ce que l’Apôtre dit : « Il est devenu malédiction pour nous » (Ga 3, 13). Jésus devint la malédiction, c’est-à-dire l’objet de toutes les malédictions que méritent les pécheurs.

– V –

Peines intérieures de notre Sauveur

Jusqu’ici, nous avons parlé que des souffrances extérieures de Jésus-Christ ; mais qui pourra jamais expliquer, ou seulement concevoir, l’étendue de ses souffrances intérieures, qui furent mille fois plus grandes que les premières ? La douleur de son âme fut si violente que, dans le jardin de Gethsémani, elle lui causa une sueur de sang par tout le corps et lui fit dire qu’elle suffisait pour lui donner la mort (Mt 26, 58). Mais, puisque cette tristesse suffisait pour le faire mourir, pourquoi ne mourut-il pas ? C’est, répond saint Thomas, parce qu’il retarda lui-même sa mort, voulant se conserver la vie pour la sacrifier bientôt après sur la croix. Remarquons en outre que cette tristesse mortelle ne fit qu’affliger plus sensiblement notre Sauveur ; car elle fut le tourment de toute sa vie : dès le premier moment de son existence, il eut devant les yeux les causes de sa douleur intérieure ; et de toutes ces causes, celle qui l’affligea le plus, ce fut de voir l’ingratitude des hommes après l’amour qu’il leur témoignait dans sa passion.

Il est vrai que, dans cette extrême désolation, un Ange du ciel vint pour fortifier le Seigneur, ainsi que saint Luc le rapporte. (Lc 22, 43). Mais le vénérable Bède fait observer que ce secours, loin d’alléger sa peine, ne fit que l’accroître, puisque l’Ange ranima ses forces pour qu’il souffrit avec plus de constance pour le salut des hommes, en lui représentant, ajoute le même auteur, la grandeur des fruits de notre passion, sans en diminuer la douleur. Aussi, immédiatement après l’apparition de l’Ange, l’Évangéliste dit que Jésus tomba en agonie et sua du sang en abondance au point d’en baigner la terre (Lc 23, 44).

Selon saint Bonaventure, la douleur de Jésus parvint au suprême degré ; de telle sorte qu’à l’aspect des tourments qui allaient terminer sa vie, il fut si épouvanté qu’il supplia son Père de l’en délivrer (Mt 26, 39). Cependant, Notre-Seigneur ne fit pas cette prière précisément pour échapper au supplice qui l’attendait, puisqu’il s’y était soumis volontairement (Jn 10, 18) ; ce fut pour nous faire entendre quelles angoisses il éprouvait en subissant une mort si amère selon les sens. Mais, reprenant aussitôt selon l’esprit, tant pour se conformer à la volonté de son Père que pour nous obtenir le salut, ce qu’il désirait si ardemment, il ajouta : « Néanmoins, que votre volonté soit faite, et non la mienne ! » (Mt 26, 44). Et il continua de prier et de se résigner ainsi durant trois heures (Mc 14, 39).

– VI –

Patience de Jésus-Christ – Fruits de sa mort

Reprenons les prophéties d’Isaïe. Il a prédit les soufflets, les coups de poing, les crachats et les autres mauvais traitements que Jésus-Christ souffrit dans la nuit qui précéda sa mort, de la part des bourreaux, qui le tenaient prisonnier dans le palais de Caïphe, en attendant le matin pour le conduire à Pilate et le faire condamner au supplice de la croix : « J’ai tendu le dos à ceux qui me frappaient, les joues à ceux qui m’arrachaient la barbe ; je n’ai pas soustrait ma face aux outrages et aux crachats » (Is 50, 6). Ces outrages ont été décrits après l’événement par saint Marc, qui ajoute que les bourreaux, voulant se moquer de Notre-Seigneur comme d’un faux prophète, lui bandèrent les yeux et se mirent ensuite à lui donner des coups de poing et des soufflets, en lui disant de deviner qui l’avait frappé (Mc 14, 65).

Isaïe continue et dit que le Messie sera mené à la mort comme une brebis qu’on va égorger (Is. 53, 7). C’est ce passage que lisait l’eunuque de la reine Candace, lorsque saint Philippe vint le joindre par une inspiration divine, comme on le voit dans les Actes des Apôtres (Ac 8, 32) : il lui demanda de qui les paroles devaient s’entendre, et le saint expliqua tout le mystère de la Rédemption opérée par Jésus-Christ. Alors, l’eunuque, ouvrant les yeux à la lumière que Dieu lui communiquait, voulut être baptisé sur-le-champ.

Le Prophète termine en annonçant les fruits immenses que la mort du Sauveur devait produire dans le monde, et la multitude de saints qui en devaient naître spirituellement : « S’il offre sa vie en expiation, il verra une postérité, il prolongera ses jours ; et ce qui plaît au Seigneur s’accomplira par lui. Il verra la lumière et sera comblé. Par ses souffrances, mon Serviteur justifiera des multitudes. » (Is 53, 10-11).

– VII –

Prophéties de David – Diverses particularités

Avant Isaïe, le Prophète-Roi avait prédit d’autres circonstances encore plus particulières de la passion de Jésus-Christ, principalement dans le Psaume 21, où il dit que le Sauveur aurait les mains et les pieds percés de clous et que ses membres seraient tellement étendus qu’on pourrait compter ses os (Ps 21, 15. 18). Il annonça également que, avant de le crucifier, on lui ôterait ses vêtements ; que ses vêtements extérieurs seraient partagés entre les bourreaux, et que celui de dessous, étant une tunique sans couture, serait tiré au sort (Ps. 21, 19). Cette prophétie est rappelée par saint Matthieu et saint Jean (Mt 27, 35 ; Jn 19, 23).

Voici en outre ce que saint Matthieu rapporte des blasphèmes et des sarcasmes des Juifs contre Jésus, pendant qu’il était sur la croix : « Ceux qui passaient par là le blasphémaient, en branlant la tête et en lui disant : Toi qui détruis le temple de Dieu, et qui le rebâtis en trois jours, que ne te sauves-tu toi-même ? Si tu es le Fils de Dieu, descends de la croix ! Les Princes des prêtres se moquaient aussi de lui avec les Scribes et les Anciens, en disant : Il a sauvé les autres, et il ne peut se sauver lui-même ; s’il est le Roi d’Israël, qu’il descende maintenant de la croix, et nous croirons en lui. Il met sa confiance en Dieu ; si donc Dieu l’aime, qu’il le délivre maintenant ; puisqu’il a dit : Je suis le Fils de Dieu. » (Mt 27, 40-43). Presque tous ces détails ont été prédits sommairement par David, en ces termes : « Tous ceux qui me voyaient, se sont moqués de moi ; ils ont dit en branlant la tête : Il a mis son espérance dans le Seigneur, que le Seigneur le délivre ; qu’il le sauve, s’il est vrai qu’il l’aime » (Ps 21, 8-9).

David a aussi prédit la grande peine que Jésus devait éprouver sur la croix en se voyant abandonner de tout le monde, même de ses disciples, à l’exception de saint Jean et de la Très Sainte Vierge. Mais la présence de cette Mère chérie n’adoucit point la peine d’un Fils si tendre ; elle l’augmentait, au contraire, par la compassion qu’il avait de la voir si affligée à cause de sa mort. Notre-Seigneur, au milieu des angoisses de son cruel supplice, ne trouva donc personne pour le consoler, précisément comme David l’avait annoncé (Ps 68, 21). Mais, la douleur qui affligea le plus profondément notre doux Rédempteur, ce fut d’être abandonné même de son Père éternel ; aussi s’écria-t-il alors, conformément à la prophétie de David : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’avez-vous abandonné ? Loin de me sauver les paroles de ma bouche » (Ps 21, 2). C’est comme s’il eût dit : « Mon Père ! les péchés des hommes, que j’appelle les miens parce que je m’en suis chargé, m’empêchent de me délivrer de ces souffrances qui consument ma vie ; mais vous, mon Dieu ! dans cette extrême désolation, pourquoi m’avez-vous abandonné ? » Ces paroles du Prophète-Roi correspondent parfaitement à celles que Jésus prononça sur la croix, selon l’Évangile de saint Mathieu, peu de temps avant sa mort : « Eli ! Eli ! Lanma sabacthani ? » (Mt 27, 46).

– VIII –

Jésus-Christ est le vrai Messie – Surabondance de ses mérites

D’après toutes ces citations, on peut juger du grand tort qu’ont les Juifs, lorsqu’ils refusent de reconnaître Jésus-Christ comme leur Messie et leur Sauveur, parce qu’il est mort d’un supplice ignominieux. Mais, ne s’aperçoivent-ils pas que, si Jésus-Christ, au lieu de mourir en croix comme un criminel, avait eu une mort honorée et glorieuse aux yeux des hommes, il n’aurait pas été le Messie promis de Dieu et prédit par les Prophètes, qui annonçaient depuis tant de siècles que le Rédempteur devait mourir rassasié d’opprobres (Lm 3, 30) ? Au reste, toutes ces humiliations et toutes ces souffrances du Fils de Dieu, si bien prédites par les Prophètes, ne furent comprises, même de ses disciples, qu’après sa résurrection et son ascension dans le ciel (Jn 12, 16).

Enfin, la passion de Jésus-Christ a vérifié cette parole de David : « La Justice et la Miséricorde se sont donné le baiser de paix » (Ps 84, 11). En effet, d’un côté, par les mérites du Sauveur, les hommes ont été miséricordieusement réconciliés avec Dieu ; et de l’autre, par sa mort, la Justice divine a été surabondamment satisfaite, puisque, pour nous racheter, il n’était pas nécessaire que l’Homme-Dieu supportât tant de souffrances et d’opprobres ; il suffisait, comme nous l’avons dit, d’une seule goutte de son sang, d’une simple prière de sa part, pour sauver le monde entier. C’est pour nous inspirer plus de confiance et nous enflammer d’un plus grand amour envers lui, qu’il a voulu que notre rédemption fût, non seulement suffisante, mais encore surabondante, ainsi que David l’annonçait : « Espère Israël dans le Seigneur, puisque auprès du Seigneur est la grâce, près de lui l’abondance du rachat » (Ps 129, 6).

Job a aussi prophétisé cette surabondance de la grâce lorsque, parlant au nom du Messie, il déclara que son affliction était incomparablement plus grande que ses péchés (Jb 6, 2). Ici encore, Jésus, par la bouche de Job, appelle ses péchés ceux des hommes, parce qu’il s’était obligé à satisfaire pour nous, afin que sa justice devint notre justice, suivant la pensée de saint Augustin. La Glose commente le texte de Job en disant que, dans la balance de la Justice divine, la passion de Jésus-Christ l’emporte sur tous les péchés du genre humain. Toutes les vies des hommes ne suffiraient point pour expier un seul péché, mais les souffrances du Fils de Dieu ont satisfait pour toutes nos dettes (1 Jn 2, 2). De là, saint Laurent Justinien encourage tout pécheur véritablement contrit à espérer son pardon avec assurance par les mérites de Jésus-Christ. Pauvre pécheur, lui dit-il, ne mesure point l’espérance d’obtenir le pardon de tes fautes à la grandeur de ton repentir, car toutes tes oeuvres ne peuvent te le mériter ; mais mesure-la aux souffrances de ton divin Rédempteur, qui a surabondamment satisfait pour toi.

Ô Sauveur du monde ! dans vos chairs déchirées par les fouets, les épines et les clous, je reconnais votre amour pour moi et l’ingratitude que j’aie eue de répondre par tant d’injures à tant de bienfaits ! Mais votre sang est mon espérance puisque c’est au prix de votre sang que vous m’avez délivré de l’enfer autant de fois que je l’ai mérité. Ah ! qu’en serait-il de moi pour toute l’éternité, si vous n’aviez pensé à me sauver par votre mort ? Malheureux que je suis ! je savais qu’en perdant votre grâce, je me condamnais moi-même à rester à jamais, sans espoir, éloigné de vous en enfer, et j’ai souvent osé vous tourner le dos ! Mais, je le répète, votre sang est mon espérance. Ah ! que ne suis-je mort sans vous avoir jamais offensé ! Ô bonté infinie, je méritais d’être aveuglé, et vous m’avez éclairé de nouvelles lumières ; je méritais d’être endurci et vous m’avez attendri et touché de componction, au point que j’abhorre maintenant plus que la mort les injures que je vous ai faites, et que je me sens un grand désir de vous aimer ! Ces grâces que j’ai reçues de vous, me donnent l’assurance que vous m’avez pardonné et que vous voulez me sauver. Ô mon Jésus ! qui pourrait cesser encore de vous aimer, et aimer autre chose que vous ? Je vous aime, mon Jésus ! et je me confie en vous ; augmentez cette confiance et cet amour, afin que désormais j’oublie tout et ne pense plus qu’à vous aimer et à vous plaire.

Ô Marie, Mère de Dieu, obtenez-moi la grâce d’être fidèle à Jésus, votre Fils et mon Rédempteur !

[…]

CHAPITRE X :
SUR NOTRE ESPÉRANCE ENTIÈRE DANS LES MÉRITES DE JÉSUS-CHRIST

– I –

Jésus crucifié est notre ressource dans tous nos besoins

« Tout notre salut, dit saint Pierre, est en Jésus-Christ » (Ac 4, 12). C’est lui qui, par le moyen de la croix, où il a sacrifié sa vie pour nous, nous a ouvert la voie pour espérer de Dieu tous les biens, si nous sommes fidèles à ses préceptes.

Écoutons ce que dit de la croix saint Jean Chrysostome : « La croix (ou Jésus crucifié) est l’espérance des chrétiens, l’appui des boiteux, la consolation des pauvres, la ruine de l’orgueil, la victoire sur les démons, l’école des commençants, le guide des navigateurs, le port ouvert, le conseiller des justes, le repos des affligés, le remède des malades, la gloire des martyrs. »

Chacune de ces appellations mérite un bref commentaire.

L’espérance des chrétiens. Sans Jésus-Christ, nous n’aurions aucun espoir de salut.

L’appui des boiteux. Dans notre état présent, qui est un état de dégradation, nous sommes tous spirituellement boiteux ; nous n’avons d’autre force pour marcher dans la voie du salut que celle que nous recevons de la grâce de Jésus-Christ.

La consolation des pauvres. Comment un chrétien ne se dirait-il pas pauvre ? Tout ce que nous avons, nous le devons à la charité de Jésus-Christ.

La ruine de l’orgueil. Les disciples de Jésus crucifié ne sauraient être orgueilleux en voyant leur divin Maître mourir sur la croix comme un malfaiteur.

La victoire sur les démons. Le seul signe de la croix suffit pour mettre les démons en fuite.

L’école des commençants. Quels beaux enseignements la croix donne à ceux qui commencent à marcher dans les voies de Dieu !

Le guide des navigateurs. Oh ! comme la croix nous dirige bien au milieu des tempêtes de la vie présente.

Le port ouvert. Tous ceux que les tentations ou de violentes passions mettent en danger de se perdre trouvent un abri sûr au pied de la croix.

Le conseiller des justes. Que de salutaires conseils ne puise-t-on pas dans la croix, c’est-à-dire dans les tribulations qu’on éprouve durant la vie !

Le repos des affligés. Où les personnes affligées trouvent-elles plus de consolation qu’au pied de la croix, sur laquelle elles voient un Dieu qui souffre pour leur amour ?

Le remède des malades. Ceux qui embrassent la croix dans les maladies sont bientôt guéris de toutes les plaies de leur âme.

La gloire des Martyrs. Ce qui fait surtout la gloire des Martyrs, c’est de ressembler à Jésus crucifié, Roi des Martyrs.

En un mot, toutes nos espérances sont dans les mérites de Jésus-Christ. Paraphrasant à peine l’Apôtre (Ph 4, 12-13), on peut dire : Instruit par le Seigneur, je sais comment je dois me conduire en toutes circonstances. Quand Dieu m’humilie, je sais me résigner à sa volonté, et quand il m’élève, je sais lui en rendre tout l’honneur. S’il me fait jouir de l’abondance, je sais le remercier, et s’il me fait souffrir de la pénurie, je le bénis encore ; mais je n’agis pas ainsi par ma propre vertu, c’est l’effet de la grâce que Dieu me donne. Celui qui se défie de lui-même et se confie en Jésus-Christ acquiert par son secours une force invincible.

Le Seigneur rend tout-puissants ceux qui mettent en lui leur confiance. Ainsi parle saint Bernard, et il ajoute qu’une âme qui ne présume point de ses propres forces, mais qui est fortifiée par Jésus-Christ, pourra devenir tellement maîtresse d’elle-même qu’elle ne se laissera dominer par aucun péché. Il en conclut que, si quelqu’un s’appuie sur Jésus-Christ, il n’y a ni violence, ni fraude, ni plaisir qui puisse l’abattre.

L’Apôtre ayant prié Dieu par trois fois de le délivrer d’une épreuve qui le tenaillait, le Seigneur lui répondit que sa grâce lui suffisait, et que la vertu se perfectionne dans la faiblesse (2 Co 12, 7-9). Mais, comment se fait-il que la vertu se perfectionne dans la faiblesse ? Saint Thomas nous l’explique avec saint Jean Chrysostome : Plus nous sommes faibles et enclins au mal, plus Dieu nous communique de force, dès que nous recourons à lui avec confiance. C’est pourquoi l’Apôtre ajoute immédiatement : « Je me glorifierai donc volontiers de mes faiblesses, puisque ainsi la vertu de Jésus-Christ s’établira mieux en moi. » Et il continue : « Je me plais conséquemment dans mes faiblesses, souffrant avec joie, pour Jésus-Christ, les injures, la pauvreté, les persécutions, les angoisses ; car plus je me trouve faible, plus je me confie en lui, et j’en deviens d’autant plus fort. » (2 Co 12, 9-10).

Saint Paul dit encore que la croix paraît une folie à ceux qui suivent la voie de la perdition, mais que pour nous, qui marchons dans la voie du salut, c’est la force de Dieu (1 Co 1, 18). Par ces paroles, il nous engage à ne pas imiter les mondains, qui mettent leur confiance dans les richesses, ou dans leurs parents et leurs amis, et qui regardent comme insensés les saints, qui font peu de cas des appuis terrestres. Au contraire, imitons ces derniers en plaçant comme eux toutes nos espérances dans l’amour de la croix, c’est-à-dire de Jésus crucifié, qui procure tous les biens à quiconque se confie en lui.

Il faut remarquer ici que la puissance du monde diffère entièrement de celle de Dieu : celle-là s’acquiert par les richesses et les honneurs, tandis que celle-ci s’obtient par l’humilité et la patience. Ce qui fait dire à saint Augustin que notre force est dans la connaissance de notre faiblesse et dans l’humble aveu de notre misère. Et, selon saint Jérôme, toute la perfection de la vie présente consiste à reconnaître ses imperfections. En effet, dès que nous nous reconnaissons imparfaits comme nous le sommes, nous défiant alors de nos propres forces, nous nous abandonnons entre les bras de Dieu, qui protège et sauve ceux qui se confient en lui, comme en témoigne le Psalmiste (Ps 17, 31 et 16, 7). Celui qui met sa confiance dans le Seigneur, ajoute-t-il, devient fort comme une montagne ; tous les efforts de ses ennemis ne sauraient l’ébranler (Ps 124, 1). De là, saint Augustin nous donne cet avis que, dans les tentations, lorsque nous sommes en danger de pécher, nous devons recourir à Jésus-Christ et nous appuyer entièrement sur lui ; loin de se retirer et de nous laisser tomber, il nous tiendra dans ses bras et remédiera à notre faiblesse.

En prenant sur lui les misères de notre humanité, Jésus-Christ nous a mérité une force qui surpasse notre faiblesse ; car, ayant été lui-même tenté, dit l’Écriture, il peut nous secourir dans les tentations (He 2, 18). Comment cela ? c’est que notre Sauveur, après avoir éprouvé les tentations, en est plus porté à compatir à nos maux et à nous aider lorsque nous sommes tentés. Cette explication nous est donnés dans un autre passage du même texte : « Nous n’avons pas un grand prêtre impuissant à compatir à nos faiblesses, lui qui a été éprouvé en tout d’une manière semblable, à l’exception du péché » (He 4, 15). L’auteur nous exhorte conséquemment à recourir avec confiance au trône de la grâce, c’est-à-dire à la croix, pour recevoir du Sauveur, qui y est attaché pour nous, les secours dont nous avons besoin (HE 4, 16).

L’Évangile atteste que Jésus-Christ, dans le jardin de Gethsémani, la nuit qui précéda sa mort, fut en proie à la crainte, à l’ennui, à la tristesse (Mc 14, 33 ; Mt 26, 37). En se soumettant à ces peines, notre Sauveur nous a mérité le courage de résister aux menaces de ceux qui veulent nous pervertir, la vigueur nécessaire pour surmonter l’ennui que nous éprouvons dans l’oraison, dans les mortifications, et dans les autres exercices de piété, et la force de souffrir en paix la tristesse qui nous afflige dans les adversités.

Nous savons en outre que, dans cette même circonstance, à la vue des douleurs et de la mort désolée qu’on lui préparait, il voulut bien éprouver, dans son humanité, une telle faiblesse qu’il dit à ses disciples : « L’esprit est prompt, mais la chair est faible » (Mt 26, 41) et qu’il alla jusqu’à prier Dieu son Père d’éloigner de lui cet horrible supplice. Mais il ajouta aussitôt : « Néanmoins, non comme je veux, mais comme vous voulez » (Mt 26, 42). Durant tout le temps de sa pénible oraison dans le jardin des Olives, il ne fit que répéter la même prière. Ce Fiat nous mérita et nous obtint la résignation dans tout ce qui nous arrive de contraire, et valut aux Martyrs et aux Confesseurs de la foi la force de résister à toutes les persécutions et à toute la cruauté des tyrans, comme l’enseigne saint Léon.

De même, par l’horreur qu’il eut alors de nos péchés, et qui lui cause une si dure agonie (Lc 22,43), Jésus nous a mérité la grâce de la contrition. Par l’abandon qu’il souffrit ensuite sur la croix, de la part de son Père, il nous a mérité la grâce de ne pas nous décourager dans les désolations et les obscurités spirituelles. En inclinant la tête, au moment d’expirer sur ce gibet pour obéir à la volonté de son Père (Ph 2, 8), il nous a mérité toutes les victoires que nous obtenons contre les passions et les tentations, ainsi que la patience dans les maux de cette vie, et principalement dans les douleurs et les angoisses qui accompagnent la mort. En un mot, dit saint Léon, Jésus-Christ est venu prendre sur lui nos infirmités et nos misères, pour nous communiquer sa vertu et sa constance.

L’Écriture nous assure que le Fils de Dieu a appris l’obéissance par tout ce qu’il a souffert (He 5, 8). Cela ne signifie pas que Jésus-Christ ait appris dans sa passion ce que c’est que la vertu d’obéissance, comme s’il l’eût ignoré auparavant ; mais on entend par là, suivant l’explication de saint Anselme, que Notre-Seigneur, outre la connaissance qu’il en avait déjà, apprit par expérience, dans sa passion, combien était douloureuse la mort qu’il devait souffrir pour obéir à son père. Il éprouva aussi alors combien est grand le mérite de l’obéissance, puisque, par elle, il obtint pour lui-même le plus haut degré de gloire, qui est d’être assis à la droite de son Père, et pour nous le salut éternel. C’est pourquoi l’auteur sacré ajoute qu’ayant exercé une obéissance parfaite, en endurant patiemment tout ce qu’il eut à souffrir dans sa passion, Jésus-Christ a mérité la grâce du salut à tous ceux qui se montrent obéissants envers lui, en supportant avec patience les maux de la vie présente (He 5, 9).

C’est cette patience du divin Sauveur qui a procuré aux Saints Martyrs le courage et la force d’embrasser avec patience les tourments les plus atroces que la cruauté des tyrans ait pu inventer, et non seulement avec patience, mais avec joie et avec le désir de souffrir encore davantage pour l’amour de Jésus-Christ. Qu’on lise la célèbre lettre que saint Ignace Martyr, condamné aux bêtes, écrivit aux Romains avant d’arriver au lieu de son supplice : « Mes enfants, leur dit-il, je suis le froment de Dieu ; laissez-moi broyer par les dents des bêtes féroces, afin que je devienne un pain agréable à mon Rédempteur. Je ne cherche que celui qui est mort pour nous. Permettez que j’imite la passion de mon Dieu. Il est l’unique objet de mon amour, il a été crucifié pour moi ; l’amour que je lui porte, me fait désirer d’être crucifié pour lui ». Saint Léon dit du martyr saint Laurent, que le feu qui brûlait son corps sur le gril était moins ardent que celui dont son âme était embrasée. Eusèbe et Pallade rapportent de sainte Potamiène, vierge d’Alexandrie, qu’étant condamnée à être jetée dans une chaudière de poix bouillante, et désirant souffrir davantage pour l’amour de son Époux crucifié, elle pria le tyran de l’y faire descendre peu à peu, afin que sa mort fût plus douloureuse. Elle obtint ce qu’elle demandait : on commença par lui plonger les pieds dans la poix, de sorte que son tourment dura trois heures ; elle n’expira que lorsque la poix lui fut arrivée au cou. Telles sont la patience et la force que les Martyrs reçurent de la passion de Jésus-Christ.

Plein de ce courage que Jésus crucifié inspire à ceux dont il est aimé, saint Paul s’écriait qu’aucune peine, aucune privation, aucun danger, aucun supplice, n’était capable de le séparer de l’amour de Jésus-Christ (Rm 8, 35). Il espérait triompher de tout par la grâce et pour l’amour de son divin Maître (Rm 8, 37). L’amour des Martyrs envers Jésus-Christ était invincible, parce qu’il recevait sa force de celui qui ne saurait être vaincu. Et ne pensons pas qu’un miracle les ait rendus insensibles aux tourments, ni que les consolations célestes aient absorbé la douleur qu’ils éprouvaient ; cela a pu arriver quelquefois, mais d’ordinaire ils sentaient très bien leurs douleurs ; on en voyait qui, par faiblesse, cédaient à la violence des tortures. Quant à ceux qui avaient la constance de résister jusqu’à la fin, c’est Dieu qui leur donnait la patience et la force nécessaire pour tout souffrir.

Le premier objet de notre espérance est la félicité éternelle, c’est-à-dire la jouissance de Dieu, comme l’enseigne saint Thomas. Quant aux moyens d’arriver à cette suprême béatitude, tels que le pardon des péchés commis, la persévérance finale dans la grâce de Dieu et la bonne mort, nous devons tout attendre des mérites et du secours de Jésus-Christ, sans compter sur nos propres forces ni sur nos bonnes résolutions. Ainsi, pour que notre confiance soit ferme, nous devons avoir la certitude infaillible que nous ne pouvons obtenir ces moyens de salut que par les mérites de notre Sauveur, et que nous en pouvons tout espérer.

– II –

De l’espérance que nous avons en Jésus-Christ d’obtenir le pardon de nos péchés

Nous savons que c’est pour procurer aux pécheurs le pardon et le salut que le Fils de Dieu est venu sur la terre, comme il l’a déclaré lui-même (Mt 18, 11). Et lorsque saint Jean-Baptiste annonça aux Juifs la présence du Messie qu’ils attendaient, il s’exprima ainsi, en le montrant : « Voici l’Agneau de Dieu, voici celui qui ôte les péchés du monde » (Jn 1, 29). Il dit l’Agneau, avec l’article défini, d’après le texte grec ; c’est donc comme si le saint Précurseur eût parlé de cette manière : Voici l’Agneau divin prédit par Isaïe (Is 53, 7) et par Jérémie (Jr 11, 19). Voici l’Agneau préfiguré par Moïse dans l’agneau pascal, ainsi que dans le sacrifice de l’agneau qu’on offrait à Dieu chaque matin, suivant la Loi, et dans plusieurs autres qui se faisaient le soir pour les péchés. Mais tous ces agneaux ne pouvaient abolir un seul péché ; ils ne servaient qu’à représenter le sacrifice de l’Agneau divin, qui devait laver nos âmes de son sang, et les délivrer par ce moyen, tant de la tache du péché que de la peine éternelle encourue par le péché, notre Sauveur prenant sur lui la charge de satisfaire pour nous à la justice de Dieu par sa mort, selon ce qu’Isaïe a prédit : « Le Seigneur a fait retomber sur lui les crimes de nous tous » (Is 53, 6). C’est ce qui fait dire à saint Cyrille : Jésus-Christ a voulu se dévouer à la mort, pour gagner à Dieu tous les hommes qui étaient perdus.

Combien donc ne sommes-nous pas obligés envers ce généreux Rédempteur ! Si, au moment où un condamné à mort est conduit au supplice, la corde au cou, un ami venait le délivrer en prenant sur lui la corde fatale pour mourir à sa place, quel droit cet ami n’aurait-il pas à sa reconnaissance et à son amour ! Eh bien ! voilà ce que Jésus a fait pour nous ; il est mort sur la croix pour nous délivrer de la mort éternelle.

Notre-Seigneur, dit saint Pierre, s’est chargé de tous nos péchés et les a portés sur la croix, pour les expier par sa mort, nous en obtenir le pardon, et nous rendre ainsi la vie que nous avions perdue (1 P2, 24). Qu’y-a-t-il de plus admirable, s’écrie saint Bonaventure, que de voir les plaies de l’un guérir les plaies des autres, et la mort d’un seul rappeler à la vie tous ceux qui étaient morts ? Saint Paul dit que, de pécheurs que nous étions, odieux et abominables, Dieu nous a rendus, par Jésus-Christ, agréables et aimables à ses yeux ; car, par les mérites de son sang, il nous a remis nos péchés, et nous a communiqué surabondamment les richesses de sa grâce (Ep 1, 6). Tel fut l’effet du pacte de Jésus-Christ avec son Père : le Seigneur nous a pardonné nos fautes et nous a reçus dans son amitié, en considération des souffrances et de la mort de son Fils bien-aimé.

C’est dans ce sens que l’Écriture appelle Jésus-Christ Médiateur du Nouveau Testament (He 9, 15). Dans nos Saints Livres, le mot Testament se prend en deux sens : celui de pacte, ou d’accord entre deux parties qui étaient en opposition, et celui de promesse, ou de disposition de dernière volonté, par laquelle on transmet son bien à des héritiers, disposition qui ne devient irrévocable que par la mort du testateur. Nous parlerons plus loin, à la section IV de ce chapitre, du Testament considéré comme promesse. Ici, il ne s’agit que du Testament considéré comme pacte, tel que l’entend l’Écriture lorsqu’elle dit que Jésus-Christ est le Médiateur du Nouveau Testament.

Le péché avait rendu l’homme débiteur envers la Justice divine et ennemi de Dieu. Le Fils de Dieu vint sur la terre, se revêtit de la chair humaine, et, dès qu’il fut tout à la fois Dieu et Homme, se fit Médiateur entre l’homme et Dieu, agissant comme Dieu et comme Homme. Afin de rétablir la paix entre eux, en obtenant pour l’homme la grâce de Dieu, il offrit de payer à la justice de Dieu, au prix de son sang et de sa mort, la dette de l’homme. Cette merveilleuse réconciliation avait été figurée d’avance, sous l’Ancien Testament, dans tous les sacrifices qui se faisaient alors, et dans tous les symboles que Dieu avait ordonnés, tels que le tabernacle, l’autel, le voile, le chandelier d’or, l’encensoir, et l’arche qui renfermait le rameau d’Aaron et les tables de la Loi. Tous ces objets étaient des signes et des figures de la rédemption promise. Comme cette rédemption devait s’accomplir par le sang de Jésus-Christ, Dieu avait prescrit que le sang des animaux, représentant celui de l’Agneau divin, fût versé dans tous les sacrifices, et que tous les objets symboliques que nous venons de mentionner fussent arrosés de ce sang (He 9, 18).

Le premier Testament, c’est-à-dire l’alliance, le pacte, ou la médiation, qui se fit dans l’Ancienne Loi, et qui représentait la médiation de Jésus-Christ dans la Loi Nouvelle, fut scellé par le sang des veaux et des boucs, que Moïse prit avec de la laine rouge et de l’hysope (He 9, 19). La laine rouge était aussi une figure de notre Sauveur : comme la laine est naturellement blanche, et qu’elle ne devient rouge que par la teinture, de même Jésus, blanc par sa nature et par son innocence, parut tout rougi de son sang sur la croix, où il fut supplicié comme un malfaiteur. Ainsi s’est vérifié ce que l’Épouse des Cantiques disait de lui : « Mon Bien-Aimé éclate par sa blancheur et par sa rougeur » (Ct 5, 10). L’hysope, qui est une plante basse, marquait l’humilité de Jésus-Christ.

Le texte continue en ces termes : « Moïse ayant pris du sang des victimes, en jeta sur le livre où l’alliance était écrite, et sur tout le peuple, en disant : “C’est le sang du Testament que Dieu a fait pour vous”. Il jeta encore du sang sur le tabernacle et sur tous les vases sacrés. Enfin, selon la Loi, presque tout se purifie avec le sang et les péchés ne sont pas remis sans effusion de sang » (He 9, 19-22). En parlant ainsi aux Hébreux, l’auteur sacré a voulu répéter plusieurs fois le mot de sang, afin d’imprimer dans l’esprit et dans le coeur de tous les hommes que, sans le sang de Jésus-Christ, il n’y aurait aucun espoir de pardon. Et comme, sous l’Ancienne Loi, le sang des victimes purifiait les Hébreux de la tache extérieure des fautes qu’ils commettaient contre la Loi, et leur remettait la peine temporelle que la Loi imposait, de même, sous la Loi Nouvelle, le sang de Jésus-Christ nous lave de la tache intérieure de nos péchés, suivant l’expression de saint Jean (Ap 4, 5), et il nous délivre de la peine éternelle de l’enfer.

Dans le présent contexte, il convient de reprendre ce qui a été dit plus haut […]. Le Pontife de l’Ancienne Loi entrait par le tabernacle dans le Saint des Saints et, au moyen de l’aspersion du sang des animaux, il purgeait les délinquants de la tache extérieure qu’ils avaient contractée et de la peine temporelle seulement. Pour obtenir la rémission de la coulpe et de la peine éternelle, il était absolument nécessaire aux Hébreux d’avoir la contrition avec la foi et l’espérance dans le Messie futur, qui devait mourir pour procurer aux hommes le pardon de leurs péchés ; mais Jésus-Christ, le Pontife de la Loi Nouvelle, par un tabernacle plus grand et plus parfait, c’est-à-dire par son corps adorable, offert en sacrifice sur la croix, est entré dans le sanctuaire du ciel, qui nous était fermé et qu’il nous a ouvert par la rédemption.

Ensuite, pour nous porter à espérer le pardon de toutes nos fautes, en mettant notre confiance dans les mérites de notre Sauveur, le texte ajoute que, si le sang des animaux offerts en sacrifice avait la vertu d’ôter les souillures légales, à bien plus forte raison le sang de Jésus-Christ, qui s’est offert lui-même à Dieu comme une victime sans tache, doit purifier notre conscience des oeuvres mortes et nous rendre capables de servir Dieu comme il convient. Notre divin Rédempteur s’est offert lui-même à Dieu, pur de toute tache, sans aucune ombre de faute ; autrement, il n’eût pas été un digne médiateur, propre à réconcilier Dieu avec l’homme pécheur, et son sang n’eût pas eu la vertu de purifier notre conscience des oeuvres mortes, c’est-à-dire des péchés, qui sont des oeuvres mortes, ou sans mérites, et des oeuvres de mort, dignes des peines éternelles. Le Seigneur ne nous pardonne qu’à la condition que nous emploierons le reste de notre vie à le servir et à l’aimer.

Voilà pourquoi, conclut notre passage de la Lettre aux Hébreux, Jésus-Christ est le Médiateur du Nouveau Testament. Ainsi, notre Rédempteur, poussé par l’amour immense qu’il nous portait, a voulu nous racheter de la mort éternelle au prix de son sang ; c’est par ce moyen qu’il nous a obtenu de Dieu le pardon de nos péchés, sa grâce en cette vie, et l’éternelle félicité en l’autre, si nous le servons fidèlement jusqu’à la mort. Tel fut le Testament, médiation ou pacte, entre Jésus-Christ et Dieu son Père, en vertu duquel le pardon et le salut nous furent promis. (Cf. He 9 passim.)

Cette promesse du pardon qui devait nous être accordé en considération des mérites du sang de Jésus-Christ, nous a été confirmée par notre Sauveur lui-même, la veille de la mort lorsqu’il dit en instituant le sacrement de l’Eucharistie : « Ceci est mon Sang, le Sang de la Nouvelle Alliance, qui sera répandu pour plusieurs pour la rémission des péchés » (Mt 26, 28). Par le mot « répandu », il annonçait que son sacrifice était prochain, et qu’il devait y laisser son sang, non en partie, mais entièrement, pour expier nos péchés et nous en obtenir le pardon. Notre-Seigneur a voulu ensuite que ce divin sacrifice se renouvelât tous les jours, à chaque Messe qui serait célébrée, afin que son sang intercédât continuellement en notre faveur.

C’est pour cela que Jésus-Christ fut appelé Prêtre selon l’ordre de Melchisédech (Ps 109, 4). Aaron offrit des sacrifices d’animaux, tandis que le sacrifice de Melchisédech fut de pain et de vin, figure du Sacrifice de l’autel. Notre Sauveur institua cet auguste mystère lors de la dernière cène, en offrant à Dieu, sous les espèces du pain et du vin, son corps et son sang, qu’il devait sacrifier le lendemain dans sa passion, pour continuer ensuite à les offrir tous les jours par la main des prêtres, renouvelant sans cesse par leur ministère le Sacrifice de la croix.

La Lettre aux Hébreux explique pourquoi David appelle Jésus-Christ, non seulement Prêtre, mais Prêtre éternel. La mort mettait fin au sacerdoce des anciens Pontifes ; mais, comme Jésus-Christ demeure éternellement, son sacerdoce est éternel (He 7, 24). Et si l’on demande comment Notre-Seigneur continue dans le ciel l’exercice de son sacerdoce, le texte sacré fournit les réponses au verset suivant : « Du fait qu’il demeure pour l’éternité, il a un sacerdoce éternel » (He 7, 25). Le grand Sacrifice de la croix, représenté et perpétué par le Sacrifice de l’autel, ne cesse pas d’avoir la vertu de sauver tous ceux qui, dûment disposés par la foi et les bonnes oeuvres, s’approchent de Dieu par l’entremise de Jésus-Christ. Ce sacrifice, disent saint Ambroise et saint Augustin, le Fils de Dieu continue comme homme de l’offrir pour nous à son Père, ne cessant point de faire dans le ciel, comme il le faisait sur la terre, l’office de notre Avocat et Médiateur, et même de notre Pontife, office qui consiste à intercéder en notre faveur, suivant les dernières paroles du texte.

Saint Jean Chrysostome dit que les plaies de Jésus-Christ sont autant de bouches ouvertes, pour implorer de Dieu le pardon de nos péchés. C’est bien ce qu’affirme l’Écriture lorsqu’elle indique que son précieux sang parle bien plus efficacement en demandant miséricorde pour nous que celui d’Abel en réclamant la vengeance divine contre Caïn (He 12, 22). On lit dans les révélations de sainte Marie-Madeleine de Pazzi que Dieu lui adressa un jour ces paroles : « Ma justice s’est changée en clémence par la vengeance qu’elle a prise sur la chair innocente de mon Fils. Son Sang ne me crie pas vengeance comme celui d’Abel ; il ne demande que miséricorde et, à sa voix, ma justice ne peut résister ; le sang de Jésus lui lie les mains, de sorte qu’elle ne peut plus les lever pour punir les péchés comme auparavant. »

Le Seigneur nous avait promis la rémission de nos péchés et la vie éternelle ; mais, remarque saint Augustin, il a fait pour nous plus qu’il avait promis. Pour nous accorder le pardon et le paradis, il n’en eût rien couté à Jésus-Christ ; mais, pour nous racheter, il a dû donner son sang et sa vie.

L’apôtre saint Jean nous exhorte à fuir le péché ; mais, de peur que nous perdions la confiance envers Dieu, à cause des fautes que nous avons commises, il nous en fait espérer le pardon, pourvu que nous ayons la ferme résolution de n’y plus retomber. À cet effet, il nous dit que nous avons affaire à Jésus-Christ qui, non seulement est mort pour nous pardonner, mais de plus, après sa mort, s’est fait notre Avocat auprès de Dieu son Père (1 Jn 2, 1). Nos péchés, selon la justice, méritent la disgrâce de Dieu et la damnation éternelle ; mais la passion du Sauveur réclame pour nous la grâce et le salut, et cela en toute justice. Car le Père éternel, en considération des mérites de son Fils, lui a promis de nous pardonner et de nous sauver, dès que nous sommes disposés à recevoir sa grâce et à observer ses commandements, selon ce que dit l’Écriture (He 5, 9). Ainsi, Jésus-Christ, en mourant sur la croix consumé de douleurs, a obtenu le salut éternel à tous ceux qui observent sa loi. De là cette exhortation : Courons avec ardeur, armés de courage et de patience, au combat contre les ennemis de notre salut, en tenant toujours les yeux fixés sur Jésus crucifié, qui, renonçant à une vie de plaisirs sur la terre, a préféré d’y passer ses jours dans des travaux pénibles, terminés par une mort pleine de douleurs et d’opprobres et a voulu accomplir ainsi l’oeuvre de notre rédemption (He 12, 1-2).

Ô précieux Sang de mon Sauveur ! vous êtes mon espérance ; purifiez un pauvre pécheur qui se repent de ses fautes ! Mon Jésus ! mes ennemis, après m’avoir entraîné à vous offenser, me disent que je n’ai plus rien à espérer de vous, qu’il n’y a plus de salut pour moi (Ps 3, 3). Mais au contraire, plein de confiance dans le sang que vous avez répandu pour moi, je vous dirai avec David que vous êtes mon refuge (Ps 3, 4). Mes ennemis cherchent à me troubler, en disant qu’après tant de péchés, si je recours à vous, je serai repoussé ; mais saint Jean me rassure par votre promesse de ne point rejeter celui qui revient à vous (Jn 6, 37). Je recours donc à vous avec une entière confiance. Vous, mon Sauveur, qui avez répandu tout votre sang avec tant de douleur et tant d’amour pour ne pas me voir perdu à jamais, ayez pitié de moi, pardonnez-moi et sauvez-moi !

– III –

De l’espérance que nous avons en Jésus-Christ d’obtenir la persévérance finale

Pour persévérer dans le bien, nous ne devons pas nous fier aux résolutions que nous avons prises, ni aux promesses que nous avons faites à Dieu. Dès que nous comptons sur nos propres forces, nous sommes perdus. C’est dans les mérites de Jésus-Christ que nous devons placer toute notre espérance pour nous maintenir dans l’état de grâce ; son secours nous fera persévérer jusqu’à la mort, fussions-nous combattus par toutes les puissances de la terre et de l’enfer. Quelquefois, sans doute, nous nous trouverons tellement abattus et assaillis de tant de tentations que notre ruine nous paraîtra presque inévitable ; gardons-nous alors de perdre courage et de nous abandonner au désespoir ; recourons à Jésus crucifié, et il nous empêchera de tomber.

Le Seigneur permet que les saints eux-mêmes aient quelquefois à subir de pareilles tempêtes. Saint Paul assure que les afflictions et les craintes qu’il souffrit en Asie étaient telles qu’il avait pris du dégoût pour la vie (2 Co 1, 8). L’Apôtre déclare ainsi ce qu’il était selon ses propres forces, pour nous apprendre que Dieu nous laisse de temps en temps dans la désolation, afin que nous connaissions notre misère et que, nous défiant de nous-mêmes, et implorant humblement son assistance, nous obtenions de lui la force qui nous manque pour ne pas succomber (2 Co 1, 9). Il s’exprime plus clairement encore dans un autre endroit, où il dit : « Nous nous sentons oppressés par la tristesse et par les passions, mais sans nous abandonner au désespoir ; nous sommes jetés sur des eaux agitées, mais sans y être submergés ; car le Seigneur, par sa grâce, nous donne la force de résister à tous nos ennemis » (2 Co 4, 8). Mais en même temps, l’Apôtre nous recommande de ne jamais oublier que nous sommes fragile, que nous pouvons facilement perdre le trésor de la grâce, et que le moyen de le conserver ne vient pas de nous, mais de Dieu seul (2 Co 4, 7).

Soyons donc fermement persuadés qu’en cette vie nous devons toujours nous garder d’avoir la moindre confiance en ce que nous pouvons faire. Notre arme la plus forte, avec laquelle nous ne manquerons jamais de remporter la victoire dans nos luttes contre l’enfer, c’est la prière. Elle fait la principale force de cette divine armure dont parle saint Paul, en nous recommandant d’en être sans cesse revêtus, pour triompher des ruses de nos ennemis, car, ajoute-t-il, nous n’avons pas à combattre contre les hommes, créatures de chair et de sang, mais contre les puissances infernales (Ep 6, 11-12). Tâchons de bien comprendre la description que l’Apôtre donne ici de l’armure du chrétien (Ep 6, 14-17).

Que la vérité soit la ceinture de vos reins. – Allusion à la ceinture que les soldats portaient comme une marque de la fidélité qu’ils avaient jurée à leur souverain. La ceinture du chrétien doit être la vérité de la doctrine de Jésus-Christ, suivant laquelle ils sont obligés de réprimer tous les mouvements déréglés, et surtout les mouvements impurs, qui sont les plus dangereux.

Que la justice soit votre cuirasse. – Le chrétien doit avoir pour cuirasse une bonne vie ; sans quoi, il sera incapable de résister aux attaques de ses ennemis.

Que votre zèle à propager l’Évangile de la paix soit vos chaussures. – La chaussure militaire dont un chrétien doit faire usage pour arriver promptement où le bien l’appelle, à la différence de celui qui, allant pieds nus, marche avec peine et lenteur, c’est d’être toujours prêt à pratiquer les saintes maximes de l’Évangile et à les insinuer aux autres par son exemple.

Servez-vous surtout du bouclier de la foi, afin de pouvoir éteindre tous les traits enflammés de Satan. – Le bouclier qui doit protéger le soldat de Jésus-Christ contre les flèches ennemies, lesquelles pénètrent comme le feu, c’est une foi constante, animée par la sainte espérance et principalement par la divine charité.

Prenez encore le casque du salut, et l’épée de la parole de Dieu. – Le casque, selon saint Anselme, c’est l’espérance du salut éternel. Enfin, l’épée de l’esprit doit être la parole sacrée par laquelle le Seigneur nous a promis plusieurs fois d’exaucer nos prières : « Invoque moi et je te répondrai » (Jr 33, 3), « Demandez et vous recevrez » (Mt 7, 7), « Quiconque demande reçoit » (Lc 11, 10).

L’Apôtre termine son tableau par ces paroles remarquables : Invoquant le Seigneur en esprit et en tout temps, par toute sorte de supplications et de prières, et cela avec vigilance, avec instance et persévérance, en priant aussi pour tous les saints (Ep 6, 18). La prière est donc notre arme principale ; c’est par elle que nous obtenons de Dieu la victoire sur toutes nos mauvaises inclinations et sur toutes les tentations de l’enfer. Mais il faut qu’on prie en esprit, c’est-à-dire non seulement de bouche, mais encore de coeur. Il faut en outre prier en tout temps, durant toute la vie ; comme nous avons toujours à combattre, notre prière ne doit jamais cesser. Il faut prier avec instance et persévérance : si la tentation ne cède pas à la première prière, on doit en faire une deuxième, une troisième, une quatrième ; et si elle persiste malgré cela, il faut prier avec gémissements, avec larmes, jusqu’à l’importunité et la violence, comme si nous voulions forcer le Seigneur à nous accorder la grâce de la victoire ; telle est la signification de ces mots. Enfin, l’Apôtre ajoute pour tous les Saints, ce qui veut dire que nous devons prier, non seulement pour nous, mais encore pour la persévérance de tous les fidèles, spécialement pour celle des prêtres, afin qu’ils travaillent avec zèle et avec fruit à la conversion des infidèles et de tous les pécheurs. Il faut supplier fréquemment Notre-Seigneur, dans nos oraisons, d’éclairer ceux qui sont aussi dans les ténèbres et dans les ombres de la mort, selon ce que Zacharie annonçait dans son Cantique (Lc 1, 79).

Il est fort utile, pour triompher dans les combats spirituels, de les prévenir dans nos méditations, en nous disposant d’avance à résister de toutes nos forces aux attaques qui peuvent nous surprendre. C’est ainsi qu’on a vu les Saints parler avec douceur ou garder le silence, sans éprouver aucun trouble, en recevant une injure grave, en se voyant tout à coup persécutés avec violence, saisis d’une vive douleur dans le corps ou dans l’âme, en perdant un objet de grande valeur ou une personne chérie. De telles victoires sur soi-même ne s’obtiennent pas ordinairement sans avoir cette fermeté qu’on puise dans une vie bien réglée, dans la fréquentation des sacrements, et dans un continuel exercice de méditations, de lectures spirituelles et de prières. On ne les voit guère chez ceux qui ne sont pas fort attentifs à fuir les occasions dangereuses, ou qui sont attachés aux vanités ou aux plaisirs du monde et pratiquent peu la mortification des sens ; chez ceux, en un mot, qui mènent une vie molle. Saint Augustin enseigne que, dans le combat spirituel, on doit vaincre d’abord le plaisir, et ensuite la douleur. Lorsqu’on est abandonné aux plaisirs sensuels, on résiste difficilement à une passion vive ou à une violente tentation ; et lorsqu’on aime trop l’estime du monde, on ne peut guère essuyer un affront grave sans perdre la grâce de Dieu.

Il est vrai que c’est de Jésus-Christ seul, et nullement de nous-mêmes, que nous devons attendre la force nécessaire pour éviter le péché et faire de bonnes oeuvres ; mais, pour obtenir cette grâce, il faut que nous prenions grand soin de ne pas nous rendre, par notre faute, de plus en plus faible. Certains défauts dont nous ne tenons pas compte peuvent être cause que la lumière divine nous manque, et que le démon devienne plus fort contre nous. Tels sont, par exemple, le désir de passer dans le monde pour savant ou pour noble, la vanité dans les habits, la recherche des commodités superflues, l’habitude de se piquer de toute parole choquante ou d’un simple manque d’attention, l’envie de plaire au monde au dépens du bien spirituel, la négligence des pratiques de piété par respect humain, les petites désobéissances, les petits murmures, les petites aversions conservées dans le coeur, les légers mensonges, les légères dérisions, le temps perdu en des conversations ou des curiosités inutiles. En un mot, tout attachement aux biens terrestres, tout acte d’amour-propre désordonné, peut servir à notre ennemi pour nous entraîner dans quelque précipice. Par suite de pareilles fautes commises de propos délibéré, Dieu nous privera de ses secours abondants, sans lesquels nous ferons bientôt quelque lourde chute.

Nous nous plaignons de nous trouver plein de sécheresse et de dégoût dans l’oraison, dans la communion, et dans tous les exercices spirituels ; mais, comment Dieu voudrait-il nous faire jouir de sa présence et nous prodiguer les marques de sa tendresse, lorsque nous sommes si avares envers lui et si négligents dans son service ? L’Apôtre nous en avertit : « Celui qui sème peu moissonnera peu » (2 Co 9, 6). Si nous donnons à Dieu tant de déplaisirs, quel droit avons-nous à ses consolations célestes ? Tant que nous ne serons pas entièrement détachés de la terre, nous ne serons jamais tout entiers à Jésus-Christ ; et qui sait où cela nous conduira ? Et cependant, notre Sauveur nous a mérité, par son humilité, la grâce de vaincre l’orgueil ; par sa pauvreté, la force de mépriser les biens terrestres ; par sa patience, le courage de supporter les affronts et les injures. Ah ! s’écrie saint Augustin, où en sommes-nous, si les exemples du Fils de Dieu, et tant de grâces qu’il nous a obtenues, ne peuvent nous guérir de nos vices ? Si, d’un côté, nous laissons refroidir notre amour envers Jésus-Christ, et si nous négligeons de le prier sans cesse de nous secourir, tandis que, de l’autre, nous nourrissons dans notre coeur quelque affection terrestre, il nous sera bien difficile de persévérer dans la bonne voie. Prions donc, prions toujours ; par la prière, nous obtiendrons tout.

Ô Rédempteur du monde ! ô mon unique Espérance ! par les mérites de votre passion, délivrez-moi de toute affection impure et de tout ce qui pourrait faire obstacle à l’amour que je vous dois. Faites que je vive entièrement dépouillé de désirs mondains, et que je n’aspire qu’à vous posséder, vous qui êtes le bien suprême, le seul digne d’être aimé. Par vos plaies sacrées, guérissez les infirmités de mon âme, et accordez-moi la grâce de tenir éloigné de mon coeur tout sentiment qui n’est pas pour vous ; c’est à vous que sont dues toutes mes affections. Jésus, mon Amour, vous êtes mon espérance ! Ô douces paroles ! ô douce consolation ! Jésus, mon Amour, vous êtes mon espérance !

– IV –

De l’espérance que nous avons en Jésus-Christ d’obtenir la félicité éternelle

Revenons à la Lettre aux Hébreux, où on dit que Jésus-Christ est le Médiateur du Nouveau Testament, afin que, par sa mort, nous recevions l’héritage éternel qu’il nous a promis (He 9, 15). Dans la section II du présent chapitre, on a parlé du Nouveau Testament comme pacte ; ici, il en sera question comme promesse, ou disposition de dernière volonté, par laquelle Notre-Seigneur nous a institués héritiers du royaume des cieux. Or, un testament n’étant valide qu’après la mort du testateur, il était nécessaire que Jésus-Christ mourût, pour que nous pussions, comme ses héritiers, entrer en possession du paradis (He 9, 16-17).

En vertu des mérites de Jésus-Christ, notre Médiateur, nous avons reçu la grâce d’être élevés, par le Baptême, à la dignité d’Enfants de Dieu, tandis que les Hébreux, dans l’Ancien Testament, quoiqu’ils fussent le peuple élu de Dieu, n’étaient cependant que ses serviteurs (cf. Ga 4, 24). La première médiation eut lieu sur le mont Sinaï, lorsque Dieu promit aux Hébreux, par l’entremise de Moïse, l’abondance des biens temporels, s’ils observaient la loi qu’il leur donnait. Quant aux chrétiens, écoutons saint Paul : « Vous, mes frères, à la manière d’Isaac, vous êtes mes enfants de la promesse » (Ga 4, 28). Si donc, nous chrétiens, nous sommes les enfants de Dieu, il s’ensuit, toujours d’après l’Apôtre, que nous sommes aussi ses héritiers ; car tous les enfants doivent avoir part à l’héritage paternel ; et l’héritage auquel nous avons droit – cohéritiers de Jésus-Christ – c’est la gloire éternelle du paradis, que Jésus-Christ nous a méritée par sa mort (Rm 8, 17).

Cependant, saint Paul ajoute aussitôt une condition. Il est vrai qu’en vertu du titre d’enfants de Dieu, que notre Sauveur nous a acquis au prix de son sang, nous avons droit au paradis ; mais cela s’entend, si nous correspondons fidèlement à la grâce par la pratique des bonnes oeuvres, et surtout par la patience. C’est pourquoi l’Apôtre dit que, pour obtenir la gloire éternelle comme Jésus-Christ l’a obtenue, nous devons souffrir sur la terre comme Jésus-Christ y a souffert (Rm 8, 17). Il marche en avant comme notre Chef avec sa croix ; c’est sous cette bannière que nous devons le suivre, chacun portant sa croix, ainsi qu’il nous l’a déclaré lui-même par ces paroles : « Si quelqu’un veut venir après moi, qu’il renonce à lui-même, qu’il se charge de sa croix, et qu’il me suive » (Mt 16, 24).

L’Apôtre nous exhorte ensuite à souffrir avec constance, soutenus comme nous le sommes par l’espérance du ciel ; il nous assure que la gloire qui nous attend dans l’autre vie, sera incomparablement plus grande que le mérite de toutes nos souffrances d’ici-bas, si nous les supportons avec résignation à la volonté de Dieu (Rm 8, 18). Quel indigent serait assez insensé pour ne pas donner avec joie tous ses haillons pour acquérir un grand royaume ? Nous ne jouissons pas à présent de cette gloire, parce que nous ne sommes pas encore sauvés, n’ayant pas encore terminé notre vie dans la grâce de Dieu ; mais ce qui doit nous sauver, continue saint Paul, c’est l’espérance dans les mérites de notre Rédempteur. Il ne manquera pas de nous accorder toutes les grâces dont nous avons besoin pour nous sauver, si nous lui sommes fidèles, et si nous persévérons à les lui demander, vu la promesse qu’il a faite d’exaucer quiconque le prie (Lc 11, 10). On me dira peut-être : Je ne crains pas que Dieu refuse de m’exaucer, si je le prie ; mais je crains de ne pas savoir prier comme il faut. Saint Paul répond qu’on ne doit pas craindre cela non plus, car, lorsque nous prions, Dieu vient lui-même au secours de notre faiblesse, et nous fait prier de manière à être exaucés (Rm 8, 26). L’Esprit-Saint prie pour nous, c’est-à-dire, selon saint Augustin, nous fait prier.

L’Apôtre augmente encore notre confiance en disant que tout contribue au bien de ceux qui aiment Dieu (Rm 8, 28). Il nous fait entendre par là que les opprobres, les maladies, la pauvreté, les persécutions, ne sont point des disgrâces, comme le pensent les gens du monde ; car Dieu les fait tourner au bien et à la gloire de ceux qui les supportent avec patience. Saint Paul dit enfin que le Seigneur a prédestinés ses élus pour être conformes à l’image de son divin Fils (Rm 8, 29). Par ces paroles, il veut nous persuader que, pour nous sauver, il faut que nous prenions la résolution de tout souffrir plutôt que de perdre la grâce de Dieu ; car nul ne peut être admis à la gloire des Bienheureux si, au jour du jugement, sa vie ne se trouve pas avoir été conforme à celle de Jésus-Christ.

Mais, de peur que cette sentence ne décourage les pécheurs et ne les jette dans le désespoir au souvenir des fautes qu’ils ont commises, saint Paul les rassure en disant que le Père éternel n’a pas voulu pardonner à son propre Fils, qui s’était offert à expier nos péchés, et qu’il l’a livré à la mort sans miséricorde, afin de pouvoir pardonner aux pécheurs. Et pour accroître encore la confiance de ceux qui se repentent, il ajoute : « Qui donc condamnera ? Le Christ Jésus qui est mort ? », comme s’il disait : Pécheurs, vous qui détestez vos fautes, pourquoi craignez-vous d’être condamnés à l’enfer ? Dites-moi : qui est-ce qui doit vous juger ? n’est-ce pas Jésus-Christ ? Et comment pouvez-vous craindre d’être condamnés à la mort éternelle par ce tendre Sauveur, qui, pour n’avoir pas à vous condamner, a voulu se condamner lui-même au supplice ignominieux de la croix ? (Cf. Rm 8, 31-34). Ce langage s’adresse, bien entendu, à ceux qui, pénétrés d’un sincère regret, ont purifié leurs âmes dans le sang de l’Agneau sans tache, suivant l’expression de saint Jean (Ap 7, 14).

Mon Jésus ! quand je considère mes péchés, j’ai honte de vous demander le ciel, après y avoir tant de fois renoncé en votre présence pour des plaisirs indignes et fugitifs. Mais, quand je vous vois attaché à cette croix, je ne puis m’empêcher d’espérer le paradis, sachant que vous avez voulu mourir sur ce gibet douloureux pour expier mes péchés et m’obtenir le bonheur céleste que j’ai méprisé. Ah ! mon doux Rédempteur, j’ai la confiance que, par les mérites de votre mort, vous m’avez déjà pardonné les offenses que je vous ai faites ; je m’en suis repenti, et maintenant encore je voudrais en mourir de douleurs. Hélas ! comment ne pas penser que, quoique vous m’ayez pardonné, il sera toujours vrai que j’ai eu l’ingratitude de vous causer ces graves déplaisirs, à vous qui m’avez tant aimé ! Malheureusement, ce qui est fait, est fait. Au moins, Seigneur, pour le temps qu’il me reste à vivre, je veux vous aimer de toutes mes forces, je ne veux plus aimer que vous, je veux être tout à vous, tout entier et pour toujours. Mais c’est à vous de faire qu’il en soit ainsi : détachez-moi de touts les objets terrestres, et donnez-moi les lumières et la force dont j’ai besoin pour ne plus chercher que vous, mon unique Bien, mon unique Amour, mon Tout !

Et vous, ô Marie, qui êtes l’espérance des pauvres pécheurs, vous devez m’aider par vos prières ; priez donc, ô ma Mère, priez pour moi, et ne cessez pas de priez que vous ne me voyiez tout à Dieu !