M. l’abbé Belmont a répondu à ce premier article de M. l’abbé Murro par une lettre publique en date du 16 mars 2017 qui a été diffusée sur Internet, mais qui, nous semble-t-il, ne se trouve pas sur son site (www.quicumque.com). Nous publions ici la réponse de M. l’abbé Murro à cette lettre de M. l’abbé Belmont.
Monsieur l’Abbé,
Depuis votre réponse du 16 mars dernier, le temps m’a manqué pour reprendre notre discussion.
Dans la situation actuelle de l’Église catholique, en l’absence d’Autorité formelle, nos positions doctrinales respectives s’opposent dans les réponses données aux questions suivantes :
- en cas de grave nécessité et dans l’impossibilité de recourir à l’Autorité, une consécration épiscopale sans mandat romain est-elle licite ?
- est-il licite de recevoir des Sacrements d’un ministre qui est “una cum”, en communion et dans l’obédience de celui qui n’est pas l’Autorité dans l’Église ?
Il n’est pas question ici de la juridiction universelle du Souverain Pontife dans l’Église, ni de la nécessité de l’approbation du Pape régnant pour des consécrations épiscopales quand l’Église est en ordre. Sur tous ces points, nous sommes bien d’accord : plusieurs articles de Sodalitium ont – entre autres – traité de ces questions.
Malheureusement, le noyau de votre réponse repose sur ces derniers points, qui ne sont donc pas l’objet de notre discussion. Je regrette que vous soyez passé à côté de la vraie discussion entre nous.
Par contre, le fait des sacres accomplis en clandestinité en Tchécoslovaquie est bien lié aux points a) et b) cités plus haut : l’objet du débat concerne donc les consécrations épiscopales au sujet desquelles se pose la question de la présence (ou non) du mandat romain, et non la docilité des évêques vis-à-vis du Souverain Pontife (même dans cette terrible période de persécution), ni les consécrations faites avec un mandat romain. Là aussi, votre réponse a porté sur ce qui n’est pas controversé entre nous.
Parmi ces dernières consécrations pour lesquelles se pose la question du mandat romain, vous donnez l’exemple de Mgr Koreč et vous citez son témoignage :
Venons-en à Mgr Jan Chryzostom Koreč (9e de la liste) – celui-là même qui consacra Mgr Dominik Kaľata. Mgr Koreč, qui vit la fin du régime persécuteur, eut nombre d’occasions de témoigner de l’existence de son mandat apostolique et de la parfaite légitimité de sa mission clandestine.
Dans son autobiographie il écrit : «Durant cette époque de tension et de désarroi, quand dix Jésuites furent interrogés et que tout cela était associé avec les problèmes concernant mon travail, j’éprouvai une joie extraordinaire quand je reçus un message de Rome. J’avais attendu ce message plusieurs années, vu que j’avais besoin d’une certaine confirmation de ma mission. Le message disait bien plus, mais les mots les plus importants pour moi furent : Santa Sede sa, que e (sic) stato fatto. Le Saint-Siège sait ce que vous êtes devenu. Le Saint-Siège sait… Le reste qui concernait mon travail et ma mission, je le gardais dans mon cœur comme un trésor. »
En lisant ce témoignage, on comprend clairement que Mgr Koreč a appris seulement “plusieurs années” après son sacre que le Saint-Siège était au courant de sa “mission”. En d’autres termes, au moment de son sacre (24 août 1951), il ne savait pas si le Saint-Siège était au courant de celui-ci, et s’il avait donc reçu un mandat romain : et pourtant il a bien accepté d’être sacré !
Ce fait confirme ce que nous affirmons. Car si les sacres épiscopaux accomplis sans mandat apostolique comportaient toujours, comme vous l’affirmez, un attentat à l’unité de l’Église, l’acceptation de se faire sacrer de la part de Mgr Koreč serait, du moins subjectivement (étant donné qu’il ne savait pas s’il jouissait d’un mandat romain), une faute grave. Mais vous aussi, Monsieur l’Abbé, vous estimez que Mgr Koreč a bien agi !
Quant à Mgr Dominik Kaľata, je n’ai jamais douté de son « esprit de docilité et de subordination à Pie XII, qui animait tant les évêques que les fidèles de l’église souterraine en Tchécoslovaquie » : la seule question est de savoir s’il y avait, oui ou non, le mandat apostolique.
Pour ce qui vous concerne, vous-même et les familles qui vous suivent : il me semble que le fait de demander (ou de faire demander) des sacrements à un ministre “una cum” est une chose grave. Que reste-t-il alors du témoignage de la Foi ? Et de votre adhésion à la Thèse de Cassiciacum ?
Monsieur l’Abbé, je suis d’accord avec vous : malgré des divergences, “nous avions toujours entretenu des rapports courtois et, à l’occasion, amicaux”. Mais toute amitié provient de Dieu et doit conduire vers Dieu, pour qu’elle soit une vraie amitié. Malgré le ton polémique, dans mon article précédent, il n’y avait pas d’“inique diatribe”. Mais il y avait, et il y a toujours, une préoccupation : qu’en franchissant les limites du témoignage de la Foi, vous ne vous retrouviez sur le chemin parcouru par ceux qui ont quitté le bon combat de la Foi.
Je regrette cependant que mon article soit paru pendant votre hospitalisation : cela n’était ni voulu, ni désiré.
C’est donc un devoir religieux à l’égard de Dieu, devoir de loyauté vis-à-vis de soi-même et de vérité à l’égard du prochain, que d’exprimer avec exactitude par les formules de la prière, la conviction que suscite, nourrit et justifie l’instinct de la très sainte Foi.
Il n’est cohérent, ni rationnellement ni encore moins théologalement, d’une part de résister au pape, et d’autre part de proclamer, lorsque comme il se doit on prie pour lui, quels sont les fondements de la soumission qui lui est due. Il faut, ou bien obéir en faisant état de ce qui impère le devoir de le faire, ou bien n’en pas faire état si on estime que ce devoir n’existe plus. “Ou bien, ou bien” : l’un ou l’autre ; non pas : l’un et l’autre. Nul d’ailleurs n’a expliqué comment le fameux “droit de désobéir” est compatible avec la saine métaphysique.
(P. Guérard des Lauriers, Lex orandi, Lex credendi, prions pour le Pape. Cahiers de Cassiciacum, n. 1, p. 33)
Verrua Savoia, 24 juin 2017
Abbé Giuseppe Murro