L’Ave Maria par saint Thomas d’Aquin (II)

Explication de la salutation de l’ange Gabriel

Pleine de grâce

5. – Premièrement, la Bienheureuse Vierge surpassa tous les Anges, par sa plénitude de grâce.

Pour manifester cette prééminence, l’Archange Gabriel s’inclina devant elle et lui adressa ces paroles : Vous êtes pleine de grâce, ce qui revenait à lui dire : Je vous révère, parce que vous me surpassez par votre plénitude de grâce.

6. – On peut envisager la plénitude de grâce de la Bienheureuse Vierge de trois manières.

En premier lieu, son âme possède toute la plénitude de la grâce.

Dieu donne la grâce pour deux motifs, à savoir pour faire le bien et pour éviter le mal.

À ce double point de vue, la Bienheureuse Vierge fut favorisée de la grâce la plus parfaite.

Car elle évita le péché, mieux que tout autre saint, après le Christ.

[Le péché, en effet, est, ou originel, et elle fut pure dès le sein de sa mère, ou mortel ou véniel, et elle fut exempte de ceux-ci]. (1)

Aussi est-il dit à son sujet dans le Cantique des Cantiques (4, 7) : Vous êtes toute belle, mon amie, et sans tache aucune.

« Hormis la Sainte Vierge, dit saint Augustin dans son livre de la nature et de la grâce, tous les saints et les saintes, durant leur vie terrestre à la question suivante : « êtes-vous sans péché ? » se seraient écriés d’une voix unanime : « Si nous disions : Nous sommes sans péché (cf. 1 Jn 1, 8), nous nous tromperions nous-mêmes et la vérité ne serait pas en nous. » La Vierge sainte, elle, fait exception. Pour l’honneur du Seigneur, quand il s’agit du péché, je veux qu’il ne soit jamais question d’Elle. Nous le savons en effet, à elle il fut donné une grâce plus abondante pour triompher complètement du péché. Elle mérita de concevoir Celui qui assurément ne fut souillé d’aucune faute. »

[Mais Jésus-Christ l’a emporté sur la bienheureuse Vierge, en ce qu’il a été conçu et qu’il est né sans le péché originel ; pour la bienheureuse Vierge, elle a été conçue dans le péché originel, mais elle n’est pas née en lui]. (1)

7. – La Vierge accomplit également les œuvres de toutes les vertus.

Les autres saints excellèrent en quelques-unes d’entre elles. Celui-ci fut humble, celui-là fut chaste, cet autre miséricordieux. Aussi les offre-t-on comme modèles de ces vertus particulières. Par exemple, on présente saint Nicolas comme modèle de la miséricorde.

Mais la Bienheureuse Vierge, elle, est le modèle et l’exemplaire de toutes les vertus. En Elle, vous trouvez un modèle d’humilité. Écoutez ses paroles (Luc 1, 38) : Voici la servante du Seigneur. Et encore (Luc 1, 48) : Le Seigneur a regardé la bassesse de sa servante. Elle est aussi un modèle de chasteté ; de son propre aveu en effet elle ne connaît pas d’homme (cf. Luc 1, 34). Et comme il est facile de le constater, elle donne l’exemple de toutes les vertus.

La Bienheureuse Vierge est donc pleine de grâce et pour faire le bien et pour éviter le mal.

8. – En deuxième lieu, la plénitude de grâce de la Vierge sainte se manifeste dans le rejaillissement de la grâce de son âme sur sa chair et sur tout son corps.

Que les saints jouissent d’une grâce suffisante pour la sanctification de leur âme, c’est déjà un grand bienfait.

Mais l’âme de la Bienheureuse Marie, elle, possède une plénitude de grâce telle qu’elle rejaillit de son âme sur sa chair, et que, de cette même chair, elle conçut le Fils de Dieu.

« Parce que l’amour du Saint-Esprit, dit Hugues de Saint-Victor, brûlait dans le cœur de la Vierge avec une ardeur singulière, il opérait clans sa chair des merveilles si grandes, que d’Elle naquit un Homme-Dieu, conformément au message de l’Ange à cette Vierge sainte (Luc 1, 35) : Un Enfant saint naîtra de vous et sera appelé Fils de Dieu.

9. – En troisième lieu, la Bienheureuse Vierge fut pleine de grâce, au point de répandre de sa plénitude sur tous les hommes.

Que chacun des saints possède une grâce suffisante au salut de beaucoup d’hommes, c’est chose considérable. Mais si un saint était doté d’une grâce capable de sauver toute l’humanité, il jouirait d’une abondance de grâce insurpassable.

Or une telle plénitude existe dans le Christ et dans la Bienheureuse Vierge.

En tout péril, en effet, vous pouvez obtenir le salut de cette glorieuse Vierge. C’est pourquoi l’Époux, dans le Cantique des Cantiques (4, 4), lui chante : Votre cou est pareil à la tour de David, bâtie pour serrer les armes ; mille boucliers, c’est-à-dire mille remèdes contre les dangers, y sont suspendus.

En toute action vertueuse également, vous pouvez bénéficier de son aide. Car en moi, dit-elle, vous trouverez toute l’espérance de la vie et de la vertu (Ecclésiastique 24, 25).


Notes :

1) Nous devons ici nous distancer de saint Thomas. En effet, le 8 décembre 1854, dans la constitution apostolique Ineffabilis Deus, le Pape Pie IX a défini le dogme de l’Immaculée Conception : « Nous déclarons, Nous prononçons et définissons que la doctrine qui enseigne que la Bienheureuse Vierge Marie, dans le premier instant de sa Conception, a été, par une grâce et un privilège spécial du Dieu Tout-Puissant, en vue des mérites de Jésus-Christ, Sauveur du genre humain, préservée et exempte de toute tache du péché originel, est révélée de Dieu, et par conséquent qu’elle doit être crue fermement et constamment par tous les fidèles ».