De Bergame à Rome (1914-1925)
(Extrait de la revue Sodalitium n. 24 de mars 1991 pp. 13 sqq.)
Par M. l’Abbé Francesco Ricossa
Atmosphère viciée à Bergame
Le 10 décembre 1918, comme nous l’avons vu, le sergent Roncalli quittait l’uniforme et reprenait les vêtements de don Roncalli.
Depuis 1914, cependant, beaucoup de choses avaient changé. Mgr Radini Tedeschi était mort ( il avait écrit sa biographie en 1916 ) , Roncalli retournait dans son diocèse, mais il n’était plus le secrétaire influent et omniprésent de l’évêque. Déjà en 1914, Radini décédé, l’ex-secrétaire, inquiet de la nouvelle situation avait interrompu la retraite prêchée par l’évêque de Bobbio, Mgr Marelli, pour se précipiter à Milan et s’entretenir avec le Cardinal Ferrari de la « nouvelle situation » (1).
Le Cardinal le réconforta, nous ne savons pas avec quels arguments ; assurément, pour tous les deux, la mort de S. Pie X avait signifié la fin de toute préoccupation !
Ceci étant, le nouvel évêque de Bergame, précisément ce Mgr Luigi Maria Marelli, déplacé de Bobbio à Bergame en 1915, ne rassurait pas Roncalli. « Prélat très digne », certes, « mais avec une vision différente des hommes et des choses… son attention était tournée davantage vers l’éducation chrétienne du peuple que vers les problèmes sociaux et les questions politiques » : ainsi nous le décrit un « hagiographe » de Jean XXIII (2) . Don Roncalli « n’approuve pas sans réserves son évêque. Luigi Marelli est bon et animé des meilleures intentions, mais « il ne comprend pas certaines situations et n’a pas le courage de poser les actes qui lui feraient tant d’honneur ; il s’égare et renonce » (3) . Ces réflexions datent de février 1919. Deux mois plus tard, Roncalli dit de Marelli qu’ « il a peur » , qu’il « se méfie de toute nouveauté » » (4).
Et pourtant, le pauvre évêque lui laisse la chaire au séminaire ( alors qu’en 1914 il hésitait ), et le nomme directeur spirituel de ce même séminaire ( 9 juin 1919 ) malgré l’activité qu’il a déjà comme directeur du « Foyer de l’Étudiant ». Mais celui qui écrit « Les honneurs, les distinctions, même dans le monde ecclésiastique, sont vanitas vanitatum » (5) , et qui dit renoncer « au phantasme que mon amour-propre pourrait me présenter en fait d’honneurs, de postes etc… » (6) nous apparaît visiblement mal à l’aise de ne plus jouir du même prestige qu’auparavant, au point que les hagiographes de sa jeunesse écrivent tout simplement qu’en cette période, il fut ( le pauvre ! ) « mis à l’écart par le nouvel évêque » (7).
En somme, la ville de Bergame est devenue trop petite pour l’ambitieux ex-secrétaire de l’aristocrate Radini Tedeschi, et son regard se tourne désormais vers Milan et Rome.
Le Foyer de l’Étudiant
Si avec Mgr Marelli, il se sent mis à l’écart, il n’en est pas de même avec l’archevêque de Milan, Ferrari, dont il reçoit conseils et encouragements.
La charge de directeur du « Foyer de l’Étudiant » ( Casa dello Studente ) à Bergame, le rapproche de la jeunesse au moment où à Milan on pense créer une Université Catholique ( février 1919 ) sur le modèle de Louvain. Le modèle d’école qu’impose Roncalli est de type libéral, comme on peut le déduire des critiques qu’il adresse à l’enseignement des jésuites : « Tout dans l’atmosphère me semble excessif et sombre. Le ton même des devoirs présentés par les étudiants me semble exagérément agressif ; toujours le fouet à la main, toujours l’esprit d’Élie, très peu celui du Sacré-Cœur. Si certains de nos adversaires avaient été présents, je doute fort qu’ils en soient sortis convaincus ou attirés vers nous. Voilà qui ne me paraît guère être la perfection » (8).
Ainsi, Élie n’est pas un Saint ? Sans doute n’était-il pas aux côtés de Jésus à la Transfiguration (Matt. XVII,3 ; Mc. IX,3 ; Lc. IX,30) ? Et Saint Jean-Baptiste, précurseur du Seigneur, n’était donc pas un autre Élie (Matt. XVII,11-13) ? Et le Christ Lui-même n’usa-t-il pas en quelque sorte du fouet des paroles contre les pharisiens et d’un fouet de cordes contre les marchands du temple ? Le Sacré-Cœur que présentait aux jeunes gens le Professeur Roncalli était en réalité une image de lui-même, Roncalli : non un chrétien, mais un démocrate chrétien.
Membre du Parti Populaire Italien ( « Pipino », i.e. membre du PPI )
En effet, don Roncalli était de toute évidence un pipino c’est-à-dire un sympathisant du parti populaire fondé par le prêtre de Caltagirone, don Sturzo, dans l’immédiat après-guerre ( 1919 ) . Bien plus, écrit Hebblethwaite, il en fut « dès le début un sympathisant enthousiaste » (9) .
Sympathie « naturelle » parce que sa famille espérait y gagner avec la « réforme agraire » prônée par le nouveau parti (10) chez lequel, à l’époque de sa première audience avec Benoît XV ( novembre 1919 ) , Roncalli vit « la revendication de l’esprit chrétien dans la chose publique » (11) . Popolare de la première heure ( élections du 16/11/1919 ) notre Roncalli le fut aussi de la dernière, recommandant, dans des lettres du 24 février et du 4 avril 1924, à sa famille le vote démocrate-chrétien aux dernières élections ( 6/4/1924 ) permises par le gouvernement de Mussolini (12) . Mais désormais le PPI, qui avait pu voir le jour dans le climat du précédent pontificat ( Benoît XV ) , n’avait plus d’avenir ( pour le moment ! ) après que don Sturzo eut été contraint de démissionner ( 1923 ) à l’époque où Pie XI préparait le concordat avec Mussolini.
Pour ne point ennuyer le lecteur, je le renvoie dans ce même sodalitium, à l’article dédié à Frassati (12 bis) ; nous y soulignons plusieurs fois l’incompatibilité entre la doctrine catholique et la doctrine démocrate-chrétienne du parti de don Sturzo et de Gasperi, doctrine qui était contraire à celle du Motu Proprio « Sin dalla Prima » de St. Pie X ( 18/12/1903 ) et qui fut aussitôt condamnée par l’élite de l’épiscopat italien ( lettre pastorale de l’archevêque de Gênes, du 5/8/1920 ). Aussi bien Gramsci que don Sturzo reconnaissaient en outre que la D.C. reprenait le programme du moderniste don Murri, excommunié par St. Pie X. L’attitude politique de Roncalli, par conséquent, ne fait que confirmer son philo-modernisme…
Mais il y a plus. Si le mouvement « populaire » de don Roncalli s’acheva en 1924, l’Église en subit encore aujourd’hui les conséquences.
C’est en effet l’idée commune démocrate-chrétienne qui rapprochera, pour unir ensuite en une intime amitié, Roncalli et Montini.
En 1924, « le Vatican abandonne les Popolari…. Roncalli rencontre pour la première fois Jean-Baptiste Montini, le futur Paul VI. Le père de J.B. Montini, Giorgio, était rédacteur en chef d’Il Cittadino di Brescia et député du PPI… Tout ce milieu, plus cultivé et plus raffiné que tout ce que Roncalli avait pu connaître jusqu’alors, est massivement antifascite. Montini se sent des affinités avec Roncalli, va le voir et l’invite à parler à ses étudiants. Ce fut leur premier vrai contact. Au cours des trente années suivantes, ils deviendront de bons amis » (13) . Cette amitié ouvrira à Montini, en 1963, la route de l’occupation du Siège Pontifical…
Marche sur Rome
L’analyse des sympathies politiques de Roncalli de 1919 à 1924, nous a déjà préparés au changement de scénario ; après Bergame, Rome. En effet, entre-temps, le 16 décembre 1920 très exactement, le Cardinal hollandais Van Rossum, Préfet de la Congrégation de la Propaganda Fide ( Missions ), avait proposé don Roncalli à la présidence du Conseil central de la Propaganda Fide pour l’Italie, avec comme objectif la réorganisation des œuvres missionnaires dans les diocèses italiens. Roncalli demande conseil à son nouveau père spirituel, le Cardinal Ferrari, miné par le cancer. « La volonté de Dieu est plus que manifeste, le pape « rouge » ( le Préfet de la Propaganda ) est l’écho du pape « blanc » ; ceci vient de Dieu…» (14).
La réponse de l’archevêque de Milan ( qui n’émet plus, à l’égard des papes « blancs », « rouges » ou d’autres couleurs les réserves rancunières qu’il montrait quelques années auparavant, sous un pape saint ) incite Roncalli à partir pour Rome où il débarque le 17 janvier de l’année suivante.
Il deviendra Président du Conseil central romain de la Pia Opera « Propaganda Fide » ( 12/11/1921 ) , sera reçu une nouvelle fois en audience par Benoît XV ( 28/3/1921 ) et nommé « Monsignore » ( avril de la même année ) . Il ne délaissera pas complètement l’enseignement, donnant quelques cours de Patrologie au Latran.
A ce stade, le lecteur se demandera comment il est possible qu’un professeur de séminaire suspect de modernisme et destiné à connaître la même fin que ses prédécesseurs en 1914 ( à savoir être destitué de sa charge ) , se retrouve installé à la Curie Romaine en 1921.
Certes il s’était fait connaître en organisant le Sixième Congrès Eucharistique National à Bergame en septembre 1920 et en se présentant à tout bout de champ comme l’héritier moral et spirituel du défunt Radini Tedeschi.
Mais justement, en 1914, c’était précisément sa collaboration avec Mgr Radini qui ne lui attirait pas les sympathies des collaborateurs de St Pie X.
Mais, comme je l’ai écrit au début de cet article, depuis 1914, beaucoup de choses se trouvaient changées. Si à Bergame il n’y avait plus Radini, à Rome ne se trouvaient plus St Pie X et son Secrétaire d’État Merry del Val, mais Benoît XV et le Card. Gasparri.
Sans ce changement décisif, ni Roncalli de Bergame ni Montini de Brescia, n’auraient pu venir à Rome, presque en même temps, pour s’infiltrer peu à peu dans les organes vitaux de l’Église.
Mgr. Della Chiesa
Faisons le point.
Ordonné prêtre le 29 mai 1920, Jean-Baptiste Montini se rend à Rome où il est reçu en audience par Benoît XV. Il retourne à Rome le 10 novembre de la même année afin d’y poursuivre des études universitaires et trouver bien vite une place à occuper à la Curie (15) . Le 16 décembre, Roncalli est nommé, comme nous l’avons vu, à la Propaganda Fide, et arrive à Rome le 17 janvier. C’est à Rome que les deux âmes jumelles se rencontrent. Tous deux furent reçus en audience par Benoît XV en 1920.
Or, notre habituel Hebblethwaite écrit : « Roncalli a eu des audiences avec tous les papes du XXèsiècle. C’est Benoît XV qu’il trouva le plus sympathique » (16) . On ne pouvait en dire autant d’une rencontre advenue dans le passé avec S. Pie X (17) . Tâchons de découvrir les motifs de cette sympathie, après la précédente antipathie.
Giacomo Della Chiesa, futur Benoît XV, naquit à Gênes de noble famille en 1854. Entré dans les Ordres Sacrés, il devint de 1901 à 1907 le « collaborateur préféré » (18) du secrétaire d’État de Léon XIII, le Card. Rampolla del Tindaro, dont j’ai déjà parlé dans la première partie (19) , en rappelant que Mgr Radini Tedeschi était un « homme de Rampolla » (20) . Voici un premier point de contact, une ascendance spirituelle commune, entre Roncalli et Della Chiesa.
En 1907, St. Pie X le nomma évêque de Bologne pour succéder à un autre prélat philo-libéral, le Card. Svampa (21) . Sur la Chaire de St Pétronius, Mgr Della Chiesa suivit les traces de son prédécesseur dont les idées alimentèrent une polémique avec la presse intégriste soutenue par St Pie X. Si don De Töth attaquait l’évêque de Bologne ( ainsi que ceux de Pise, Milan, Bergame etc…) dans les colonnes de L’Unità Cattolicà (22) , le Prélat répondait en se plaignant au Vatican que « les Évêques et les meilleurs Prêtres ont une pénible impression en voyant les condamnations du Saint-Siège arriver après les critiques et les censures de L’Unità Cattolicà » et il proposait ironiquement pour son directeur le poste de » consulteur général de l’Index » (23) . Mais, alors que St. Pie X reprochait à De Töth son manque de respect, Mgr Della Chiesa ne voulut pas tirer leçon de cette identité de vues entre les intégristes et St. Pie X, et que lui-même dénonçait.
On comprend dès lors comment, jusqu’à 1914, fut renvoyée son élévation au Cardinalat, qui pourtant était traditionnellement accordée aux évêques de Bologne. Dans une note écrite en 1913, en vue d’un prochain conclave, Mgr Benigni examinait les cardinaux de l’époque ainsi que vingt-cinq prélats candidats à la pourpre. Parmi eux, dix seront effectivement désignés l’année suivante. « Parmi les quatre noms écartés, on en note un : celui de Della Chiesa, archevêque de Bologne depuis 1907, l’élu du conclave suivant. Qu’il fût pour les intégristes l’indésirable de la part duquel il y avait tout à craindre, n’explique pas cette omission. Benigni devait avoir alors une bonne raison pour juger exclue à ce moment-là l’élévation à la pourpre de celui qui était appelé : l’homme éliminé par Merry del Val ( Lettre du Marquis Filippo Crispolti à sa femme, Rome, 3 septembre 1914, dans : Vita Sociale, février 1967 p. 231 ) » (24) . Cas analogue à celui de Montini qui, évêque de Milan, ne fut pas créé Cardinal par Pie XII. Avec la différence que St Pie X créa Della Chiesa Cardinal, dans son dernier consistoire, le 25 mai 1914. L’allocution que tint St Pie X à cette occasion est peut-être le texte le plus percutant du Saint, au point d’avoir été défini comme son testament (25) : il mériterait d’être relu et republié. « J’ai parlé clairement et, en épousant la cause des intégristes, j’ai expressément mis l’accent sur la foi intégrale » , dira Pie X au baron Von Pastor, reçu en audience privée le 30 mai. Et le lendemain, Pastor notera dans son journal : « L’allocution du 27 mai est un avertissement clair à tous les évêques qui se sont prononcés contre la tendance intégriste…» (25) , et nombre d’entre eux, comme Della Chiesa, étaient présents, écoutant le Pape, sans docilité et avec impatience.
Le désir qu’avait la majorité du Sacré-Collège, de changer d’orientation, s’exprima avec un conclave où furent en lice deux candidats de la même tendance, Maffi et Della Chiesa. Della Chiesa qui sortit vainqueur, prit le nom de Benoît, en l’honneur du dernier évêque de Bologne élu Pape, et portant le même nom ( l’hypothèse d’Hebblethwaite se référant au « saint » de Fogazzaro qui s’appelait lui aussi Benoît, me semble exagérée ). Cette élection est définie par Hebblethwaite comme « une insulte à la mémoire de Pie X » (26) . Si on ne peut parler d’insulte, certes il s’agit d’un changement d’orientation important, tragique même avec le recul : « L’élection de Benoît XV – commentait favorablement un contemporain – a donné une nouvelle orientation à l’Église » (27).
Tant de faits petits et grands le confirment. Pour revenir à notre sujet, « l’élection de Benoît XV contribuera à consoler Roncalli de la mort de Radini Tedeschi. Della Chiesa avait une grande estime pour Radini Tedeschi et l’avait jugé « digne de devenir Pape » (28) » . Roncalli ne se trompait pas.
Avec sa première encyclique ( Ad Beatissimi, 1/11/1914 ) le nouveau Pape condamne à son tour le modernisme, « son esprit et ses tendances » tandis que, quoi qu’on en dise, il ne condamne et ne cite même pas l’intégrisme. Il va de soi que, catholiques, nous adhérons pleinement au magistère de Benoît XV comme à celui de St Pie X. Mais l’invitation à éviter les discordes entre catholiques, et à ne pas ajouter d’autres dénominations à ce terme fut considéré implicitement comme « l’acte de mort de cet intégrisme « turbulent » » ( Cardinal Mercier ) (29) . D’un point de vue de Magistère officiel, il s’agit d’une calomnie ; pratiquement et historiquement, ce fut la vérité. Un mémoire contre l’intégrisme, écrit par Mgr Mignot, évêque d’Albi en octobre 1914, trouve audience auprès du secrétariat d’État, autrement dit auprès du Card. Gasparri. La chose témoigne en faveur de ce dernier, puisque Mignot était « l’Érasme du modernisme » et « soutint à la limite du possible ceux qui, comme Loisy, lui semblaient préparer l’avenir » (30) . Comment donner crédit à une taupe du modernisme, fut-il évêque ? En outre, Gasparri, suspect lui aussi de contacts maçonniques (31) , manifesta son hostilité à St Pie X, non seulement en demandant et obtenant la dissolution du Sodalitium Pianum le 25 novembre 1921, mais en témoignant franchement contre lui ( qui l’avait créé Cardinal ) au procès de béatification de 1928 (32) . La nomination de Gasparri ( après Ferrata ) au Secrétariat d’État en lieu et place de Merry del Val est donc un autre signe du nouveau climat sous Benoît XV. De façon générale, les hommes loués par St Pie X sont oubliés sous Benoît XV, et vice-versa. Voyons en quelques exemples.
« Pie X n’avait pas hésité à supprimer la subvention accordée par Léon XIII à Bessarion, revue d’érudits d’inspiration œcuménique, dirigée par Mgr. Niccolo Marini que Benoît XV fera Cardinal et préfet de la nouvelle Congrégation orientale » (33) .
La revue « Roma » qui défendait les idées intégristes en Hollande est supprimée (34) . Plus grave encore : le père Anizan, destitué par St Pie X de son poste de supérieur général des frères de St Vincent de Paul, avait abandonné l’ordre avec 250 confrères ; Benoît XV leur permit, en 1918, de fonder une nouvelle congrégation, les Fils de la Charité. Cet état de choses est décrit de façon enthousiaste par un philo-moderniste ( le père Genocchi ) dans une lettre à un protestant moderniste ( Sabatier ) ; datée du 28 décembre 1914 : « Nous voyons déjà quelques bons effets de la sagesse du nouveau Pape, qui ne veut surtout rien conserver de cet aspect d’iconoclaste du précédent pontificat. On respire mieux : les intellectuels se rendent compte déjà que leur titre d’intellectuels ne sera plus une mauvaise référence. Mgr Duchesne n’est plus la bête noire de naguère. Don Lanzoni, notre hagiographe de Faenza, a été fait prélat. D’autres victimes du fanatisme et de la folie ( requiescant le Card. Vives et le père Pio de Langogne ! ) ont été réhabilitées ou vont l’être (…). Voyez aussi les paroles charitables que le Pape a toujours pour les non-catholiques… » (35) .
Voilà le climat de réhabilitation dont profite Roncalli lui-même ! Et puisqu’on a cité don Lanzoni, je rappelle qu’il fut le négateur de l’authenticité johannique du quatrième Évangile et le démolisseur volontaire des traditions ecclésiastiques ; tombé en disgrâce sous St Pie X et fait « monseigneur » par son successeur, il reçut les louanges officielles de Jean XXIII ( Chirographe du 10/5/1963 sur l’œuvre et les mérites de don Francesco Lanzoni ) , lequel Jean XXIII confessa avoir été son imitateur dans les études historiques.
« En confrontant le langage roncallien de 1963 avec celui de la Curie des années 1908-10, il est impossible ne pas remarquer le contraste criant survenu en l’espace d’un demi-siècle. On est confronté à deux jugements diamétralement opposés, issus du même sommet hiérarchique et sur la personne et sur l’activité scientifique de ce même don Lanzoni même, lui que déjà Benoît XV avait inutilement tenté de réhabiliter, après la disparition de Pie X » (36) .
Pour éclairer davantage le lecteur, précisons que par la suite, Lanzoni lui-même révéla dans son journal ( noté en 1957 ) avoir subi une crise, « laquelle consista dans la perte de Dieu, c’est-à-dire dans l’absence de foi pendant la période qui va de 1896 à 1922 » !!! . Et durant cette période il écrivait sur des sujets de religion, inspirait Roncalli et devenait prélat… (37) .
La politique de Benoît XV fut prévoyante en ce qu’elle chercha la paix et tenta d’éviter l’écroulement complet de l’Empire autrichien durant la première guerre mondiale, ce en quoi elle fut empêchée par la maçonnerie internationale. Elle fut moins prévoyante d’avoir « vidé les coffres du Vatican, entre autres pour apporter une aide « humanitaire » à la Russie soviétique » (38) . Quant à l’après-guerre, certains soutiennent que Benoît XV approuva la lettre pastorale contre le Partito Popolare de don Sturzo (39) ; mais d’autres révèlent qu’il ne s’opposa pas à la naissance et l’existence d’un parti politique fondé par des catholiques démocrates, chose qui aurait été impossible sous St Pie X (40) . Benoît XV meurt le 22 janvier 1922 et « pour la première fois depuis 1870, les drapeaux des édifices gouvernementaux sont mis en berne » (41) .
Pour conclure ce long mais, à mon avis, nécessaire excursus sur Della Chiesa, devenu par la suite Benoît XV, je veux renouveler mon entière soumission à ce pape catholique. J’ai mis en évidence ses défaillances humaines et des tendances qui expliquent le changement opéré avec la mort de St Pie X. Une chose est, en effet, l’immuable enseignement papal, et une autre, la ligne politique et pratique, sujette aux changements, des différents pontificats. Connaissant la suite de l’Histoire contemporaine, nous pouvons dire avec certitude que, le Conclave de 1914, a ouvert ( inconsciemment ) aux ennemis de l’Église, les portes, barricadées par le dernier Pape saint.
Notes :
- Hebblethwaite, op.cit . p.95.
- Paolo Tanzella s.c.j. Papa Giovanni, Ed.Dehoniane Andria, 1973 – p.76.
- Jean XXIII, Memorie e appunti 1919, in Humanitas n°6 – juin 1973 – p.432.
- Hebblethwaite, op.cit . p.112.
- Jean XXIII, Journal de l’âme – op.cit., année 1919.
- Jean XXIII, Journal de l’âme – op.cit. 27/9 – 3/10/1914.
- Giovanni Spinelli. Article : Jean XXIII, in Bibliotheca Sanctorum, Prima Appendice, Città editrice, Rome 1987, col.577.
- Jean XXIII, Memorie… op.cit . p.451.
- Hebblethwaite, op.cit . p.132.
- Hebblethwaite, op.cit . p.109.
- Jean XXIII, Memorie… op.cit . p.470.
- Jean XXIII, Lettres à la famille, aux soins d’Emmanuel et Marco Roncalli, éd. Rusconi Milan 1989.
bis : Pier Giorgio Frassati fut proclamé vénérable en octobre 1987 et bienheureux en mai 1990 par Jean Paul II après la « réintroduction » de sa cause faite en juin 1978 par Paul VI. Pourtant à ce sujet l’Eglise, en la personne de Pie XII, s’est déjà prononcée : non seulement elle a décidé l’abandon du dossier en juin 1944 mais elle a encore émis un jugement négatif décisif en janvier 1945. Ce dernier jugement fut porté principalement pour deux motifs : l’absence de vertus héroïques et la présence de défauts incompatibles avec la sainteté, entre autres, le fait d’avoir été un pipino, un militant du fameux P.P.I. dont la doctrine fut condamnée par St Pie X en décembre 1903. - Hebblethwaite, op.cit , pp.128-9.
- Hebblethwaite, op.cit . p.119.
- Jean-Baptiste Montini Paul VI, Lettere a Casa (1915-1943), Ed. Rusconi Milano
1987 – pp.49,51,54. - Hebblethwaite, op.cit . p. 114.
- Cf. Sodalitium n°23 – p.15.
- Poulat, Intégrisme… op.cit . p.331.
- Cf. Sodalitium n°22 – p.16.
- Cf. Sodalitum n°22 – p.21 note21.
- Le Card. Svampa était ami de l’historien moderniste Lanzoni, qui lui dédia un de ses ouvrages sur S.Petronio. Le Card. Svampa étant décédé, le Card. Della Chiesa envoya pour ce même livre un télégramme de félicitations à Lanzoni qui, à Rome, était au cœur du problème. Cf. Lorenzo Bedeschi, Lineamenti dell’Antimodernismo. Il caso Lanzoni, Ed. Guanda. Parma 1970 – p.16.
- Poulat, Intégrisme… op.cit . p.434.
- Poulat, Intégrisme… op.cit . p.433.
- Poulat, Intégrisme… op.cit . p.329-331.
- Poulat, Intégrisme… op.cit . p.455-457.
- Hebblethwaite, op.cit . p.93-94.
- P. Imbart de la Tour, La Neutralité pontificale, Revue Bleue, 22 mai-5 juin 1915 – pp-197-203, in Poulat, op.cit . p.546.
- Hebblethwaite, op.cit . p.94.
- Poulat, op.cit . p.600.
- Poulat, op.cit . p.515-520.
- G. Vannoni, Massoneria, Fascismo e Chiesa Cattolica, Ed. Laterza Bari
1979 – pp. 168–9. - Poulat, op.cit . p.521.
- Poulat, op.cit . p 66.
- Poulat, op.cit . p.247.
- Poulat, op.cit . p.601.
- Bedeschi, op.cit . pp.2-3.
- Bedeschi, op.cit . p.125.
- Hebblethwaite, op.cit . pp.106 et 123.
- E. Innocenti, Dottrina Sociale della Chiesa – IIa parte, Istituto Padano di Arti Grafiche. Rovigo 1980 – p.155.
- Hebblethwaite, op.cit . p.123.
- Hebblethwaite, ibidem.