Le Pater par saint Thomas d’Aquin (X)

Mais délivrez-nous du mal. Amen.

88. – Dans les deux demandes précédentes, le Seigneur nous apprend à implorer le pardon de nos péchés, et il nous montre comment échapper aux tentations. Ici, il nous enseigne à demander d’être préservés du mal.

Cette demande est générale. D’après saint Augustin, elle vise les différentes espèces de maux, à savoir les péchés, les maladies, les afflictions. Nous avons déjà parlé du péché et de la tentation ; il nous reste à traiter des autres catégories de maux, c’est-à-dire de toutes les adversités et afflictions de ce monde.

De ces adversités et de ces afflictions, Dieu nous délivre de quatre manières.

89. – En premier lieu, Dieu délivre l’homme de l’affliction, quand il écarte celle-ci de lui ; cela, il le fait rarement. Dans ce monde, en effet, les saints sont affligés. Tous ceux, dit saint Paul (2 Tim., 3, 12), qui veulent vivre pieusement dans le Christ Jésus connaîtront la persécution.

Cependant, Dieu accorde parfois à tel ou tel de n’être pas affligé par le mal. Quand, en effet, il le sait incapable de supporter l’épreuve, il agit comme un médecin, qui évite de donner à un grand malade des médecines violentes. Voici, dit le Seigneur (Apoc., 3, 8), que j’ai mis devant toi une porte ouverte, que nul ne peut fermer, et ce, à cause de ton défaut de vigueur ?

Dans la patrie céleste, il en va tout autrement. Nul n’y est affligé. C’est la loi générale pour tous les élus. Ils n’auront plus faim, ils n’auront plus soif, est-il dit dans l’Apocalypse (7, 16-17), et jamais ne les accablera le soleil ni aucun vent brûlant. Car l’Agneau qui est au milieu du trône les fera paître et les conduira aux sources des eaux de la vie. Et Dieu essuiera toute larme de leurs yeux.

90. – En second lieu, Dieu nous délivre du mal par l’octroi des consolations, au temps de l’affliction. Privé de ces divines consolations, l’homme ne pourrait subsister au milieu des épreuves. Nous sommes, disait saint Paul (2 Cor., 1, 8), accablés au delà de toute mesure, au delà de nos forces, et il ajoutait (2 Cor., 7, 6) : mais Dieu nous a consolés, lui qui réconforte les humbles. Vos consolations réjouissent mon âme, chantait aussi le Psalmiste (Ps. 93, 19), à proportion des douleurs surabondantes de mon cœur.

91. – En troisième lieu, Dieu comble les affligés de tant de bienfaits qu’ils en viennent à oublier leurs maux. Après la tempête, disait Tobie (3, 22), vous ramenez le calme. Ainsi nous ne devons pas craindre les afflictions et les tribulations du monde ; elles sont en effet facilement supportables, à cause des consolations que Dieu y mêle et à cause de leur brève durée. La légère tribulation d’un moment, dit en effet saint Paul (2 Cor., 4, 17), nous prépare, au delà de toute mesure, un poids éternel de gloire ; car elle nous fait effectivement parvenir à la vie éternelle.

92. – En quatrième lieu, – et pour étendre l’idée du mal à tous les maux (n° 88) -, Dieu tire du bien de tous les maux, tentations et tribulations.

Aussi Jésus ne nous fait pas dire : Délivrez-nous de la tribulation, mais : Délivrez-nous du risque de mal véritable qu’elle porte avec elle.

Les tribulations sont en effet données aux saints pour leur bien, pour leur faire mériter la couronne de gloire ; et c’est pourquoi, loin de demander d’être délivrés des tribulations, les saints font leurs les paroles de l’Apôtre (Rom., 5, 3) : Non seulement nous nous glorifions dans l’espérance de la gloire de Dieu, mais nous nous glorifions encore dans les tribulations, sachant que la tribulation produit la constance. Et ils répètent la prière du livre de Tobie (3, 12) : Au temps de la tribulation, Dieu de nos Pères, vous pardonnez les péchés de ceux qui vous invoquent.

Dieu donc délivre l’homme du mal et de la tribulation, en transformant tribulation et mal en bien ; et c’est là le signe d’une sagesse consommée, puisqu’en effet il appartient au sage d’ordonner le mal au bien. Dieu y parvient, en donnant à l’homme la grâce d’être patient dans ses tribulations. Les autres vertus se servent des biens, mais la patience est seule à tirer profit des maux ; eux seuls donc la rendent nécessaire. C’est pourquoi sa nécessité apparaît seulement au milieu des maux, c’est-à-dire dans les adversités. Nous lisons en effet dans les Proverbes (19, 11) : La sagesse d’un homme, vous la reconnaîtrez à sa patience, qui lui fait ordonner le mal au bien.

93. – C’est pourquoi l’Esprit-Saint nous fait adresser cette demande au Père, par le don de la sagesse. Grâce à ce don, nous parvenons à la béatitude, à laquelle nous ordonne la paix. La patience, en effet, nous assure la paix dans l’adversité comme dans la prospérité. C’est pourquoi les pacifiques sont appelés fils de Dieu. Ils sont, en effet, semblables à Dieu. À eux, comme à Dieu, rien ne peut nuire, ni la prospérité, ni l’adversité. Bienheureux donc les pacifiques, ils seront appelés fils de Dieu (Mt., 5, 9).

94. – Le mot Amen est la réaffirmation générale des sept demandes de l’Oraison dominicale.