Des effets de la charité, et comment nous devons consumer notre vie dans les gémissements pour la sainte Église.
Lettre à trois dames napolitaines, ses filles spirituelles.
Au nom de Jésus crucifié et de la douce Marie
1. Très chères Mères et Filles dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir affermies dans la parfaite charité, afin que vous soyez les vraies nourrices et gouvernantes de vos âmes, parce que jamais nous ne pourrons nourrir notre prochain, si nous ne nourrissons notre âme de vraies et solides vertus ; si elle ne s’attache d’abord au sein de la divine charité, où elle trouve un lait d’une céleste douceur. Mes très chères Sœurs, il vous faut faire comme fait l’enfant qui veut du lait : il prend le sein avec sa main, y met ses lèvres, et attire le lait au moyen de la chair. Il faut faire de même, si nous voulons nourrir notre âme ; nous devons nous attacher au sein de Jésus crucifié, où est la source de la charité, et nous y puiserons le lait qui nourrit l’âme avec toutes les vertus qui en naissent, au moyen de sa chair, c’est-à-dire de son humanité ; car c’est l’humanité qui a souffert, et non la divinité. Nous ne pourrons pas prendre ce lait maternel de la charité sans souffrir. Il y a bien des manières de souffrir. Souvent, nous souffrons beaucoup des combats du démon, ou des persécutions des créatures qui nous maltraitent et nous injurient. Ce sont là des peines, mais non pour l’âme qui se nourrit sur ce doux et glorieux sein, où elle puise l’amour, et voit en Jésus crucifié l’amour ineffable que Dieu nous a montré au moyen de ce doux et tendre Fils ; et dans cet amour, elle trouve la haine du péché et de la loi mauvaise, qui combat toujours contre l’esprit.
2. Mais ce qui surpasse toutes les peines que souffre l’âme arrivée à cet amour et à cette haine, ce sont les cruels et ardents désirs qu’elle a pour le salut du monde entier. La charité la rend malade avec ceux qui sont malades, et bien portante avec ceux qui sont en santé ; elle pleure avec ceux qui pleurent, et se réjouit avec ceux qui se réjouissent : c’est-à-dire qu’elle gémit avec ceux qui gémissent dans le péché mortel, et qu’elle est heureuse avec ceux qui sont en état de grâce. Alors, elle a pris la chair de Jésus crucifié, et elle porte la Croix avec lui. Ce n’est pas une peine afflictive qui dessèche l’âme, mais une peine qui l’engraisse, parce qu’elle se plaît et s’applique à suivre sa doctrine et ses traces, et elle goûte le lait de la douceur divine. Et comment l’a-t-elle pris ? avec la bouche du saint désir. Et si elle pouvait avoir ce lait sans peine, et acquérir toutes les vertus qui reçoivent la vie de ce lait d’une ardente charité, elle ne le voudrait pas, mais elle aimerait mieux y parvenir en souffrant pour l’amour de Jésus crucifié, parce qu’il lui semble que, sous un chef couronné d’épines, il ne doit pas y avoir de membre délicat, et qu’il faut porter avec lui des épines, ne les choisissant pas à son gré, mais les recevant de son Chef. En agissant ainsi, ce n’est pas elle qui souffre, c’est son Chef, Jésus crucifié, qui souffre pour elle. Oh ! combien est douce la charité, cette douce mère ! Elle ne cherche pas son intérêt, elle ne le cherche pas pour elle, mais pour Dieu, et ce qu’elle aime, ce qu’elle désire, elle l’aime et le désire en lui et pour lui ; et hors de lui elle ne veut rien avoir. Dans toutes les positions où elle se trouve, elle emploie son temps à faire la volonté de Dieu. Si elle est séculière, elle veut être parfaite dans son état ; si elle est soumise à la vie religieuse, elle devient un ange de la terre ; elle ne souhaite, elle n’aime rien du siècle et des richesses temporelles, et elle ne veut rien posséder elle-même, parce qu’elle voit que ce serait contre le vœu de pauvreté volontaire. Dans quelque position que l’âme se trouve, elle est comme une veuve ; elle a toujours en elle la charité, et en se nourrissant sur le sein de Jésus crucifié, elle goûte le lait délicieux avec un ardent désir et une parfaite lumière, parce qu’elle a quitté les ténèbres du coupable et misérable amour-propre.
3. Voici le temps, très chères Sœurs, de se perdre soi-même, de ne plus se chercher pour soi, mais pour Dieu, d’aimer le prochain pour Dieu, et Dieu pour lui-même, parce qu’il est l’éternelle et souveraine Bonté, parce qu’il est digne d’être aimé, servi et désiré par nous. Il faut connaître en lui la vérité pour l’annoncer, la fortifier dans les cœurs des créatures raisonnables, et sans crainte servile. Voici le moment où il faut que vous et les autres serviteurs de Dieu vous vous prépariez à souffrir, pour la vérité. Cet amour, que vous avez trouvé sur le sein de Jésus crucifié, il faut le manifester à l’égard du prochain, en vous offrant devant Dieu avec amour et compassion, par des larmes, des veilles, par d’humbles et continuelles prières. Nous devons consumer notre vie dans les gémissements et la douleur, jusqu’à ce que nous voyions se dissiper les épaisses ténèbres où sont plongés ceux qui devraient donner la lumière dans le corps mystique de la sainte Église. Sacrifions donc notre vie, que nos yeux versent des torrents de larmes, et que nos désirs poussent des cris sur ces morts, afin qu’ils s’éloignent de la mort et qu’ils arrivent à la vie. Je ne vous en dis pas davantage. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.