Nécessité de faire de bonnes œuvres

Sermon de saint Jean Marie Vianney

7ème dimanche après la Pentecôte

Omnis arbor, quœ non facit fructum bonum, excidetur, et in ignem mittetur.
Tout arbre qui ne rapporte pas de bons fruits sera coupé et jeté au feu.
(S.Matth., VII, 19.)

Cette parabole, M.F., n’est pas difficile à comprendre. C’est précisément nous qui sommes cet arbre que Jésus-Christ a planté dans le sein de son Église, qu’il a cultivé par ses soins, ses travaux et ses souffrances : c’est-à-dire, qu’il nous a rendus dignes, par sa mort et sa passion, de porter des œuvres dignes d’être récompensées pendant l’éternité. Mais il nous menace de nous punir dans sa colère et de nous jeter en enfer, si nous ne faisons pas le bien, le pouvant si facilement par les mérites de sa mort et sa passion, et par l’institution de cette religion sainte, dans laquelle nous avons le grand bonheur d’être nés et nourris. De sorte, M.F., que le bon Dieu a droit d’attendre de nous que nous fassions des œuvres capables de le glorifier et de lui donner lieu de nous récompenser dans l’autre vie. Nous sommes dans ce monde comme cet arbre, dont nous parle le Psalmiste, en disant que nous devons être « comme un arbre qui est planté le long des eaux, qui produit des fruits en abondance et dans son temps, capables de réjouir son maître. » Oui, M.F., tout homme dont les actions ne sont pas bonnes, quand même elles ne seraient pas mauvaises, est au moins, aux yeux de Dieu, un arbre stérile, qui sera coupé et jeté au feu éternel. Hélas ! et combien de chrétiens qui se perdent pour ne pas bien réfléchir sur cette vérité ! Oui, M.F., voilà quelle est la vie des chrétiens, ou du moins du plus grand nombre : les uns ne passent leur temps qu’à faire des œuvres mauvaises ; les autres se contentent de n’en point faire de mauvaises, mais n’en font point de bonnes ; d’autres enfin en font de bonnes, mais qu’ils ne devraient pas faire, ou qui ne leur convenaient pas dans l’état où ils sont ; et très peu font de bonnes œuvres qui plaisent à Dieu et qui seront récompensées pendant l’éternité. Mais, pour mieux vous le faire comprendre, M.F., je vais vous montrer 1° la nécessité où nous sommes de faire des bonnes œuvres si nous voulons nous sauver ; 2° quelles sont les bonnes œuvres que le bon Dieu veut de nous, en général et en particulier.

I.

Vouloir, M.F., vous convaincre de la nécessité où nous sommes de faire de bonnes œuvres, de pratiquer les vertus qui nous conviennent dans l’état où le bon Dieu nous a placés : c’est comme si nous voulions prouver à un domestique la nécessité de faire ce que son maître attend de lui pour recevoir son gage à la fin de l’année. De même, M.F., nous savons très bien que nous tous, chrétiens et nés dans le sein de l’Église catholique, nous ne sommes sur la terre que pour faire ce qui peut glorifier le bon Dieu et lui donner lieu de nous récompenser. Si l’on reproche à ces chrétiens lâches leur indifférence et leur tiédeur dans le service de Dieu, soit dans leurs prières, soit dans la fréquentation des sacrements, ils vous répondent qu’ils ne font point de mal. Vous dites que vous ne faites point de mal, ce qui est très difficile à croire, et quand même vous ne feriez point de mal, si vous ne faites point de bien, c’est-à-dire de bonnes œuvres ; si vous ne pratiquez pas les vertus qui conviennent à votre état, vous ne laisserez pas d’être damnés. Écoutez saint Paul, qui a tant converti d’âmes à Jésus-Christ, après tout ce qu’il a fait pour contribuer à la gloire de Dieu, après une infinité de bonnes œuvres, puisque toute sa vie en a été une chaîne continuelle : « Hélas ! je crains bien qu’après avoir appris aux autres ce qu’il fallait faire pour aller au ciel, je ne sois moi-même réprouvé. » Écoutez encore saint François de Sales, cet homme dont les vertus feront l’admiration de tous les siècles : « Hélas ! s’écrie-t-il, quand je pense comment j’ai employé ce temps précieux que le bon Dieu ne m’avait donné que pour faire de bonnes œuvres, je tremble qu’il ne puisse pas me donner son éternité bienheureuse. » Disons plutôt, M.F., que c’est le langage de tous les saints. Et nous, M.F., qui n’avons ni piété, ni religion, nous osons assurer témérairement que nous ne faisons point de mal ! Mon Dieu, quel aveuglement sur notre salut ! Que de pauvres chrétiens maintenant brûlent, qui, sous prétexte qu’ils ne faisaient point de mal, ne se sont pas mis en peine de faire le bien et se sont perdus !

Oui, M.F., quand même cela serait vrai, que vous n’auriez pas ces vices grossiers, qui sont indignes d’un chrétien, et même d’une créature raisonnable ; quand même vous ne seriez pas du nombre de ces avares qui ne perdent point d’occasion pour ramasser du bien, qui ne se font point de scrupule de travailler le saint jour du dimanche et de tromper leur prochain ; quand vous ne seriez pas un ivrogne, qui, par le vin, devient moins raisonnable qu’une bête brute ; et que vous ne seriez pas non plus du nombre de ces vieux sales, infâmes impudiques, qui se traînent et se roulent dans la fange et les joies de ces sales voluptés ; si cependant, M.F., malgré cela, vous ne faites pas de bonnes œuvres, vous n’entrerez jamais dans le royaume des cieux, parce que vous savez aussi bien que moi que, pour aller au ciel, il faut nécessairement bien faire deux choses : éviter le mal, et faire le bien. Remplir une de ces obligations et manquer à l’autre, ce n’est rien faire. Comme, par exemple : si vous faites de grandes pénitences ; que vous donniez beaucoup aux pauvres, cela est très bien ; mais si, avec cela, vous n’évitez pas le mal que vous pouvez ; si vous entretenez dans votre cœur des sentiments de haine, de vengeance contre votre prochain ; si vous médisez contre lui ; si vous le jugez témérairement ; si vous laissez traîner les sentiments de votre cœur dans les sales pensées d’impureté et d’orgueil, toutes vos bonnes œuvres ne sont rien, parce qu’un seul péché détruit tout le mérite de ce bien que vous venez de faire. D’un autre côté, quand vous seriez bien réglé dans vos mœurs, ne faisant tort à personne, évitant le mal autant que vous le pouvez, si, avec tout cela, vous ne pratiquez pas le bien, vous ne faites que la moitié de ce que vous devez faire, et, d’après Jésus-Christ lui-même, vous ne laisserez pas d’être damnés.

Mais, M.F., si vous voulez vous convaincre, de manière à ne pas pouvoir en douter, que, malgré que nous ne fassions pas de mal, si nous ne faisons pas le bien, nous serons tout de même perdus ; écoutez Jésus-Christ qui ne fait porter son jugement uniquement que sur l’omission des bonnes œuvres que nous aurions dû faire pendant notre vie. « Retirez-vous de moi, maudits ! allez au feu éternel, qui est préparé au démon et à ceux qui l’ont imité. J’ai eu faim et soif, vous ne m’avez pas donné à manger ni à boire ; j’ai été malade et prisonnier et vous ne m’êtes pas venu visiter ; j’ai été nu, et vous ne m’avez pas vêtu. » Saint Augustin nous dit que c’est comme si Jésus-Christ nous disait : « Non, non, malheureux pécheurs, ce n’est pas seulement pour le sujet que vous croyez que je vous condamne, non pas même pour avoir commis de grands crimes ; car, si vous aviez fait de bonnes œuvres, par là vous les auriez effacé et si vous aviez racheté vos péchés par l’aumône, comme vous l’auriez pu, je ne vous aurais jamais condamné. Mais, parce que vous avez négligé de faire de bonnes œuvres, et que vous n’avez pas fait le bien que je voulais de vous, je vous réprouve et vous condamne aux flammes éternelles. Allez, malheureux, vous viviez sans faire de bien, retirez-vous de moi ; jamais vous ne verrez ma face, qui aurait fait tout votre bonheur dans le ciel. » Voulez-vous encore une autre preuve qui nous montre, comme l’on ne peut pas mieux, la nécessité de faire de bonnes œuvres pour aller au ciel, écoutez Jésus-Christ : « Venez, les bénis de mon Père, prendre possession du royaume qui vous a été préparé dès le commencement du monde ; car j’ai eu faim, et vous m’avez donné à manger ; j’ai eu soif, et vous m’avez donne à boire ; j’ai été en prison et malade, et vous m’avez visité ; j’ai été nu, et vous avez eu la charité de me couvrir. »

Que devons-nous conclure de tout cela, M.F. ? Rien autre, si ce n’est que, si nous ne faisons pas de bonnes œuvres, quand même nous ne ferions point de mal, nous ne laisserons pas que d’être perdus. Aussi, voyons-nous que notre divin Sauveur nous compare, tantôt à un laboureur qui sème pour recueillir, qui ne cueille que s’il sème,, et qui ne recueille rien, s’il ne sème rien ; tantôt à un figuier que le père de famille a planté dans sa vigne ; il le taille, il le cultive avec soin dans l’espérance qu’il rapportera du fruit ; mais, voyant qu’il n’en porte point, quoiqu’il n’en porte pas de mauvais, il l’arrache et le jette au feu. D’autres fois, Jésus-Christ compare le paradis au salaire qu’on donne à un ouvrier qui a rempli sa tâche. Dites-moi, n’est-ce pas bien nous montrer que Jésus-Christ ne donnera son paradis qu’à ceux qui l’ont mérité par leurs bonnes œuvres ? Voyez Jésus-Christ, qui est notre modèle : a-t-il été un instant de sa vie sans travailler à faire de bonnes œuvres, à convertir les âmes à son Père, et à souffrir ? Et nous, tout misérables que nous sommes, nous voudrions qu’il ne nous en coûtât rien ? Non, non, M.F., cela ne sera pas ainsi. Ou nous ferons de bonnes œuvres, ou nous serons damnés, quand même nous ne ferions point de mal.

Voyez maintenant, M.F., les bonnes œuvres que vous avez faites. Les avez-vous faites uniquement pour Dieu, de sorte que le monde n’y ait été pour rien, et que jamais vous n’ayez été fâchés de les avoir faites à cause de ces quelques retours d’ingratitude que l’on vous a fait essuyer ? Vous êtes-vous jamais applaudis en vous-mêmes du bien que vous avez fait, rendu au prochain ? parce que, si tout cela vous est arrivé, ou vous n’avez rien fait, ou il faut tout compter comme pour rien, parce que vous en avez déjà perdu la récompense. Savez-vous, M.F., le parti que vous avez à prendre ? Si vous n’avez rien fait, ou si ce que vous avez fait est perdu pour quelque vue humaine, commencez de suite, afin qu’à la mort, vous puissiez vous trouver encore quelque chose à présenter à Jésus-Christ pour qu’il vous donne la vie éternelle. – Mais, me direz-vous, peut-être, je n’ai fait que du mal pendant toute ma vie ; je ne suis qu’un mauvais arbre qui ne peut plus porter de bon fruit. – M.F., cela se peut encore, et je vais vous l’apprendre. Changez cet arbre de terre, arrosez-le avec d’autre eau, fumez-le avec d’autres engrais, et vous verrez que vous porterez du bon fruit, quoique vous en ayez porté de bien mauvais jusqu’à présent. Si cet arbre, qui est vous-mêmes, a été fertile en orgueil, en avarice et en impureté, vous pouvez faire, avec la grâce du bon Dieu, que ses fruits deviennent abondants en humilité, en charité et en pureté. Faites de vous-mêmes comme la terre, qui, avant le déluge, tirait de son sein l’eau pour s’arroser elle-même, sans avoir recours aux nuées du ciel, pour lui donner la fécondité. De même, M.F., tirez de votre propre cœur cette eau salutaire qui en changera les dispositions. Vous l’aviez arrosé avec l’eau bourbeuse de vos passions ; eh bien ! à présent, arrosez-le avec les larmes du repentir, de la douleur et de l’amour, et vous verrez que vous cesserez d’être un mauvais arbre, pour en devenir un qui portera du fruit pour la vie éternelle.
Pour vous montrer, M.F., que cela se peut très bien, en voici un exemple admirable dans la personne de sainte Madeleine. Voyez, d’après Jésus-Christ même, combien elle était un mauvais arbre, et ensuite, combien la grâce en a fait un bon arbre, qui a porté du bon fruit avec abondance. Saint Luc nous dit qu’ « elle était une pécheresse, et connue pour telle dans toute la ville de Jérusalem. » Je vous laisse à penser ce que ces paroles, sorties de la bouche de Jésus-Christ même, veulent nous dire. C’était une jeune fille née avec les passions les plus vives, une beauté extraordinaire, de grands biens : ce qui est un feu qui allume encore davantage les passions, qui les nourrit et les engraisse continuellement. Elle avait un grand attrait pour les plaisirs du monde, un goût extrême pour les modes et un grand désir de plaire ; de sorte que ses pensées et tous ses soins étaient employés à cela. Un air peu modeste annonçait déjà d’avance que son innocence ne tarderait pas de faire naufrage. Vaine idole du monde, elle cherche autant qu’elle peut à lui plaire, soit dans ses regards enflammés par un feu impur qui sort du fond de son cœur, soit dans toutes ses démarches et cet air efféminé qui parait sur son front. Tout cela annonce un arbre qui ne peut porter que de bien mauvais fruits. Elle reçoit avec une complaisance incroyable les profanes regards des mondains ; elle reçoit avec amour-propre les fades éloges des hommes ; elle aime à se produire, avec une joie au delà de ce que l’on peut comprendre, dans les assemblées du grand monde. Étant d’une grande beauté, possédant de grandes richesses, jeune et bien faite ; tout le monde, ce semble, n’avait du cœur, des yeux que pour elle. Les danses, les spectacles et le soin de plaire à tout le monde, font toute son occupation. Si elle se rend parmi les fidèles dans les lieux destinés à la prière, elle s’y rend avec empressement, non pour y pleurer ses péchés, comme elle l’aurait dû faire ; mais, bien mieux, pour s’y placer comme une idole, pour y voir et, encore plus, pour y être vue et admirée. Elle semble, par là, vouloir disputer les cœurs à Dieu même et l’honneur qui n’est dû qu’à lui seul. Enfin, elle va si loin qu’elle finit par être un sujet de scandale à toute la ville de Jérusalem. Les entretiens avec les jeunes gens, les embrassements, les conversations peu modestes, les corruptions auxquelles elle se livre finissent par ne plus la faire regarder que comme une fille de mauvaise vie. Elle finit par être fuie et méprisée par tous les gens de bien. Tous les gens de la ville ne la nomment plus que la femme pécheresse et scandaleuse. Vous conviendrez avec moi que voilà un bien mauvais arbre ; si vous avez été aussi loin, il n’en est guère qui l’ait passée. Hélas ! M.F., quel fruit d’orgueil n’a pas porté cette tête embellie et ornée avec tant de soin ? hélas ! que de fruits de corruption n’a pas produit ce cœur pourri et brûlé par un feu impur ? Et ainsi de toutes les autres passions qui la dominaient. Je crois, M.F., qu’il est assez difficile de trouver un arbre plus mauvais. Eh bien ! M.F., vous allez voir que si nous voulons nous prêter à la grâce, qui jamais ne nous manquera plus qu’à Madeleine, quelque misérables que nous soyons, nous pouvons changer notre arbre, qui, jusqu’à présent n’a porté que de mauvais fruits ; nous pouvons lui en faire porter de bons, si seulement nous voulons nous prêter à la grâce qui vient à notre secours. De mauvais chrétien, nous pouvons devenir bon, et porter du fruit digne de la vie éternelle, ce que nous allons voir dans le retour de Madeleine.
Saint Jérôme nous dit que, pendant que Madeleine était ainsi abandonnée à tous ses désordres, le bruit de tant de miracles que le Sauveur faisait en guérissant les malades et ressuscitant les morts remplissait d’étonnement toute la Judée ; chacun s’empressait de voir un homme si extraordinaire. Madeleine, pour son bonheur, se trouva dans le nombre. Les premières paroles qu’elle entendit sortir de la bouche du Sauveur, ce fut la parabole de l’enfant prodigue et celle du Bon Pasteur. Elle se reconnut véritablement dans cet enfant prodigue ; et reconnut le Sauveur pour le Bon Pasteur. Les traits de la grâce étaient trop vifs et trop perçants pour qu’elle n’en ressentit pas l’atteinte. Au récit de cette parole elle se sentit attendrie et touchée jusqu’aux larmes. Si tant de prodiges qu’elle a vus et entendus elle-même la remplissent d’étonnement, la grâce achève de la changer, en faisant, d’un bien mauvais arbre, un très bon, qui doit porter des fruits excellents. Mais ce qui achève de la détacher d’elle-même et du péché, en rompant tout ce qui pouvait l’en retenir, ce fut cette grande bonté de Dieu pour les pécheurs. Ah ! M.F., que la grâce est puissante quand elle trouve un cœur bien disposé ! La voilà qui commence à ne plus penser ni agir de même, la grâce la poursuit, les remords de sa conscience la tourmentent, elle sent son cœur qui se brise de douleur de ses péchés ; ses yeux qui, autrefois, étaient si allumés du feu impur, et qui savaient si bien l’allumer dans le cœur des autres, commencent à verser des larmes amères. Comme son cœur avait goûté le premier les plaisirs du monde, elle veut aussi qu’il soit le premier à ressentir tout le regret d’avoir fait mal. Dès lors, ce grand monde qui, autrefois, faisait tout son plaisir et son bonheur, ne fait plus que l’importuner et la dégoûter de plus en plus. Elle ne se trouve bien que séparée du monde et dans la retraite, où elle peut réfléchir et verser des larmes en toute liberté. Son cœur se sent toujours percé plus vivement, à mesure qu’elle considère la vie qu’elle a menée jusqu’à présent, l’outrage qu’elle a fait à Dieu, le nombre d’âmes qu’elle a perdues par une vie mauvaise. Cet amour d’elle-même, cette orgueilleuse complaisance qu’elle avait dans sa beauté, tous ces profanes hommages qui la flattaient tout cela ne lui est plus qu’une vanité insensée et une espèce d’idolâtrie. Ce luxe immodeste, ces amusements mondains, qu’elle avait toujours regardés comme les privilèges de son âge et de son sexe, ne sont maintenant à ses yeux qu’une vie païenne et une véritable apostasie de sa religion. Ces sentiments passionnés, ces libertés indécentes, ces tendres attachements, autrefois si chers à son cœur, et tous ces mystères d’iniquités ne lui semblent à présent que crimes et abomination. Elle reconnaît, en versant des larmes en abondance, que si le bon Dieu l’avait ornée de tant de dons, cela n’était que pour qu’elle lui fût plus agréable. Elle n’en conçoit que plus vivement son ingratitude et sa révolte. Dans ces combats, elle apprend qu’un pharisien distingué a le bonheur de recevoir chez lui le Sauveur ; elle se rappelle tout ce qu’elle a entendu du Sauveur : « Oui, se dit-elle à elle-même, je ne peux plus douter qu’il soit ce Pasteur si bon et si charitable, et que moi, je ne sois cette brebis perdue. Ah ! s’écrie-t-elle, c’est à moi-même qu’il en voulait, lorsqu’il parlait de cet enfant prodigue ! oui, je me lèverai et j’irai le trouver ! » En effet, ne se possédant plus, elle se lève, foule aux pieds toutes ses plumes et toutes ses vanités ; elle court, ou plutôt la grâce, dont son cœur était déjà tout brûlant, l’entraîne ; foulant tout respect humain, elle entre dans la salle du festin avec un air abattu, ses cheveux, autrefois si bien tirés et frisés, tout épars, les yeux baissés et baignés de larmes, la confusion et la rougeur sur le front ; elle se jette aux pieds du Sauveur qui était à table. « Ah ! Madeleine, Madeleine, s’écrie un Père de l’Église, que faites-vous, et qu’êtes-vous devenue ? où sont ces plaisirs, cette vanité et cet amour profane ? » Ah ! non, non, M.F., plus de Madeleine pécheresse, mais Madeleine pénitente, et une amante fidèle du Sauveur.

Oui, M.F., ce fut dans ce moment que tout changea en elle ; si elle avait tant perdu d’âmes par une vie si scandaleuse, elle va, par sa vie pénitente, en gagner encore plus qu’elle n’en a perdu. Elle n’a nul respect humain, elle accuse publiquement ses péchés devant une nombreuse assemblée, elle embrasse les pieds du Sauveur, elle les arrose de ses larmes, elle les essuie de ses cheveux. Non, non, M.F., Madeleine n’est plus Madeleine, mais une sainte amante du Sauveur. « Non, non, M.F., nous dit saint Augustin, dans Madeleine, plus de vanité, plus de plaisirs, plus d’amour profane, tout est saint et pur en elle. Oui, M.F., nous dit ce grand saint, ces parfums si recherchés qu’elle avait donnés tout au luxe, cette chevelure si bien parée et ornée, ces yeux animés d’un feu si dangereux, tout cela est maintenant purifié dans les larmes. Ah ! M.F., nous dit-il, qui pourrait nous faire connaître ce qui se passe dans son cœur ? Chacun de ceux qui furent témoins de ce coup de générosité la tourne en ridicule, la traite d’insensée, la blâme et la condamne, sinon Jésus-Christ lui-même, qui connaît bien que c’est sa grâce qui a tout fait en elle. » Il en est si touché qu’il ne lui parle nullement de ses péchés ; mais il prend un singulier plaisir à faire l’éloge de tout le bien qu’elle a fait, et cela devant tout le monde : « Allez, lui dit tendrement le Sauveur, vos péchés vous sont pardonnés, ne pleurez plus. »

Aussi voyons-nous que si le bon Dieu fut si miséricordieux envers elle, elle fut une des plus fidèles à lui tenir compagnie pendant sa Passion ; elle ne peut plus le quitter ; elle se jette au pied de la croix ; elle mêle ses larmes avec le sang adorable de Jésus-Christ. Après la mort du Sauveur, étant revenue le chercher dans son tombeau, ne l’ayant pas trouvé, elle s’en prend au ciel et à la terre, aux anges et aux hommes ; il faut qu’elle le trouve, à quel prix que ce soit. Le Sauveur, vaincu par son amour, ne peut plus se cacher à cette grande sainte pénitente. Il se montra le premier à elle pour lui dire qu’il était ressuscité comme il leur avait dit. Après l’Ascension du Sauveur, les Juifs, par haine de ce que Jésus-Christ l’aimait, la prirent, avec son frère Lazare et sa sœur Marthe, les exposèrent dans un mauvais vaisseau sans gouvernail, dans l’espérance de les faire périr ; mais ce fut Dieu lui-même qui le conduisit : ils vinrent débarquer à Marseille, d’où, après quelque temps, Madeleine alla se retirer dans une solitude, pour y finir ses jours dans les larmes et la pénitence.

Eh bien ! M.F., ne conviendrez-vous pas avec moi qu’un arbre qui a porté de bien mauvais fruits, avec la grâce de Dieu peut en porter de très bons, dignes de plaire à Dieu et d’être récompensés pendant l’éternité ? Vous, M.F., qui avez porté des fruits aussi mauvais que Madeleine ; qui vous êtes roulés et livrés à bien des péchés ; qui, peut-être, dans la vie de Madeleine pécheresse, reconnaissez avoir fait tout cela ; hélas ! M.F., donc pleurez ! Que de péchés d’orgueil, de vanité, d’avarice, de vengeance et d’impureté ! Hélas ! mon Dieu ! que nous en verrons au grand jour du jugement, qui n’ont jamais paru aux yeux du monde, mais bien aux yeux de Dieu à qui rien n’est caché. Eh ! M.F., si vous avez, comme Madeleine, porté du mauvais fruit, qui vous empêche maintenant d’en porter de bon ? Vous avez entendu, comme Madeleine, le récit de la parabole de l’Enfant prodigue , où vous vous reconnaissez parfaitement bien être ce pécheur ; vous avez entendu, comme Madeleine, le récit de la parabole du Pasteur qui court après sa brebis qui est perdue , vous ne manquerez pas de vous dire en vous-même : C’est moi-même que Jésus-Christ cherche par sa grâce, qui me donne tant de fois la pensée de me convertir. Pourquoi ne feriez-vous pas comme Madeleine, puisque vous sentez votre conscience qui crie, et la grâce qui vient à votre secours pour vous faire changer dans votre manière de vivre ? Pourquoi encore, après vous être réconciliés avec le bon Dieu par la grâce du sacrement de Pénitence, ne feriez-vous pas comme Madeleine, qui, non contente d’avoir quitté le mal, s’attache au bon Dieu de tout son cœur et pour toute sa vie ? Croyez-vous que la grâce vous manque ? Non, M.F., non, votre âme est aussi précieuse aux yeux de Dieu que celle de Madeleine, et, par conséquent, vous êtes sûrs que jamais la grâce ne vous manquera pour vous convertir et persévérer.

II.

En deuxième lieu, M.F., nous lisons dans l’Écriture sainte que le Seigneur disait à son peuple, en lui parlant de la nécessité de faire des bonnes œuvres pour lui plaire et pour être du nombre des saints : « Les choses que je vous demande ne sont pas au-dessus de vos forces ; pour les faire, il n’est pas nécessaire de vous élever jusqu’aux nues, ni de traverser les mers ; tout ce que je vous commande est, pour ainsi dire, sous vos mains, dans votre cœur et autour de vous. » Je peux bien, M.F., vous répéter la même chose : il est vrai que jamais nous n’aurons le bonheur d’aller au ciel si nous ne faisons pas de bonnes œuvres ; mais ne nous effrayons pas, M.F. : ce que Jésus-Christ demande de nous, ce ne sont pas des choses extraordinaires, ni au-dessus de notre portée, il ne demande pas de nous que nous soyons tout le jour à l’église, ni même de faire de grandes pénitences : c’est-à-dire, jusqu’à ruiner notre santé, ni même encore de donner tout notre bien aux pauvres, (quoiqu’il soit très véritable que nous sommes obligés de donner aux pauvres, autant que nous le pouvons, ce que nous devons faire pour plaire à Dieu qui nous le commande et pour racheter nos péchés). Il est encore vrai que nous devons pratiquer la mortification en bien des choses, dompter nos penchants. Il n’est pas douteux qu’une personne qui vit sans se mortifier est une personne qui ne viendra jamais à bout de se sauver. Il n’est pas douteux que, quoique nous ne puissions être tout le jour à l’église, ce qui serait un grand bonheur pour nous ; cependant nous savons très bien que nous ne devons jamais manquer à nos prières, du moins le matin et le soir. – Mais, me direz-vous, il y en a plus d’un qui ne peuvent pas jeûner, d’autres qui ne peuvent donner l’aumône, d’autres qui sont tellement occupés que souvent ils ont peine à faire leur prière le matin et le soir, comment pourront-ils donc se sauver, puisqu’il faut prier continuellement et qu’il faut nécessairement faire de bonnes œuvres pour avoir le ciel ? – Puisque toutes nos bonnes œuvres se réduisent à la prière, au jeûne et à l’aumône, M.F., nous pourrons facilement faire tout cela, comme vous allez le voir.

Oui, M.F., quoique nous ayons mauvaise santé, et que nous soyons même infirmes, il y a un jeûne que nous pouvons faire facilement. Fussions-nous même bien pauvres, nous pouvons encore faire l’aumône, et, quelque grandes que soient nos occupations, nous pouvons prier le bon Dieu sans rien déranger de nos affaires, prier soir et matin, et même toute la journée, et voici comment.

1° Nous pratiquons un jeûne qui est très agréable à Dieu, toutes les fois que nous nous privons de quelque chose qu’il nous ferait plaisir de faire, parce que le jeûne ne consiste pas tout dans la privation du boire et du manger ; mais, de ce qui nous flatte le plus dans notre goût ; les uns peuvent se mortifier dans la manière de s’arranger, les autres dans les visites qu’ils veulent faire aux amis qu’ils aiment à voir ; les autres, dans les paroles et les discours qu’ils aiment à tenir ; celui-ci fait un grand jeûne, et qui est très agréable à Dieu, quand il combat son amour-propre, son orgueil, sa répugnance à faire ce qu’il n’aime pas faire, ou en étant avec des personnes qui contrarient son caractère, ses manières d’agir. Vous pouviez aller dans cette certaine compagnie sans même offenser le bon Dieu ; mais vous vous en privez pour le bon Dieu : voilà un jeûne qui est bien méritant. Vous trouvez-vous dans une occasion où vous pourriez contenter votre gourmandise ? au lieu de le faire, vous prenez, sans le faire apercevoir, ce qui vous convient le moins. Lorsque vous achetez des meubles ou des habillements, vous ne prenez pas ce qui vous conviendrait le mieux : voilà encore un jeûne, dont la récompense vous attend à la porte du ciel pour vous aider à entrer. Oui, M.F., si nous voulions bien nous y prendre, non seulement nous trouverions chaque jour de quoi pratiquer le jeûne, mais encore, à chaque instant de la journée.

Mais, dites-moi, y a-t-il encore un jeûne qui soit plus agréable à Dieu que de faire et de souffrir avec patience certaines choses qui souvent vous déplaisent grandement ? Sans parler des maladies, des infirmités et tant d’autres afflictions qui sont inséparables de notre misérable vie, combien n’avons-nous pas l’occasion de nous mortifier en souffrant ce qui nous gêne et nous répugne ? Tantôt c’est un ouvrage qui nous ennuie ; tantôt, c’est une personne qui nous déplaît, d’autres fois, c’est une humiliation qu’il nous coûte de souffrir. Eh bien ! M.F., si nous souffrons tout cela pour le bon Dieu, et uniquement pour lui plaire, ce sont là les jeûnes les plus agréables à Dieu et les plus méritants. Vous êtes obligés, pendant toute l’année, de travailler à des ouvrages bien pénibles, qui souvent semblent vous faire mourir, ne vous donnant pas même le temps de respirer. Oh ! M.F., que de trésors vous ramasseriez pour le ciel, si vous vouliez, en ne faisant que ce que vous faites ; si, au milieu de vos peines, vous aviez la précaution d’élever votre cœur vers le bon Dieu, en lui disant : « Mon bon Jésus, j’unis mes peines à vos peines, mes souffrances à vos souffrances ; faites-moi la grâce que je me trouve toujours content dans l’état où vous m’avez placé. Je bénirai votre saint nom en tout ce qui m’arrivera ! » Oui, M.F., si vous aviez le grand bonheur de vous comporter de cette manière, toute votre misère, tous vos travaux deviendraient comme autant de fruits très précieux, que vous présenteriez au bon Dieu, à l’heure de votre mort. Voilà, M.F., comment chacun, dans son état, peut pratiquer une espèce de jeûne très méritoire et qui lui sera bien compté pour l’éternité.

2° Nous disons qu’il y a une sorte d’aumône que tout le monde peut faire. Vous voyez donc bien que l’aumône ne consiste pas seulement à nourrir ceux qui ont faim et à donner des habits à ceux qui n’en ont pas ; mais ce sont tous les services que l’on rend au prochain, soit pour le corps, soit pour l’âme, quand nous le faisons en esprit de charité. Quand nous avons peu, eh bien ! nous donnons peu ; et quand nous n’avons pas, nous prêtons si nous le pouvons. Celui qui ne peut pas fournir au besoin des malades, eh bien ! il peut les visiter, leur dire quelques paroles de consolation, prier pour eux, afin qu’ils fassent un bon usage de leur maladie. Oui, M.F., tout est grand et précieux aux yeux du bon Dieu, lorsque nous agissons par un motif de religion et de charité, parce que Jésus-Christ nous a dit qu’« un verre d’eau ne serait pas sans récompense » Vous voyez donc, M.F., que quoique nous soyons bien pauvres, nous pouvons facilement faire l’aumône.

3° Je dis que, quelque grandes que soient nos occupations, il y a une espèce de prière que nous pouvons faire continuellement, sans même nous déranger de nos occupations, et voici comment cela se fait. C’est en tout ce que nous faisons, de ne chercher qu’à faire la volonté de Dieu. Dites-moi, M.F., est-il bien difficile de ne chercher qu’à faire la volonté de Dieu dans toutes nos actions, quelque petites qu’elles soient ? Oui, M.F., avec cette prière tout devient méritoire pour le ciel ; et, sans cette volonté, tout est perdu. Hélas ! que de biens sans récompense, qui nous aideraient tant pour gagner le ciel en ne faisant que ce que nous faisons !

Mais, me direz-vous, quels sont donc les fruits qu’un père et une mère de famille doivent porter ? – M.F., les voici. Il y a les bons fruits que nous devons tous porter en général, tels que l’humilité, la charité, la pureté et ainsi de toutes les autres vertus qui nous conviennent à tous. Il y en a qui voudraient pouvoir rester tout le jour et la nuit cachés dans un coin de leur maison et y pleurer leurs péchés, ce qui cependant serait très bon ; mais les fruits les plus précieux pour eux, c’est de bien instruire leurs enfants, de leur faire connaître, avec la grâce du bon Dieu, la fin pour laquelle ils sont sur la terre ; c’est de leur apprendre à prier le bon Dieu avec attention, avec respect ; c’est de ne jamais leur donner de mauvais exemples, de leur parler souvent des souffrances que Jésus-Christ a endurées pour nous mériter le ciel, du regret que nous aurons à l’heure de la mort d’avoir méprisé tout cela ; c’est de ne jamais parler mal de la religion ni du prochain devant eux ; de leur faire concevoir un grand mépris pour les plaisirs du monde et pour toutes les choses du monde, qui ne sont que bien peu, puisque nous restons si peu sur la terre ; c’est de leur faire considérer le service du bon Dieu comme la seule chose qui puisse nous consoler en ce monde et, adoucir nos peines ; c’est de leur faire bien connaître que, n’étant sur la terre que pour Dieu seul, jamais nous ne serons heureux si nous ne servons pas le bon Dieu avec zèle et avec amour. C’est encore de faire souvent des jeûnes et aumônes, ou d’autres bonnes œuvres pour ses enfants, surtout quand on voit qu’ils sont dans l’éloignement de Dieu et qu’ils vivent comme s’ils n’avaient point d’âmes à sauver. Voilà, M.F., les fruits qu’un père et une mère doivent porter et qui sont les seuls que le bon Dieu demande d’eux. Comme les maîtres et maîtresses ont les mêmes obligations à remplir envers leurs domestiques, ils doivent porter les mêmes fruits : c’est-à-dire, faire tout ce que les pères et mères sont obligés de faire envers leurs enfants. De sorte qu’en faisant cela, vous faites une prière continuelle, tout en ne cherchant qu’à faire la volonté de Dieu dans chaque action que vous avez le bonheur de faire. Un enfant, qui, dans tous les devoirs qu’il rend à ses parents, n’a en vue que de plaire à Dieu, qui lui ordonne de respecter, d’aimer ses parents, d’en avoir soin, de les soulager dans leurs misères, ou de les consoler dans leurs chagrins ou maladies, et de prier le bon Dieu pour eux ; voilà, M.F., les fruits précieux que le bon Dieu demande de lui, et dont il sera récompensé pendant l’éternité.

Un laboureur ou un ouvrier qui supportent la mauvaise humeur de ceux qui les occupent, qui offrent leurs peines et les mauvais temps qu’ils endurent, dans la seule vue de plaire à Dieu et de sauver leurs âmes : voilà du bon fruit, et une prière continuelle que Dieu ne laissera pas sans récompense. Ah ! M.F., que d’occasions de mérite nous laissons échapper, et qui nous conduiraient à grands pas au ciel, si nous avions le bonheur d’offrir à Dieu toutes nos actions ; si nous le priions de bénir nos travaux, de bien régler nos démarches et de présider à tout ce que nous faisons ; si nous avions soin de conserver et de renouveler de temps en temps nos intentions dans notre travail. M.F., disons souvent à Dieu : « Ayez pitié de moi ! venez à mon secours ; mon Dieu, je ne veux rien faire que ce qui peut vous plaire. » Vous conviendrez avec moi que toutes ces prières ne vous dérangeront en rien dans vos travaux ; tous ces jeûnes n’incommoderont nullement votre santé ; vous avez vu que nous pouvons bien faire des aumônes sans avoir de l’or ni de l’argent, et une infinité de bonnes œuvres qui ne nous coûteront qu’un peu de vigilance et de contrainte.

Cependant, M.F., je vous dirai 1° que pour que ces œuvres soient méritoires pour le ciel, il faut qu’elles soient faites en état de grâce, parce que vous savez aussi bien. que moi que toutes les bonnes œuvres que nous faisons étant en état de péché sont mortes pour le ciel. Il est vrai qu’elles peuvent mériter notre conversion, ce qui est déjà un grand bonheur ; mais elles ne seront point récompensées pour le ciel ; c’est une vérité expressément marquée dans l’Évangile , ce qui nous doit grandement faire prendre garde de ne jamais rester dans le péché, puisque tout le bien que nous faisons, ne nous accompagnera pas devant le tribunal de Jésus-Christ. Ah ! malheureux qui, depuis tant de temps, croupissez dans le péché, que de bonnes œuvres perdues, qui vous auraient conduits sûrement au ciel ! Hélas ! de quoi vous servent tous vos maux et toutes les misères de la vie, sinon à vous perdre ? O mon Dieu ! que de chrétiens perdus qui, en ne faisant que ce qu’ils font, se sauveraient si bien !

2° Nous disons qu’il faut agir par un motif surnaturel : c’est-à-dire, par amour pour Dieu, en vue de notre salut ; parce que, si vous agissez par un motif purement naturel, comme par exemple : si vous ne travaillez que pour bien faire vos affaires, gagner votre vie, nourrir et entretenir vos enfants ; cela n’a rien de plus parfait que ce que font les païens ; dans cela, il n’y a point de récompense pour le ciel. Si vous ne rendez service au prochain que parce qu’il est votre parent ou votre ami, parce que vous êtes touché de compassion des maux qu’il éprouve ; mais que vous n’ayez pas en vue de plaire à Dieu et le salut de votre âme, votre travail et toutes vos aumônes seront bien récompensés dans ce monde ; mais jamais pour le ciel. Hélas ! M.F., que de bonnes œuvres perdues ! Combien parmi nous, M.F., qui ont fait bien des bonnes œuvres, rendu bien des services au prochain, qui ont fait même de grands sacrifices ; mais qui, n’ayant pas la pensée de le faire pour plaire à Dieu, n’en auront point de récompense ! Oui, M.F., si nous voulons que tout ce que nous faisons soit récompensé pour le ciel, il faut avoir, le matin, en nous éveillant, la pensée de faire tout ce que nous ferons pendant la journée dans la seule vue de plaire au bon Dieu et pour le salut de notre âme, et renouveler cette offrande, de temps en temps, dans le courant du jour. Il faut que, toujours, la pensée de plaire à Dieu nous accompagne partout, car tout ce que nous faisons, séparé de cette pensée, est perdu pour le ciel.

N’ai-je pas bien raison, en vous disant que l’ignorance sera la cause de la perte du plus grand nombre des chrétiens ? Hélas ! que de chrétiens qui ont peut-être plus de cinquante ans et qui n’ont jamais eu cette pensée de plaire à Dieu en faisant leur travail, leur prière, leurs aumônes, et en rendant quelques services à leur prochain ! Ah ! M.F., si nous voulions !… Que de fruits nous pourrions porter pour le ciel, si nous voulions ne plaire qu’à Dieu seul dans tout ce que nous faisons ; et bien plus, que nous en ferions porter à d’autres ! Nous en avons un bel exemple dans la personne de saint Denis. Étant arrivé à Paris qui était encore plongé dans l’idolâtrie, il fit tant par ses prières, ses instructions et ses miracles, que tous ces peuples qui n’étaient que de bien mauvais arbres et ne portaient que de bien mauvais fruits, devinrent presque tous des arbres capables de porter du fruit pour la vie éternelle. Les prêtres des idoles, voyant le nombre de personnes qu’il convertissait, allèrent trouver le gouverneur, en lui disant qu’un nouveau prédicateur faisait un grand mépris de ses dieux, et que presque tous les habitants se faisaient chrétiens. Le gouverneur entra dans une grande colère contre saint Denis, le fit prendre, et jeter dans un cachot, où on lui fit subir tout ce que la rage des tyrans put inventer. On lui brisa tout le corps, en faisant rouler sur lui de gros quartiers de pierre. Le tyran, l’ayant fait reparaître devant son tribunal, lui dit finement que ses pensées avaient bien changé. Le saint lui répondit que les tourments les plus horribles, et la mort même, ne lui feraient jamais changer de sentiments. A ces paroles, le juge ne lui répondit que par une grêle de coups de fouets, armés de pointes de fer, qui lui déchirèrent le corps jusqu’aux entrailles. C’était un spectacle digne des anges, de voir un bon vieillard, qui avait plus de cent et six ans, chanter les louanges de Dieu pendant cette horrible boucherie. Le juge, voyant son courage, le fit étendre sur un chevalet ; on lui ouvrit toutes ses plaies avec des ongles de fer ; ensuite, l’ayant étendu sur un gril, on le rôtit à petit feu, ce qu’il endura sans lasser sortir de sa bouche une seule plainte. Ensuite, on le jeta dans une fournaise ardente, où le bon Dieu le garantit d’être brûlé. Après cela, il fut attaché à une croix, d’où il prêchait au peuple, comme d’une chaire. Le tyran, voyant que rien ne pouvait le vaincre, le condamna à avoir la tête tranchée ; et c’est une tradition aussi ancienne que sa mort, que son corps, s’étant levé, prit sa tête entre ses mains, fit près d’une lieue jusqu’à ce qu’il trouva une personne qu’il avait convertie, et il tomba à ses pieds. Après tant de miracles, de prières et d’instructions, presque tous se convertirent.

Dites-moi : n’est-ce pas là un arbre qui a porté du bon fruit et qui en fait porter aux autres ? Ah ! M.F., si nous étions bons chrétiens nous-mêmes, que de fruits nous porterions pour la vie éternelle ! Que de fruits nos bons exemples feraient porter aux autres ! Prenons donc bien garde de ne pas nous trouver du nombre de ceux à qui Jésus-Christ dira : « Otez cet arbre, qui n’a point porté de bons fruits ; coupez-le et jetez-le dans le feu. » Mais au contraire, M.F., tâchons que tout ce que nous faisons ou disons soit du fruit pour le ciel, par une grande pureté d’intention, et, par là, nous aurons le bonheur d’entendre de la bouche de Jésus-Christ même ces paroles : « Venez, les bénis de mon Père, prendre possession du royaume des cieux , parce que tout ce que vous avez fait, vous ne l’avez fait qu’en vue de me plaire. » C’est ce que je vous souhaite…