ANALYSE. — 1. L’utilité et la nécessité du jeûne, prouvées par t’autorité des médecins. — 2. Par l’autorité des philosophes et de saint Paul. — 3. Par les exemples des saints et de Jésus-Christ. — 4. Conclusion.
1. Toutes les fois, mes frères, que nous fixons des jours de jeûne à votre dévotion, nous nous faisons un devoir de vous exhorter à les observer fidèlement. En effet, beaucoup parmi vous sont plutôt paresseux que sensuels ; sans être vicieux dans leur corps, ils manquent de dévotion dans le coeur et cherchent à s’excuser en alléguant certaines indispositions corporelles , la faiblesse de leurs membres ; le plus souvent, ce sont des illusions qu’ils se forment; mais, fussent-ils atteints de quelque vice réel, ils devraient en chercher le remède dans le jeûne lui-même. Les délices engendrent les maladies, le remède à ces maladies, c’est le jeûne. Voilà pourquoi le Seigneur nous prescrit d’opposer des jeûnes pieux à toutes les inclinations vicieuses. D’ailleurs, ces jeûnes nous sont présentés sous une telle dénomination, que les faibles eux-mêmes ne sauraient les repousser. Ecoutons le prophète Joël s’adressant aux prêtres : « Sanctifiez le jeûne, prêchez la guérison (1) ». La guérison est-elle donc autre chose que la médecine des corps? Si les médecins imposent le jeûne aux malades, afin de guérir leur corps; si la langueur trouve dans le jeûne son remède le plus efficace; enfin, si les vices tendent à affaiblir toujours davantage la constitution de l’homme; pourquoi ne pas chercher dans des jeûnes légitimes un contre-poids à la faiblesse des corps, puisque ces jeûnes sont institués pour servir de remède à tous les vices de l’âme et du corps? Redisons donc ces paroles du Prophète : « Sanctifiez le jeûne, prêchez la guérison ; rassemblez les vieillards, réunissez les habitants de la terre dans la maison du Seigneur votre Dieu, criez sans cesse vers le Seigneur, et il vous exaucera ». A cela, que peuvent répondre les esclaves de leur ventre ? Vous qui ne voulez pas jeûner, vous ne voulez donc pas être exaucés? Pourquoi charger de viandes vos estomacs ? pourquoi les remplir de nourriture et de vin? pourquoi, devant des peuples à jeun, exhaler les vapeurs de votre intempérance? C’est le signe d’une maladie, et non pas de la digestion. Jeûnez donc pour Dieu quand il vous l’ordonne, de crainte que les médecins n’aient eux-mêmes à vous l’imposer. Car, pour eux comme pour nous, le jeûne a pour effet de tempérer les humeurs et les impétuosités du sang.
2. De leur côté, les philosophes condamnent les esprits supérieurs à se purifier, dans le jeûne, de toutes les souillures qu’ils ont reçues des corps terrestres, et ils punissent la chair afin d’affaiblir l’esprit. Pour nous, le jeûne des corps est comme la lime des âmes. Il expie les fautes de la conscience, réprime le péché, et fait resplendir les âmes que souillait la tache du péché. Si donc la médecine elle-même trouve dans le jeûne un principe de sagesse et de santé, que dois-je penser de vous qui vous livrez à la bonne chère pendant que le peuple jeûne? C’est à vous que s’appliquent ces paroles de l’Apôtre : « La nourriture est pour le ventre, et le ventre pour la nourriture (2) » ; et encore : « L’un jeûne et l’autre est ivre ; je vous loue, mais en cela je ne vous loue pas, puisque vos assemblées se tournent, non pas en bien, mais en mal (3) ». C’est à vous aussi que David adresse ce violent reproche : « Seigneur, leur ventre a été rempli de choses cachées; ils se sont rassasiés de viandes impures, et ils ont laissé les restes à leurs enfants. Pour moi, je me rassasierai du jeûne, afin que votre gloire me soit manifestée (4) ».
4. Jeûnez donc, mes frères, dans la crainte que votre désobéissance ne soit regardée comme sacrilège par Notre-Seigneur Jésus-Christ qui règne dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
Notes :
1. Joël, I, 14; 1, 15.
2. I Cor. VI, 13.
3. Id. XI, 17.
4. Ps. XVI, 14, 15.