Sodalitium (n° 74) a déjà eu l’occasion de parler du prêtre la Fraternité Saint Pie X, l’abbé Daniele Di Sorco, dans une brève recension intitulée “Radio Spada et la Fraternité ne sont pas ‘tranquilles’” (pp. 73 ss.). Mea culpa : j’admets avoir un peu raillé l’abbé Di Sorco, décrit comme “prêtre livournais de la Fraternité, formé précédemment auprès des bi-ritualistes Franciscains de l’Immaculée”, en posant la question de savoir “s’il est plus honteux pour Radio Spada de collaborer avec la Fraternité, ou au contraire s’il l’est davantage pour la Fraternité de collaborer avec Radio Spada”. Je comprends donc que l’abbé Daniele ait pris la mouche, et qu’il ait pensé nous rendre la pareille dans une conférence qu’il a tenue à Nantes, en Bretagne, le 10 mars 2025.
Il faut savoir qu’à Nantes des prêtres français, membres de l’Institut Catholique Romain de Mgr Sanborn, ont succédé à l’abbé Philippe Guépin, et ont beaucoup de succès dans leur apostolat, qu’il soit traditionnel (messe, sacrements, etc.) ou plus moderne (par une présence assidue sur les réseaux sociaux). Il est donc compréhensible que la Fraternité Saint Pie X, habituée à faire ‘profil bas’ à l’égard des modernistes, soit plutôt préoccupée par la présence ennuyeuse à Nantes de zélés prêtres “guérardiens”, et entend contester leurs argumentations. Sodalitium laisse volontiers aux confrères bretons l’honneur et la charge de répondre à l’abbé Di Sorco, en se limitant à dire deux mots au disciple de l’abbé Tranquillo au sujet… de la fameuse mouche dont il est question plus haut.
L’abbé Ricossa est-il un faussaire ?
L’abbé Di Sorco, donc, est parti d’Albano Laziale et est allé à Nantes (Prieuré Saint-Louis, 10 mars 2025)… spécialement pour mal parler des “sédévacantistes” (qui ensuite seraient au contraire les défenseurs de la Thèse de Cassiciacum) avec une “conférence-diaporama sur le sédévacantisme” intitulée “Une Église sans Pape ?”. (On voit que la Fraternité n’a pas trouvé dans toute la France un conférencier adéquat et qu’elle a dû le chercher en Italie). Mais venons à la minute 1:18:29 (et suivantes) et nous transcrivons/traduisons les paroles du conférencier : “Il faudrait que les sédévacantistes nous expliquent comment ils peuvent juger valides leurs confessions s’ils pensent que dans l’Église il n’y a plus aucun sujet de juridiction ordinaire. Vous savez, une fois il y avait eu un débat en Italie avec le chef (sic) de l’Institut Mater Boni Consilii, ceux qui sont maintenant à Nantes (sic), ceux qui tiennent la Thèse de Cassiciacum. Il y a eu un débat parce qu’il y a un abbé de chez nous (l’abbé Tranquillo ; on voit que, depuis qu’il est sorti de la Fraternité, il est devenu innommable, n.d.a.) qui avait présenté cet argument, il a dit mais comment vos confessions sont valides ? Et l’abbé Ricossa, donc le chef de l’Institut, avait répondu en disant, voilà, il avait cité un texte de Merkelbach, c’est un célèbre manuel de (théologie) morale. Il avait dit : ici, on voit que dans ce cas-là le prêtre reçoit la juridiction par Dieu. Sauf qu’il avait coupé la citation. Parce que la citation disait de fait ils reçoivent la juridiction de Dieu par le Pape, à travers le Pape. Et cela changeait tout. Donc s’il a été obligé de changer la citation, de couper la citation, de la falsifier en fait, parce qu’elle lui faisait dire des choses différentes de ce qu’il disait, eh bien on voit qu’ils ont des difficultés à répondre à cet argument”.
Cher abbé Di Sorco, les mensonges ont la vie courte !
Les fidèles ignorants du Prieuré Saint-Louis de Nantes, évidemment, ne peuvent pas savoir ce qu’a réellement dit l’abbé Ricossa, dont ils ignorent même probablement l’existence. C’est pour cela que l’abbé Di Sorco peut leur faire croire n’importe quoi, certain qu’ils le prendront pour argent comptant. Mais pour qui voudrait contrôler (et connaît l’italien), nous donnons la possibilité d’écouter les paroles mêmes de l’abbé Ricossa (Milan, 15 novembre 2014, XIII convegno di Studi Albertariani – « La Tesi di Cassiciacum ieri e oggi La Chiesa ai tempi di Jorge … – Gloria.tv) et d’en lire la transcription que j’ai repérée sur un site que je ne connaissais pas, mais méritoire : lumen publicum: La Tesi di Cassiciacum, obiezioni e risposte (Parte II)
“Un auteurs des plus sérieux, un prêtre de la FSSPX qui a exposé d’abord oralement puis par écrit – nous en avons parlé personnellement aussi, et je dois admettre que, comme dit une mauvaise langue vénète –, l’abbé Mauro Tranquillo m’a mis en difficulté… Je ne voudrais pas déformer sa pensée mais substantiellement, pour résumer la manière dont je l’ai comprise, la chose est ainsi. Moi-même, j’ai insisté en parlant des consécrations des évêques (j’en ai aussi parlé ici) sur une vérité qui est enseignée par le Magistère ordinaire de l’Église, à savoir : la juridiction de l’évêque et toute la juridiction ecclésiastique vient de Dieu – parce que tout vient de Dieu – par l’intermédiaire du Pape. C’est ce que les conciliaires nient, qui est enlevé dans Lumen Gentium. Mais le Magistère de l’Église jusqu’à Pie XII, donc le Magistère de l’Église “et basta”, dit cela. “Bien, dit l’abbé Tranquillo, si toute la juridiction de l’Église vient du Pape et que vous dites qu’il n’y a pas de Pape, que s’ensuit-il ? Que l’Église est totalement privée de juridiction, qu’il n’y a plus de pouvoir de juridiction, en aucune façon”. Et cela pose donc déjà problème pour l’indéfectibilité, etc. Dans la Réponse au Dossier sur le sédévacantisme j’ai répondu. Mais la chose qui frappe le plus les gens c’est l’exemple qu’il ajoute : “Puisque dans le Sacrement de Pénitence la juridiction est nécessaire pour la validité” – et j’ajoute : de Droit divin – “s’il n’y a pas de Pape, qui est la source de toute la juridiction, personne n’a plus la juridiction pour confesser, et par conséquent les confessions sont toutes invalides. Cela est impossible – et notamment les nôtres le seraient – donc reste le Pape”, un Pape qui ne fait rien, qui n’enseigne pas, qui ne fait pas de lois, qui ne promulgue pas, qui n’est là que pour rendre valides les confessions de l’abbé Tranquillo. Et ensuite il les rend valides sans le vouloir, puisqu’il dit : “vous n’avez aucun ministère légitime dans l’Église”. Mais par quelque “détour” du droit canonique la juridiction arrive là aussi…
L’erreur de fond (maintenant, je ne veux pas réduire à une minute ce qui mériterait d’être traité de manière bien plus approfondie, parce que c’est une objection intelligente, comme intelligente est la personne qui l’a faite) est une confusion, dont il me semble que l’abbé Tranquillo ne parle pas (si je me trompe, il me corrigera), entre la juridiction au for interne et la juridiction au for externe. Ici j’ai les photocopies du Manuel de théologie morale [1935] de Merkelbach, qui est un dominicain thomiste, dans lequel en parlant du pouvoir des clefs, “Sacrement de Pénitence”, fait précisément cette distinction :
«Iurisdictio alia est fori Ecclesiæ seu externi, quando directe et primario spectat publicum Ecclesiaæ regimen et utilitatem ; alia fori Dei seu interni, quando directe et primario spectat privatam cuiuslibet fidelis utilitatem. Prior est potestas ecclesiastica et socialis quæ conceditur a Pontifice ex propria auctoritate, et ideo ex hac derivatur ab eo ut a causa principali et auctoritate eius exercetur ; altera est potestas non ecclesiastica sed divina, quæ conceditur auctoritate propria Dei (qui solus valet directe attingere coscientiam et vinculum peccati), mediante tamen Pontifice ut ministro et instrumento divinitatis, et ideo non auctoritate Ecclesiæ propria sed auctoritate ipsius Dei exercenda.» (B. H. Merkelbach o.p., Summa Theologiæ Moralis, III, p. 526, Brugis 1962).
«Une chose est la juridiction du for de l’Église ou for externe, qui regarde directement et de manière principale le régime, le gouvernement et l’intérêt public de l’Église ; autre est la juridiction du for de Dieu ou interne, qui de manière directe et principale concerne l’intérêt privé de tout fidèle. La première est le pouvoir ecclésiastique et social concédé par le Pontife de sa propre autorité, et elle en découle donc comme cause principale ; l’autre est un pouvoir non ecclésiastique mais divin qui est concédé par l’autorité propre de Dieu».
Après quoi, Merkelbach explique [que] le pouvoir des clefs dont on parle et qui vient de l’Évangile, est concédé au prêtre comme juridiction au for interne – en confession donc – par l’ordination sacerdotale. Par conséquent, le pouvoir de confesser, comme on sait, est donné par l’ordination sacerdotale qui donne le pouvoir des clefs et la juridiction au for interne, qui ne vient pas du Pape mais de Dieu. Il est vrai que la juridiction au for externe, parce que le sacrement de l’Ordre donne au prêtre le pouvoir de confesser, a besoin qu’il ait des sujets, et les sujets c’est le Pape qui les lui donne. C’est le Pape qui dit “tu es curé ici” ou “tu as le pouvoir de confesser là”, etc. etc. C’est le Pape qui lui donne les sujets, mais le pouvoir de confesser, c’est Dieu qui lui donne avec l’Ordination. Or, en “état de nécessité”, l’abbé Tranquillo dit que les sujets nous les avons, et qu’en conséquence ce qui est une question purement ecclésiastique se résout par l’“état de nécessité”, alors qu’au contraire la racine de ce pouvoir de la juridiction pour confesser vient de Dieu. L’absence de distinction entre cette juridiction au for interne qui est divine, et la juridiction au for externe qui est ecclésiastique, est la faille dans le raisonnement. Il est vrai que “toute juridiction vient de Dieu par la médiation du Pape”, mais cela vaut uniquement pour la juridiction au for externe ; la juridiction au for interne, pour le bien privé de chaque fidèle, comme le pouvoir des clefs, vient directement de Dieu. Ce n’est pas ce que je dis, moi, mais ce que dit Merkelbach et les auteurs qui traitent de la question”.
Je m’excuse pour la longue (auto)citation, de plus ennuyeuse du fait du style parlé, et l’intervention “à brûle-pourpoint”, mais c’était nécessaire pour clarifier ce dont on parle.
Pour rendre compréhensible la question au simple fidèle moyennement instruit de sa religion, il suffira de rappeler ce qui suit :
• le pouvoir de confesser est reçu de Dieu par l’Ordination Sacrée (pouvoir des clefs, for interne) tant il est vrai qu’un évêque diocésain ou même le Pape, avec sa juridiction suprême, qui n’ont pas encore reçu l’ordination sacerdotale, ne peuvent confesser ;
• mais ledit prêtre, par droit divin (puisque le sacrement de pénitence est un tribunal) doit pouvoir exercer son pouvoir sur des sujets, qui lui sont donnés de droit par la juridiction (au for externe) qui, en dernière analyse, vient du Pape.
Dans ma conférence j’ai rappelé les deux aspects, c’est pourquoi je n’ai pas tronqué, changé, falsifié quoi que ce soit (ce que pour l’abbé Di Sorco j’aurais tronqué, je l’expose à partir des mots : “il est vrai que la juridiction est nécessaire au for externe, etc…”). L’abbé Di Sorco peut ne pas être d’accord avec les conclusions que j’en tire – il est tout à fait libre de penser différemment de moi – mais il ne peut nullement m’accuser d’avoir tu une partie de la vérité, que j’ai exposée clairement à ceux qui m’écoutaient.
C’est pourquoi, pour conclure, je dirai : cher abbé Di Sorco, je n’ai pas falsifié ce qu’écrit Merkelbach, alors que vous avez falsifié ce que j’ai dit. Médecin, guéris-toi toi-même (Luc, 4, 23).