(Extrait de L’année liturgique de Dom Prosper Guéranger)
Une nouvelle joie nous arrive, au sein des tristesses du Carême. Joseph, l’Epoux de Marie, le Père nourricier du Fils de Dieu vient nous consoler par sa chère présence. Dans peu de jours, l’auguste mystère de l’Incarnation va s’offrir à nos adorations : qui pouvait mieux nous initier à ses splendeurs, après l’Ange de l’Annonciation, que l’homme qui fut à la fois le confident et le gardien fidèle du plus sublime de tous les secrets?
Le Fils de Dieu descendant sur la terre pour revêtir l’humanité, il lui fallait une Mère; cette Mère ne pouvait être que la plus pure des Vierges, et la maternité divine ne devait altérer en rien son incomparable virginité. Jusqu’à ce que le Fils de Marie fût reconnu pour le Fils de Dieu, l’honneur de sa Mère demandait un protecteur : un homrrw devait donc être appelé à l’ineffable gloire d’être l’Epoux de Marie. Cet heureux mortel, le plus chaste des hommes, fut Joseph.
Le ciel le désigna comme seul digne d’un tel trésor, lorsque la verge qu’il tenait dans le temple poussa tout à coup une fleur, comme pour donner un accomplissement sensible à l’oracle prophétique d’Isaie : « Une branche sortira de la tige de Jessé, et une fleur s’élèvera de cette branche (1) ». Les riches prétendants à la main de Marie furent écartés ; et Joseph scella avec la fille de David une alliance qui dépassait en amour et en pureté tout ce que les Anges ont jamais connu dans le ciel.
Ce ne fut pas la seule gloire de Joseph, d’avoir été choisi pour protéger la Mère du Verbe incarné ; il fut aussi appelé à exercer une paternité adoptive sur le Fils de Dieu lui-même. Pendant que le nuage mystérieux couvrait encore le Saint des saints, les hommes appelaient Jésus, fils de Joseph, fils du charpentier; Marie, dans le temple, en présence des docteurs de la loi, que le divin Enfant venait de surprendre par la sagesse de ses réponses et de ses questions, Marie adressait ainsi la parole à son fils : « Votre père et moi nous vous cherchions, remplis d’inquiétude (2) » ; et le saint Evangile ajoute que Jésus leur était soumis, qu’il était soumis à Joseph, comme il l’était à Marie.
Qui pourrait concevoir et raconter dignement les sentiments qui remplirent le cœur de cet homme que l’Evangile nous dépeint d’un seul mot, en l’appelant homme juste (3)? Une affection conjugale qui avait pour objet la plus sainte et la plus parfaite des créatures de Dieu ; l’avertissement céleste donné par l’Ange qui révéla à cet heureux mortel que son épouse portait en elle le fruit du salut, et qui l’associa comme témoin unique sur la terre à l’œuvre divine de l’Incarnation ; les joies de Bethléhem lorsqu’il assista à la naissance de l’Enfant, honora la Vierge-Mère, et entendit les concerts angéliques ; lorsqu’il vit arriver près du nouveau-né d’humbles et simples bergers, suivis bientôt des Mages opulents de l’Orient; les alarmes qui vinrent si promptement interrompre tant de bonheur, quand, au milieu de la nuit, il lui fallut fuir en Egypte avec l’Enfant et la Mère ; les rigueurs de cet exil, la pauvreté, le dénûment auxquels furent en proie le Dieu caché dont il était le nourricier, et l’épouse virginale dont il comprenait de plus en plus la dignité » sublime; le retour à Nazareth, la vie humble et laborieuse qu’il mena dans cette ville, où tant de fois ses yeux attendris contemplèrent le Créateur du monde partageant avec lui un travail grossier ; enfin, les délices de cette existence sans égale, au sein de la pauvre maison qu’embellissait la présence de la Reine des Anges, que sanctifiait la majesté du Fils éternel de Dieu ; tous deux déférant à Joseph l’honneur de chef de cette famille qui réunissait autour de lui par les liens les plus chers le Verbe incréé, Sagesse du Père, et la Vierge, chef-d’œuvre incomparable de la puissance et de la sainteté de Dieu ?
Non, jamais aucun homme, en ce monde, ne pourra pénétrer toutes les grandeurs de Joseph. Pour les comprendre, il faudrait embrasser toute retendue du mystère avec lequel sa mission ici-bas le mit en rapport, comme un nécessaire instrument. Ne nous étonnons donc pas que ce Père nourricier du Fils de Dieu ait été figuré dans l’Ancienne Alliance, et sous les traits d’un des plus augustes Patriarches du peuple choisi. Saint Bernard a rendu admirablement ce rapport merveilleux : « Le premier Joseph, dit-il, vendu par ses frères, et en cela figure du Christ, fut conduit en Egypte ; le second, fuyant la jalousie d’Hérode, porta le Christ en Egypte. Le premier Joseph, gardant la foi à son maître, respecta l’épouse de celui-ci; le second, non moins chaste, fut le gardien de sa Souveraine, de la Mère de son Seigneur, et le témoin de sa virginité. Au premier fut donnée l’intelligence des secrets révélés par les songes ; le second reçut la confidence des mystères du ciel même. « Le premier conserva les récoltes du froment, non pour lui-même, mais pour tout le peuple ; le second reçut en sa garde le Pain vivant descendu du ciel, pour lui-même et pour le monde entier (4). »
Une vie si pleine de merveilles ne pouvait se terminer que par une mort digne d’elle. Le moment arrivait où Jésus devait sortir de l’obscurité de Nazareth et se manifester au monde. Désormais ses œuvres allaient rendre témoignage de sa céleste origine : le ministère de Joseph était donc accompli. Il était temps qu’il sortît de ce monde, pour aller attendre, dans le repos du sein d’Abraham, le jour où la porte des cieux serait ouverte aux justes. Près de son lit de mort veillait celui qui est le maître de la vie, et qui souvent avait appelé cet humble mortel du nom de Père; son dernier soupir fut reçu par la plus pure des vierges, qu’il avait eu le droit de nommer son Epouse. Ce fut au milieu de leurs soins et de leurs caresses que Joseph s’endormit d’un sommeil de paix. Maintenant, l’Epoux de Marie, le Père nourricier de Jésus, règne au ciel avec une gloire inférieure sans doute à celle de Marie, mais décoré de prérogatives auxquelles n’est admis aucun des habitants de ce séjour de bonheur.
C’est de là qu’il répand sur ceux qui l’invoquent une protection puissante. Dans quelques semaines, la sainte Eglise nous révélera toute l’étendue de cette protection; une fête spéciale sera consacrée à honorer le Patronage de Joseph ; mais désormais la sainte Eglise veut que la fête présente, élevée à l’honneur des premières solennités, devienne le monument principal de la confiance qu’elle éprouve et qu’elle veut nous inspirer envers le haut pouvoir de l’époux de Marie. Le huit décembre 1870, Pie IX, au milieu de la tempête qui jusqu’à cette heure mugit encore, s’est levé sur la nacelle apostolique, et a proclamé, à la face de la Ville et du monde, le sublime Patriarche Joseph comme devant être honoré du titre auguste de Patron de l’Eglise universelle. Bonis soient l’année et le jour d’un tel décret, qui apparait comme un arc-en-ciel sur les sombres nuages de l’heure présente! Grâces soient rendues au Pontife qui a voulu que le 19 mars comptât à l’avenir entre les jours les plus solennels du Cycle, et que la sainte Eglise, plus en butte que jamais à la rage de ses ennemis, reçût le droit de s’appuyer sur le bras de cet homme merveilleux à qui Dieu, au temps des mystères évangéliques, confia la glorieuse mission de sauver de la tyrannie d’Hérode, et la Vierge-mère et le Dieu-homme à peine déclaré à la terre !
Notes:
- ISAI. XI, 1.
- LUC. XI, 48.
- MATTH. 1, 10.
- Homil. II super Missus est.